LES statistiques 2004-2008 relatant l’activité des juridictions administratives sont de redoutables indices! Pour les administrations surtout. Rappelons que la création des tribunaux administratifs remonte à 1994 et la première cour d’appel administrative a vu le jour à Rabat le 14 septembre 2006.
L’an dernier, 13.401 jugements ont été rendus en première instance, soit plus de 4% par rapport à 2007. Les juridictions administratives de Rabat et les tribunaux de Casablanca, Fès, Meknès et Oujda statuent dans plus de 95% des litiges. Sachant que le ministère de la Justice ne prend pas en compte la circonscription judiciaire de Marrakech. Qui dispose pourtant de la seconde des deux uniques cours d’appel administratives. En 2008 toujours, l’expropriation pour cause d’utilité publique (2.231), responsabilité administrative (1.885), impôt (1.629), abus de pouvoir (1.252), recouvrement des créances publiques (276), contrats administratifs et marchés publics (249)… figurent en têtes des litiges enregistrés auprès des tribunaux administratifs. La montée en puissance de ce type de contentieux «prouve que les garanties reconnues aux citoyens face à l’administration sont effectives», commente le directeur des études, coopération et modernisation du ministère de la Justice, Abdelmjid Rhomija. N’empêche que la consécration progressive des droits des administrés titube encore surtout lorsqu’il s’agit d’exécution des décisions de justice.
Le Pr. Hassan Ouazzani, auteur de plusieurs ouvrages sur le droit administratif et enseignant à la faculté de Casablanca, estime que «les juridictions administratives ont réalisé un bilan positif. Les justiciables recourent d’ailleurs plus au juge qu’à Diwan Al Madhalim. Toutefois, l’exécution des décisions de justice reste un point noir».
Le rapport 2007-2008 de l’Inspection générale du ministère de la Justice confirme.
Ainsi, 8 sur les 137 plaintes transmises par Diwan Al Madhalim au ministère de la Justice impliquent l’administration. En revanche, les magistrats-inspecteurs relèvent des obstacles liés à la notification et à l’exécution des jugements particulièrement dans le milieu rural. Administrations et établissements publics sont récalcitrants à se plier aux décisions des juges. Surréalistes: des fonctionnaires coupables de déni de justice! Pis encore. «Près de 43% des administrations sollicitées se sont abstenues de répondre aux requêtes du Diwan», poursuit le dernier rapport de l’ombudsman marocain. Ces constats peuvent être corroborés par les affaires où la responsabilité de l’administration (665), et donc de l’Etat, est mise en cause. Mais aussi par les litiges liés aux contrats administratifs et aux marchés publics. Là aussi l’académicien relève qu’il y a un «problème de formation», «d’ignorance du droit»… Ce que traduisent discrètement beaucoup d’organigrammes: pas de directions juridiques en bonne et due forme. Le secrétariat général du gouvernement en connaît un rayon.
Le contentieux fiscal est également en première ligne dans les affaires traitées par le juge administratif. D’autant plus qu’en 2007, «le produit de l’impôt sur la société a dépassé pour la première fois celui de l’impôt sur le revenu…», d’après la Direction générale des impôts. En 2008, la tendance s’est confirmée avec un IS de plus de 58% contre 41% pour l’IR.
Quant aux expropriations pour cause d’utilité publique, elles sont légalement déclenchées par un ministère, une collectivité locale ou un établissement public. Souvent le contentieux porte sur l’illégalité de la procédure ou le montant de l’indemnisation accordée. «L’irrespect des règles de l’utilité publique est qualifié comme une voie de fait», selon un récent arrêt de la Cour suprême. Cette irrégularité porte ainsi atteinte aux libertés individuelles et au droit de la propriété. «Il faut saisir la réforme de la justice pour ajouter 2 cours d’appel et d’autres tribunaux administratifs», souligne Pr. Ouazzani.
Sans succomber au mimétisme juridique, le Conseil d’Etat français est la plus haute instance de l’ordre administratif et la Cour de cassation l’est au sein de l’ordre judiciaire. Au Maroc, la Chambre administrative de la Cour suprême statue en dernier ressort. Une particularité de notre organisation judiciaire. Mohammed Jalal Essaid, professeur et ancien président du Parlement, pense que «la réforme s’imposera probablement le jour où l’ensemble des provinces et préfectures seront dotées de tribunaux et cours d’appel administratives…». Ce qui n’est pas encore le cas.
Faiçal FAQUIHI