Le prochain gouvernement entamera sa première rentrée sociale par un bras de fer sans précédent avec les centrales syndicales. Ce qui ne manquera pas d’envenimer davantage les relations entre les syndicats et le chef du gouvernement. Durant ces cinq dernières années, les rapports se sont résumés à «je t’aime moi non plus» entre les deux parties. Et pour cause, avant de commencer à expédier les affaires courantes, l’exécutif sortant a déposé le projet de loi organique sur la grève, adopté par le Conseil des ministres fin septembre dernier, devant la Chambre des représentants. Ce texte, qui serre les vis, a été élaboré sans les partenaires sociaux. Pis, le chef du gouvernement n’a pas jugé utile de leur transférer une copie, en dépit de la recommandation royale de les impliquer dans la préparation de ce texte fondateur pour le monde de l’entreprise. Ce qui ne manquera pas d’ébranler les relations déjà très tendues avec les syndicats, depuis «l’enterrement du dialogue social» et l’adoption de la réforme des retraites des fonctionnaires. Pour l’heure, les syndicats affûtent leurs armes pour contrecarrer un projet qualifié de «mascarade» au moment où du côté du gouvernement, on avance que ce texte permettra de remettre de l’ordre dans l’application de ce droit constitutionnel. Les entreprises attendent depuis des années la mise en place d’une réglementation encadrant son exercice. Aujourd’hui, les centrales et le patronat aussi ont un répit de quelques mois en attendant que le Parlement accorde la confiance au prochain gouvernement. Présentes à la Chambre des conseillers, elles promettent de se mobiliser pour l’amender. Certains syndicalistes vont jusqu’à s’accrocher à une éventuelle «fibre sociale de la prochaine majorité», pour reprendre l’expression de l’un d’entre eux. Le projet de loi, qui comprend 49 articles, plante d’emblée le décor et donne un aperçu sur les intentions de l’exécutif. En voici les articles phares:
â– Recours à un médiateur: Une grande partie du texte est consacrée à la grève dans le secteur privé, via de multiples garde-fous. L’article 7 prévoit les modalités du recours à la grève qui ne peut se faire qu’après l’expiration d’un délai de 30 jours après la remise du cahier revendicatif à l’employeur. Les syndicats et l’employeur doivent mener des négociations pour trouver des réponses aux revendications. Les deux parties ont la possibilité de recourir à un médiateur pour faciliter leur tâche. En d’échec des négociations, les parties doivent mener différentes tentatives de réconciliation en conformité avec la réglementation en vigueur et des dispositions des conventions collectives. Si ces tentatives n’aboutissent pas à un résultat concret, la partie appelant à la grève devra l’appliquer dans le respect des conditions prévues dans ce texte.
â– Garanties pour les salariés. Ainsi, l’article 8 stipule que toute disposition contractuelle obligeant l’employé à renoncer au droit de grève est considérée comme nulle. Toutefois, la convention collective peut mentionner la possibilité d’une suspension du droit de grève pendant une période limitée, à condition qu’elle prévoie de régler tout conflit social qui peut naître au cours de cette durée.
â– Obstruction: L’article 9 interdit aux employeurs, à leurs organisations professionnelles et aux syndicats l’obstruction au droit de grève via la violence, la vengeance, ou tout autre moyen. Il est renforcé par l’article 13 qui prévoit des sanctions contre l’obstruction de la liberté de travail durant la grève. Personne n’a le droit d’empêcher un salarié non gréviste ou un employeur d’accéder au lieu du travail ou d’exercer son activité, via la menace, la violence ou l’occupation de l’entreprise. Une disposition bienvenue lorsqu’on pense au nombre d’usines ayant mis la clé sous la porte, asphyxiées par des occupations interdisant tout accès….
â– Protection des grévistes: De son côté, l’article 10 interdit à l’employeur de remplacer le personnel gréviste par d’autres salariés qui n’avaient aucune relation de travail avec l’entreprise avant la remise du préavis de grève. S’ils refusent d’assurer le service minimum durant la période de grève, il sera autorisé à le faire. Mais attention, en cas d’impact négatif avec rupture de l’approvisionnement du marché en produits et services de base pour les citoyens, l’employeur peut recourir à d’autres salariés pour assurer la continuité de l’entreprise durant la grève. Dans le cas contraire, les autorités locales pourront prendre les mesures nécessaires pour garantir cette continuité, comme le recours à la réquisition dans certains secteurs stratégiques, souligne un syndicaliste.
â– Exceptions: Selon l’article 28, le chef du gouvernement peut donner l’ordre, de façon exceptionnelle, d’interdire ou de stopper la grève en cas de crise nationale, catastrophe naturelle. De même, la grève peut être arrêtée via un ordre du juge des référés s’il estime qu’elle sera une menace pour l’ordre public ou qu’elle provoquera une rupture de la fourniture des services de base, selon l’article 29. Cela doit être basé sur une demande du chef du gouvernement, à l’initiative du ministre de l’Intérieur.
â– Finie la politique: L’article 5 du texte interdit l’appel à la grève pour des objectifs politiques.
â– Préavis obligatoire: Les articles 18, 19 et 32 prévoient les modalités à suivre avant de passer à l’acte, notamment l’obligation de respecter un préavis afin d’en finir avec les grèves anarchiques. En effet, les salariés d’une entreprise peuvent décider un mouvement de protestation lors d’une assemblée générale, convoquée par le syndicat 15 jours avant sa date (l’employeur doit être informé de manière officielle au moins 7 jours avant sa tenue). Un quorum des 3/4 des salariés de l’entreprise est indispensable. La décision de grève doit être prise selon le vote secret et à la majorité absolue des salariés présents. Le syndicat est tenu de préparer un PV comportant le nombre de salariés présents, leurs noms, numéros de CIN et leurs signatures.
â– Grève nationale: L’article 17 impose que le document du préavis comporte le nom du syndicat ayant appelé à la grève, les causes, le lieu, la date et l’heure du début du mouvement. L’employeur doit être informé 15 jours avant la date de la grève, selon l’article 18. Ce délai ne sera que de 5 jours si la cause du débrayage est liée au non-paiement des salaires ou à l’existence d’un danger menaçant la santé du personnel. Pour une grève nationale, le syndicat est tenu d’en informer le chef du gouvernement, les ministères de l’Intérieur, de l’Emploi et les organisations professionnelles des employeurs, dans un délai de 7 jours au moins, comme cela est prévu par l’article 19. Le département de tutelle du secteur concerné par la grève doit également être mis au courant.
â– Encadrement: Durant la grève, c’est le syndicat qui doit prendre en charge l’encadrement des grévistes, veiller, en accord avec l’employeur, à garantir la continuité des prestations de base pour éviter la dégradation des équipements et désigner les salariés affectés à cette opération, en vertu de l’article 20. En cas de désaccord, l’employeur peut faire appel à un juge des référés pour régler ce point. Il est à préciser que la grève ne peut commencer qu’après la publication de l’ordre du juge des référés. Selon le projet, le syndicat peut stopper ou annuler la grève à tout moment à la suite d’un accord entre les deux parties. Si tel est le cas, aucune autre grève autour de la même revendication ne peut être organisée, qu’après l’expiration d’un délai d’une année.
Carton rouge
Le projet de loi organise également le droit de grève dans le secteur public. Cependant, ce droit est interdit pour certains fonctionnaires dont la liste est fixée par l’article 33. Il s’agit notamment des juges, y compris ceux de la Cour des comptes, les fonctionnaires de la Défense nationale, des FAR, de la gendarmerie, de la DGSN, des forces auxiliaires et de la protection civile. Les agents d’autorité, les fonctionnaires du ministère de l’Intérieur et ceux des Eaux et Forêts (détenteurs d’armes). Autres catégories privées du droit de grève, les imams des mosquées, les contrôleurs de la navigation aérienne et maritime, les diplomates, les consuls, les fonctionnaires de la Douane et ceux de l’Administration pénitentiaire. S’y ajoutent les employés affectés à la garantie du service minimum et ceux chargés de veiller à la sécurité pendant la grève.
Service minimum
La grève est autorisée dans certains secteurs vitaux, mais à condition d’en assurer le service minimum, en vertu de l’article 34. Sont concernés le transport routier et ferroviaire, les tribunaux, la télévision, la météorologie nationale, les établissements de santé et les sociétés de production et de distribution des médicaments, de l’oxygène à usage médical. Les services vétérinaires et les départements de contrôle sanitaire aux postes frontières, dans les ports et aéroports ne sont pas en reste. Le texte oblige d’autres secteurs à assurer un service minimum comme la production et la distribution de l’eau, de l’électricité, l’assainissement liquide et solide ainsi que la collecte des ordures.
Sanctions
Le chapitre 5 prévoit plusieurs sanctions en cas de violation des dispositions de la présente loi. Ainsi, est puni d’une amende de 20.000 à 50.000 DH tout employeur ou organisation d’employeurs ou syndicat ayant privé un salarié de son droit à la grève, selon l’article 36. La sanction est allégée lorsqu’il s’agit d’un salarié qui a commis la même faute (entre 2.000 et 5.000 DH). De même, un employeur devra payer une amende de 20.000 à 50.000 DH s’il a remplacé les salariés grévistes par d’autres, comme le note l’article 37.
Mohamed CHAOUI
"Lire l’article sur le site de l’auteur :" http://www.leconomiste.com/article/1005803-loi-sur-la-greve-les-details-du-projet?utm_source=newsletter_25282&utm_medium=email&utm_campaign=loi-sur-la-greve-les-details-du-projet