Protection du consommateur : Des lois sans procédures d'application

Protection du consommateur : Des lois sans procédures d'application

Publié le : - Auteur : Economie et Entreprises
Le groupe parlementaire USFP amorce une seconde tentative pour faire passer son projet de loi de protection du consommateur. En 2005, le premier essai, infructueux, avait débouché sur un débat stérile. Mais l’histoire remonte encore plus loin. En effet, en l’an 2000, déjà, le ministère du Commerce avait entamé une consultation nationale à ce propos qui intégrait les différents acteurs et surtout les associations de défense du consommateur.
Ce travail avait débouché sur une mouture de loi-cadre qui, malheureusement, s’est perdue dans les méandres du secrétariat général du gouvernement.
Cependant, il ne faut pas croire que le Maroc connaît un vide juridique sur la question de la protection du consommateur. Au contraire, il existe une pléthore de textes de loi qui couvrent bon nombre d’aspects relatifs à cette question. Seule une loi-cadre reprenant les grandes lignes des principes onusiens fait défaut. Les textes existent donc, quoique de façon disparate, c’est leur applicabilité qui reste toute relative. Les organismes en charge de l’application ne sont pas clairement définis. À titre d’exemple, une loi relative à l’interdiction de fumer existe bel et bien. Tout du moins sur le papier car, faute d’une procédure d’application, aucun organisme ne peut se targuer des prérogatives nécessaires à son application. Aussi, la loi n’a-t-elle jamais été appliquée et on peut fumer impunément partout, même là où c’est interdit, sans que l’on soit le moins du monde inquiété. Ce qui vaut pour l’interdiction de fumer vaut pour le reste. La question de l’applicabilité est dès lors peut-être autant essentielle que la loi-cadre.

Le Maroc, dernier de la classe nord-africaine

Toutefois, la symbolique de la loi-cadre est d’importance et reste incontournable sur le chemin de l’efficience de la protection du consommateur. Même si les acteurs associatifs reprochent au projet en cours d’être plus une loi de transactions commerciales qu’une loi de protection du consommateur proprement dite. Cette dernière occulte ainsi l’aspect environnemental, les denrées alimentaires et ne fait qu’effleurer la question du e-commerce. Ce projet n’est en fait qu’une énième version d’un texte obsolète. Le Maroc évolue et cette mouture de loi doit être revue en conséquence pour intégrer les mutations profondes qu’il a connues cette dernière décennie. Bouazza Kherrati, président de l’association marocaine de protection et d’orientation du consommateur, le commente ainsi: «Ce projet est une bonne chose, cependant, il ne faut pas se leurrer, ce n’est pas une loi générale et, surtout, nous dénonçons les articles 149 et 150 qui sont anticonstitutionnels.» Ces deux articles limitent le droit des associations à ester en justice. Mais quelle que soit l’appréciation des articles de loi et leur intitulé, il est plus que temps que le Maroc se dote d’une loi-cadre. Car le royaume chérifien est très en retard par rapport à ses voisins. Il est ainsi le dernier pays nord-africain à n’avoir pas encore adopté une loi générale sur la protection du consommateur. Une aberration pour un pays qui se veut benchmark régional des questions d’ordre socio-économique et en phase de décollage économique. Car, contrairement à ce que l’on peut penser, protéger le consommateur favorise le développement économique en ce que cela pousse les entreprises industrielles à affiner leur démarche qualité dans la production et la distribution de leurs produits, tout comme cela pousse les entreprises de services à se surpasser pour présenter une meilleure offre. Dans tous les cas, c’est une démarche qui ne peut que tirer vers le haut le tissu économique dans un pays où l’un des chevaux de bataille doit être la qualité.

Faire face aux lobbies
Mais si la loi a du mal à sortir du stade de projet, c’est qu’elle n’est pas du goût de tout le monde. Bouazza Kherrati dit tout haut ce que beaucoup pensent tout bas: «L’adoption de la loi est freinée par le lobbying efficace de certains industriels et, malheureusement, les quarante associations de défense du consommateur que compte notre pays sont trop éparpillées pour pouvoir faire le poids.» Les associations ne font pas assez de tirs groupés et manquent encore d’expérience. Les plus anciennes sont nées au milieu des années quatre-vingt-dix et, faute de soutien, elles ont dû faire leur apprentissage sur le tas. Avec des moyens restreints, elles doivent mener un chantier immense et faire face à des lobbies qui les dépassent en moyens et en influence. «Par moment, nous avons l’impression d’être des Don Quichotte qui livrent bataille contre des moulins à vent, mais notre détermination vient de notre conscience qu’un droit ça s’arrache», confie Bouazza Kherrati. Tout en posant la question de la légitimité, ces acteurs associatifs doivent être considérés comme des partenaires par les acteurs économiques.

Le consommateur ignore ses droits
La société de consommation a besoin de garde-fous. C’est autant dans l’intérêt du consommateur que dans celui de l’entreprise proposant un produit ou un service.
Mais le point d’orgue de tout ce débat se fait remarquer par son absence. Tout tourne autour du consommateur alors que ce dernier est loin d’être dans la revendication. Question de mentalité et plus encore de culture. Le premier intéressé n’est pas conscient des enjeux de la question de sa protection et semble ignorer qu’il a des droits à faire valoir.
L’exemple du service bancaire est à ce titre éloquent. En se rendant à son agence bancaire, le client est formaté par sa relation avec l’administration et prend les services qu’on lui facture pour des faveurs. Il ne cherche pas à consulter la liste des services facturés. Il s’estime heureux de ne pas donner de bakchich pour avoir un simple relevé d’identité bancaire.

La sensibilisation des consommateurs, un vaste chantier
Le chemin vers la prise de conscience du consommateur est encore long. Il faut donc sensibiliser ce dernier et le pousser à adapter sa mentalité au droit à sa protection. L’État et les associations ne peuvent se substituer à lui indéfiniment. Il doit apprendre à défendre ses droits tout seul et à demander des comptes dès lors qu’il débourse ses deniers. Ce vaste chantier de sensibilisation incombe autant aux associations qu’à l’État. Bouazza Kherrati avance dans ce sens: «Chaque année, nous mettons en place un programme comprenant des actions de sensibilisation; le jour où le consommateur lambda refusera un yaourt qui ne sort pas du réfrigérateur, on aura fait un grand pas.»
Plus important encore, il faut apprendre au consommateur à cesser de responsabiliser les autres et à commencer par lire les contrats qu’il signe. C’est par des actes de cette nature qu’il arrivera à faire valoir ses droits plus encore que par une foison de textes législatifs qui dorment dans les tiroirs ministériels.
Une nouvelle expérience qui commence à fleurir aux quatre coins du royaume peut avoir une influence certaine. En effet, des guichets de conseil et d’orientation voient le jour et leur impact est déjà visible après quelques mois.
Un seul guichet à Kenitra a recensé pas moins de 780 requêtes en six mois et le phénomène prend de l’ampleur puisque l’expérience s’élargit à d’autres villes, Casablanca, Rabat, Meknes, Oujda… Espérons que ce sera le premier pas sur le chemin de la prise de conscience du consommateur.

  Par Aziz Saidi

Source : http://www.economie-entreprises.com/adr.php?n=134 

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