Tout porte à croire que la ministre de la santé, Yasmina Baddou, est décidée à mettre en œuvre rapidement la réforme de la santé. Une réforme qui, il faut le dire, est en chantier depuis des années, et qui ne peut plus attendre en raison de l’état du secteur.
Ainsi, après avoir, il y a quelques semaines, modifié le système d’affectation des médecins spécialistes, Mme Baddou s’apprête à présenter en conseil de gouvernement un projet de loi-cadre relative au système de santé et à l’offre de soins. Plus simplement, il s’agit d’un texte qui définit les grands principes du système de santé et qui est relatif à la carte sanitaire.
«Nous sommes un des rares pays à ne pas disposer d’un texte relatif au système de santé et à l’offre de soins. D’une part, il faut combler cette lacune et, d’autre part, l’adoption de la carte sanitaire est l’une des deux conditions, l’autre étant la mise en œuvre du Ramed, pour l’octroi au Maroc de dons de la Commission européenne», explique une source bien informée.
Le projet de loi-cadre, il faut le préciser, est dans les tiroirs de l’Administration depuis longtemps puisqu’il s’inscrit dans la stratégie 2015 pour le secteur de la santé, élaborée du temps de l’ancien ministre Cheikh Biadilah. Les équipes du ministère ont donc décidé de le ressortir et de le dépoussiérer en vue de l’introduire dans le circuit d’adoption.
La dernière mouture a été remise, il y a une quinzaine de jours, au Conseil national de l’ordre des médecins (Cnom), révèle une source proche du dossier. Celle-ci précise qu’actuellement les conseils régionaux planchent sur le texte qui nécessite, de l’avis de certains médecins, quelques améliorations et modifications.
Comptant 37 articles répartis en sept chapitres, le projet se penche ainsi sur les principes fondamentaux du système de santé marocain, définit les responsabilités de l’Etat et des collectivités locales en matière de prévention sanitaire, précise les droits de la population aux services de santé de base et détermine l’offre de soins.
Il définit également le contenu de la carte sanitaire et de la régionalisation du système de santé, introduit le concept de l’information sanitaire et de l’évaluation de la qualité des soins et, enfin, prévoit la création d’instances de concertation au sein du ministère de la santé.
Au-delà de ces grandes lignes, le projet de loi-cadre comporte des réaménagements qui ont été longtemps revendiqués par les professionnels, en particulier ceux du secteur libéral.
Ainsi, le principe de complémentarité entre les secteurs privé et public de la santé a été introduit. Des textes d’application viendront bien sûr, une fois le projet adopté, préciser les règles du jeu de cette complémentarité.
Mais, pour l’instant, on peut retenir, comme cela est formulé dans l’article 21 de la loi-cadre, que «des modes de partenariat public-privé seront mis en place pour permettre aux médecins libéraux de participer à des missions de service public». Les établissements privés pourront également, sur la base d’un cahier des charges, participer à des actions de santé publique.
Le secteur libéral déplore l’absence d’un interlocuteur au sein du ministère
Le projet prévoit une coordination entre les deux secteurs et ceci aux différents niveaux de prise en charge ambulatoire et hospitalière, par la mise en place de filières organisées, de réseaux coordonnés de soins pour les patients atteints d’une affection exigeant une prise en charge multidisciplinaire, ainsi que de systèmes de régulation des services d’assistance médicale d’urgence.
La complémentarité ouvrira également les portes des établissements privés aux médecins du public. Une vieille idée ressassée par les cliniques qui se disent prêtes à mettre leurs plateaux techniques et leurs équipements, souvent plus sophistiqués, à la disposition des hôpitaux.
Les professionnels du secteur libéral qui, il faut le préciser, n’ont pas encore reçu officiellement le projet de loi-cadre, saluent d’ores et déjà l’idée de la complémentarité entre les deux secteurs.
Ils tiennent toutefois à signaler que cela doit «commencer au niveau de l’organigramme du ministère de la santé, qui ne comporte malheureusement pas de division ou de structure spécifique au secteur privé». Ils estiment donc ne pas avoir d’interlocuteur au sein du ministère.
La coordination entre les deux secteurs s’inscrit dans le renforcement de l’offre de soins qui concerne, selon le projet de loi-cadre, aussi bien les infrastructures que les moyens mis en œuvre pour répondre aux besoins de santé des citoyens. Selon le projet de loi, la complémentarité permettra une répartition équitable des soins entre les diverses catégories sociales et les différentes régions du pays.
D’où l’intérêt de doter le pays d’une carte sanitaire qui doit assurer une satisfaction optimale des besoins de santé de la population. La carte doit par ailleurs, selon l’article 25 du projet de loi, harmoniser la répartition géographique des équipements, corriger les déséquilibres et la croissance incontrôlée de l’offre.
Elle sera complétée par des schémas régionaux d’offre de soins. Ceux-ci consistent, est-il précisé dans l’article 29 du projet, en un outil de planification et d’organisation de l’offre de soins au niveau régional.
Ainsi seront déterminés, par préfecture ou province, les besoins en infrastructures, en équipements et en ressources humaines. Le schéma régional sera élaboré par la direction régionale de la santé concernée et sera revu, tous les cinq ans, en cas de changement majeur de la carte sanitaire.
Le privé prêt à soigner les populations du Ramed
Si le texte est adopté, l’implantation de tout établissement de santé public ou privé devra respecter les orientations du schéma régional. Et ceci en vue de garantir l’égalité d’accès et de traitement à la population.
Les professionnels adhèrent totalement à ce principe, selon un des syndicats du secteur libéral qui estime que «la carte sanitaire est obligatoire car on ne peut plus continuer à concentrer 70% de la force sanitaire dans un seul et unique axe géographique».
Cependant, les professionnels du secteur libéral estiment que «le chantier ne relève pas exclusivement du ministère de la santé, mais plutôt de l’Etat car il faut assurer les infrastructures nécessaires pour une vie décente des personnes qui accepteraient de s’installer dans des régions éloignées du pays».
Toutefois, les professionnels notent que l’on peut d’ores et déjà commencer par les régions accessibles afin de laisser le temps aux régions plus éloignées de se mettre à niveau.
Par ailleurs, les professionnels du secteur libéral suggèrent l’octroi d’incitations fiscales ou autres, à l’instar de ce qui se passe dans les pays européens, aux médecins du public (prime d’éloignement par exemple) et du privé (octroi de cabinet, comme en France) pour les amener à s’installer dans des régions éloignées.
Au-delà de l’égalité de l’accès aux soins, le projet de loi-cadre est également basé sur le principe de la solidarité, notamment dans son aspect financier. Pour les détails, il faudra évidemment attendre les textes d’application.
A ce sujet, les professionnels proposent un système de conventionnement avec l’Etat afin d’ouvrir aux assurés du Ramed les portes des établissements privés de soins. «Pour cette population, le secteur privé est disposé à assurer les soins à la tarification du secteur public. Et cela concerne principalement les médecins en ambulatoire», indique un professionnel privé.
Il y a cependant une ombre au tableau. Les médecins qui n’ont pas encore reçu
officiellement le projet de loi-cadre disent, sous couvert d’anonymat, regretter ne pas avoir été associés aux discussions et compter sur les groupes parlementaires pour faire entendre leur voix et apporter les amendements nécessaires au texte.
Au ministère de la santé, on tente de rassurer en expliquant que «le département a, dans un objectif de célérité, créé une commission interne spécifique pour revoir le premier projet. Contact a été pris avec le Conseil national de l’ordre des médecins, à qui le projet a été soumis, et c’est à cette instance que revient la concertation avec les syndicats».
Aziza Belouas