Les accidents du travail sont régis au Maroc par une ancienne loi (dahir du 25 juin 1927) élaborée pendant le protectorat et calquée sur la loi française de 1898. Ce dahir a été modifié en la forme par un autre dahir du 6 février 1963. C’est dire que l’on est en présence d’un texte législatif qui a fait son temps, et qui est devenu sur plusieurs points, caduc et inadapté aux différentes mutations intervenues.
Ce déphasage par rapport au contexte socioéconomique du pays s’est aggravé par de mauvaises pratiques qui, au fil des années, ont fini par dénaturer l’esprit même du texte et le vider de sa substance, la véritable mission voulue par le législateur en matière de réparation des accidents du travail, à savoir les accidents qui touchent réellement l’intégrité physique de la victime et qui ont une véritable incidence sur sa capacité de travail.
En effet, l’émergence d’une sorte de «droit des victimes» impliquant «un droit à indemnité» a conduit inévitablement les magistrats à donner priorité à la victime, sans tenir compte ni des circonstances réelles de l’accident, ni des conditions de garanties d’assurances.
Les exemples à ce niveau sont multiples: il suffit de déclarer qu’en quittant son lieu de travail la victime a glissé dans les escaliers, ou par inadvertance la victime a cogné son genou contre un tiroir métallique ouvert, ou encore, sur son trajet pour le travail la victime a heurté un lampadaire de la voie publique… pour se voir accorder par son médecin traitant un taux d’incapacité généreux de 8 ou 9% donnant, bien entendu, droit à rachat d’un capital , qui servira à arrondir les fins du mois. A cela s’ajoute, bien évidemment, les fameux certificats médicaux de complaisance pour les prorogations des délais de repos.
Dès lors, comment peut-on admettre de voir une personne physique «grevée» d’incapacité professionnelle de 5, 10, ou même 20% reprendre impeccablement et sans gêne physique ou moral son travail?
Il s’en est suivi un dysfonctionnement juridique qui s’est traduit par un déséquilibre économique grave pour l’ensemble de la mutualité assurée. De ce fait, les indemnités accordées par les tribunaux en réparation du dommage consécutif à ce genre d’accident du travail ont connu une augmentation significative durant les 20 dernières années. Ce dérapage a pu avoir lieu, depuis l’instauration de la possibilité du rachat de capital pour les victimes à un taux d’incapacité (IPP) inférieur à 10%.
Il importe de signaler que, pour la même période, plus de 80% des indemnités sont versées au titre d’accidents à taux inférieurs à 10% alors qu’elles ne représentaient que 20% au début des années 80. Devant une telle situation, seule une refonte du dispositif légal actuel et seule aussi une moralisation du risque sont de nature à sauvegarder les intérêts des parties en présence, et partant de la mutualité des assurés.
Aussi, une indemnisation étroitement liée à la gravité du dommage subi, une simplification des circuits de déclaration, et une accélération de la procédure liée à cette indemnisation sont le meilleur garant pour l’équilibre économique de la couverture et pour la moralisation du risque. C’est à cela que s’est attelée une commission composée de représentants du ministère de l’Emploi, du ministère de la Justice, de la Direction des assurances et de la prévoyance sociale et de la Fédération marocaine des sociétés d’assurances et de réassurance.
Le travail de cette commission qui a duré presque une année a abouti à une refonte totale du dahir du 25 juin 1927 (et sa modification en la forme de 1963).
Ce nouveau dispositif légal qui compte seulement 197 articles a opéré une réelle mise à niveau par rapport aux lois existantes en évitant la dispersion que connaît la législation actuelle et qui compte plus de 340 articles. En effet, le dahir du 25 juin 1927 a connu plusieurs modifications.
De plus, ce projet de texte a fait l’objet d’une série de consultations entre les assureurs et les partenaires sociaux qui ont parfaitement compris son apport positif. C’est ainsi que tout en améliorant un certain nombre de prestations servies aux victimes, et à leurs ayants droit, le projet ne prévoit pas de charges supplémentaires à l’encontre des employeurs. Il ne remet pas en cause non plus les acquis des victimes des accidents du travail.
Il n’entre pas dans mon propos de me livrer à une analyse exhaustive de ce nouveau texte, mais il serait toutefois judicieux de faire ressortir les points saillants qui le caractérisent.
Nul doute que l’un des principaux changements introduits sera incontestablement l’allégement des procédures de déclaration de l’accident du travail. En effet, le passage des victimes par les autorités locales qui se chargent de l’acheminement des dossiers au tribunal est supprimé ; ce qui est de nature à réduire considérablement les délais. Du reste, cette préoccupation de raccourcissement des procédures et des délais qui leur sont liés, est perceptible dans tout le texte. C’est ainsi que les dispositions de l’article 14 du projet de loi stipulent que la victime d’un accident du travail ou ses ayants droit sont tenus d’informer l’employeur ou un de ses représentants le jour même de l’accident ou dans les 48 heures maximum, sauf cas de force majeure. Pour sa part, l’employeur doit saisir la compagnie d’assurances dans un délai maximum de 5 jours. Autrement dit, la déclaration sera faite par l’employeur à l’assureur.
Un autre changement de taille est afférent à la mise en place d’une procédure de conciliation à l’amiable.
Faut-il rappeler à ce titre que le recours systématique et obligatoire au juge pour statuer sur tout dossier accident du travail, minime soit-il et sans réelle perte des aptitudes de la victime, a fini par conduire à un engorgement des tribunaux avec toutes les contraintes qui y sont liées.
L’expérience a démontré que la durée moyenne de clôture d’un dossier accident du travail devant le tribunal social est de 2 à 3 ans. Cette procédure obligatoire tend à précariser la situation matérielle des victimes des accidents du travail, qui doivent attendre 3 ans, voire plus pour être indemnisées. Devant cette situation, il a été procédé à l’introduction d’une procédure de conciliation à l’amiable préalable, à l’instar de ce qui est fait en matière d’accidents de la circulation, dans le cadre du dahir du 2 octobre 1984. L’article 132 du projet de loi rend obligatoire cette procédure de conciliation. Les tribunaux devant constituer un dernier recours. Une telle procédure permettra, à coup sûr, d’alléger l’appareil judiciaire des affaires accidents du travail et de contribuer inéluctablement à l’amélioration de la situation matérielle des victimes par l’économie de temps et de frais éventuels de procédure.
Le fait aussi que l’assurance accident du travail devient obligatoire, implique, d’une part, que l’employeur sera systématiquement associé à la déclaration de l’accident et d’autre part, que l’action directe de la victime n’a plus lieu d’être.
Au niveau des prestations, le nouveau projet a introduit un certain nombre d’améliorations substantielles. C’est ainsi que la limite d’âge sera abandonnée pour les orphelins handicapés. Autrement dit, ils bénéficieront d’une rente à vie. La rente sera aussi maintenue pour l’enfant orphelin jusqu’à l’âge de 18 ans (contre 16 ans actuellement) s’il suit une formation professionnelle et jusqu’à 26 ans s’il suit des études supérieures. Quant aux veuves, elles auront droit à une rente de 50% du salaire annuel de la victime quel que soit leur âge. La rente servie actuellement est de 30% avant l’âge de 60 ans et de 50% au-delà.
Par ailleurs, la pratique a mis au grand jour des abus liés à l’application de l’astreinte d
ans des circonstances où les contestations des assureurs sont largement fondées. Il était donc absolument indispensable de circonscrire juridiquement dans le corps du projet de texte, l’application de l’astreinte et en tout état de cause de la plafonner, quel que soit le niveau de la rente.
Faut-il rappeler à ce titre que le rôle premier de l’assureur est la mutualisation des risques. Le prix de l’assurance n’est que la résultante du coût du risque constitué par l’indemnisation des sinistres. Aujourd’hui, ce nouveau texte de loi qui a été fin prêt, il y a bientôt deux ans, se trouve au stade du secrétariat général du gouvernement.
Certes, nul n’ignore la lourde tâche de ce département ministériel devant le nombre croissant des textes qui lui sont soumis, mais l’importance de l’apport de ce projet sur les accidents du travail pour la victime et pour ses ayants droit, et sa connotation hautement sociale exige, aujourd’hui plus que jamais, qu’une priorité absolue lui soit accordée.
IPP: Trop d’abus
Sur un autre registre et afin de stopper l’hémorragie des IPP de «complaisance» et de faire face aussi aux différents abus qui résultent de la détermination des taux d’IPP par le seul médecin traitant, l’article 23 prévoit qu’en cas d’incapacité permanente, le médecin traitant et le médecin conseil de la compagnie d’assurances doivent délivrer un certificat médical indiquant le taux d’IPP conformément au décret du ministère de l’Emploi et celui de la Santé. En cas de désaccord, le texte autorise l’assureur et la victime de l’accident du travail à recourir à l’arbitrage d’un médecin spécialiste. La détermination objective du taux d’IPP par ce collège de médecins experts serait le meilleur garant d’un traitement équitable pour la victime. Il serait aussi le meilleur moyen de bannir les cas de fraude et les taux d’IPP de complaisance, qui ont pollué les bonnes pratiques de l’expertise médicale. Il serait enfin la meilleure garantie pour traiter équitablement les accidents du travail qui sont réellement invalidants.