Bonne nouvelle pour les retardataires de… bonne foi! Le projet de loi qui proroge le délai (5 ans) d’introduire une action recognitive de mariage a été adopté le 5 mars à Tétouan par le Conseil des ministres. Trois jours avant la journée internationale de la femme.
Sur le plan législatif, ce projet vient donc de passer un cap déterminant. A préciser que, contrairement au Conseil de gouvernement, celui des ministres est présidé par le Roi. Ce détail compte: le «cachet» royal servirait à dégonfler une éventuelle surenchère politique ayant pesé sur une loi qui suscite toujours une polémique passionnée. Juridiquement, le prolongement d’une seconde période transitoire, prévue par l’article 16 du code de la famille, ne sera effectif qu’après son adoption par le Parlement. Puis sa publication au Bulletin officiel. Il y a eu en effet un premier délai accordé aux mariés qui envisageaient de régulariser leur union devant le juge. Celui-ci a couru dès l’entrée en vigueur du code de la famille, du 5 février 2004 à 2009. Cinq ans pile-poil.
La loi 70-03 prévoit que «l’acte de mariage constitue un moyen de preuve». Autrement dit il n’en est pas l’unique élément probatoire. C’est pourquoi l’article 16 précise que «lorsque des raisons impérieuses» ont empêché l’établissement de l’acte, le tribunal «admet toutes les preuves ainsi que le recours à l’expertise». Ce qui a justement poussé le législateur à instaurer l’action en reconnaissance de mariage. A part la force majeure, l’article 16 ajoute deux autres conditions. Le juge doit d’abord «prendre en considération» l’existence d’enfants ou de grossesse engendrée par la relation conjugale. Dans ce cas là, un certificat médical peut être demandé.
Le tribunal s’assure ensuite que la procédure a été introduite du vivant des deux époux. Au cas où l’un des conjoints décède, la date qui figure sur la requête introductive de l’instance permettra de vérifier que cette condition a été bel et bien respectée.
Qu’en est-il maintenant de l’application? De 2004 à 2008, un peu plus de 80.700 jugements recognitifs de mariage ont été rendus contre 1,3 million de mariages contractés. Malgré l’expiration de la période transitoire en février 2009, des demandes de reconnaissance de mariages attendent toujours un avis. Le service des Affaires civiles du ministère de la Justice estime entre 800 et 1.000 dossiers en souffrance. Pour qu’ils soient admis, ces dossiers doivent être en principe déposés avant la fin du délai légal.
Par ailleurs, l’article 16 du code de la famille a été relativement détourné par des prétendants à un mariage polygame ou avec des mineures. Sur ce point, Bennasar Bendaijou, qui chapeaute la division des Affaires judiciaires, temporise: «les demandes de mariage polygame sont beaucoup moins importantes que celles de mariage avec mineures». Sur les 1,3 million de mariages contactés, 10% se font entre mineures et à peine 0,29% pour les unions polygames.
L’homme polygame doit se plier à l’article 41 du code de la famille qui impose le principe d’équité. Le mari doit «disposer de ressources suffisantes pour subvenir aux besoins des deux foyers…». Démontrer aussi l’existence «d’un argument objectif exceptionnel», comme la stérilité de l’épouse.
Certains tribunaux ne suivent pas ce principe à la lettre. Le rapport de l’Inspection générale 2007-2008 précise que «des juges ne démontrent pas les raisons impérieuses ayant fait obstacle à la conclusion d’un acte de mariage ou s’appuient parfois sur des raisons qui ne constituent pas un cas de force majeure»! L’abus de droit est donc un fait avéré. Depuis leur création, l’Inspection a contrôlé plus de 92% des juridictions de la famille. Même si le juge refuse l’union avec une mineure, «les justiciables passent à l’acte. Ils se contentent de réciter un verset coranique en présence de témoins», selon le chef de la division Affaires judiciaires. Du coup, le tribunal se trouve souvent devant «le fait accompli». Bendaijou prévient que le «mariage des mineures n’induit pas automatiquement l’existence d’une pression sociale». Il distingue aussi entre les conditions de vie des mineures habitant en milieu urbain ou rural: abandon scolaire, pauvreté… Les statistiques des années 1990 rappellent que pour le mariage de mineures, les demandes émanent des femmes principalement (99%), sans emploi (98%) et vivant en milieu urbain (52%). La Ligue démocratique de défense des droits des femmes (LDDF) précise à son tour que le recours à une expertise (situation du mari, physiologie de la future mariée…) démontre que les «juges font preuve d’une plus grande prudence avant d’accorder l’autorisation du mariage d’une mineure». Son rapport 2007 recommande, toutefois, l’unification de la jurisprudence. En tout cas, l’action en reconnaissance de mariage est toujours d’actualité. Les tribunaux «sursoient à statuer jusqu’à ce que le délai de 5 ans soit reconduit. Sachant qu’il y a des affaires où la reconnaissance de filiation, d’héritage est également en jeu», selon Me Khalid Fakirni, avocat au barreau de Casablanca.
Si abus il y a, l’article 16 ne doit pas pour autant être stigmatisé. Car des couples mariés sans acte et ayant eu des enfants risquent d’en payer le prix. Des nouveau-nés peuvent ainsi injustement hériter du statut d’enfant naturel/illégitime. C’est donc au ministère de la Justice, via son Inspection générale, de veiller à une application rigoureuse de la loi. Les justiciables, quant à eux, peuvent toujours contrôler la légalité des jugements recognitifs de mariage auprès de la Cour suprême.
Faiçal FAQUIHI