Domiciliation d’entreprises: L’épée de Damoclès

Domiciliation d’entreprises: L’épée de Damoclès

Publié le : - Auteur : l'économiste

La réglementation de la domiciliation d’entreprises fait partie des mesures prises par le gouvernement pour améliorer le climat des affaires. La loi a été publiée au Bulletin officiel, mais les décrets d’application se font toujours attendre. L’un des apports de cette loi controversée, dont certains contestent d’ailleurs l’intérêt, porte sur l’encadrement de la responsabilité et de la solidarité fiscales. Le respect de certaines dispositions dégage la responsabilité du domiciliataire (Cf. L’Economiste n°5215 du 22/02/2018).

Cependant, la loi a laissé une grande zone d’ombre qui implique la responsabilité des conseils (experts-comptables, comptables agréés, centres d’affaires ou de domiciliation…). En effet, le texte n’a pas prévu de dispositions sur le traitement fiscal et juridique de centaines de sociétés domiciliées avant la publication de la loi au Bulletin officiel et qui ne donnent plus signe de vie depuis des années. Ce qui veut dire aussi qu’elles ne déposent plus de déclarations fiscales et se font taxer d’office.

Dans ce cas, l’administration fiscale a tout le loisir d’activer l’article 93 du code de recouvrement des créances publiques. Ce dernier stipule que les domiciliataires demeurent redevables des créances publiques en cas de défaillance des contribuables concernés. Par conséquent, les conseils qui domicilient des entreprises risquent à tout moment de se voir sommés de s’acquitter des impôts et toute autre créance publique en lieu et place des sociétés domiciliées.
Dans le même temps, ils ne peuvent mettre fin à la domiciliation qui exige un transfert de siège social. La société domiciliée devant passer par une assemblée générale.

La seconde option pour rompre un contrat de domiciliation suppose la radiation du domiciliataire du registre de commerce de la structure domiciliée.
Pour dégager leur responsabilité dans les domiciliations consenties, certains conseils introduisent une action en justice. Une procédure qui prend en général un à deux mois et qui permet d’obtenir la radiation des sociétés inactives de leur registre de commerce. La procédure coûte en moyenne 3.000 DH par dossier en frais d’avocat sans oublier une taxe judiciaire de 100 DH.

Les sociétés qui cessent l’activité pour laquelle elles ont été inscrites au registre de commerce pendant trois ans sont radiées d’office (article 54 du code de commerce). Mais, selon les professionnels, les tribunaux de commerce ne prennent jamais l’initiative d’acter cette situation. «Il faut toujours que ce soient les domiciliataires ou toute autre partie y ayant un intérêt qui requièrent la radiation». Reste à savoir quelle serait la position de l’administration fiscale en cas de contrôle. Reconnaîtrait-elle cette démarche et déchargerait-elle le domiciliataire de toute responsabilité fiscale?

Par conséquent, tant qu’aucune de ces démarches n’a été activée, la domiciliation continue de se renouveler par tacite reconduction et de produire ses effets, notamment en matière fiscale. Pendant ce temps, elle fait peser une réelle épée de Damoclès sur la tête des domiciliataires. En effet, «cette solidarité entre le domicilié et le domiciliataire pourrait rendre ce dernier redevable d’une charge fiscale sans commune mesure avec ses facultés contributives, ce qui questionne par rapport à sa conformité à l’article 39 de la Constitution», confie un conseil.  Et d’ajouter: «Si d’aucuns utilisent la domiciliation pour se soustraire à leurs obligations fiscales, il ne faut pas pénaliser la majorité et priver le pays d’un instrument qui peut favoriser la création d’entreprises et d’emplois. Et ce, d’autant plus que l’administration dispose des moyens de se retourner contre la société domiciliée, voire contre ses dirigeants».

Pour le conseiller juridique, «la domiciliation n’avait pas à être élevée au rang de profession réglementée, laquelle requiert un diplôme ou une expérience qui garantissent un certain niveau de compétence. Ce qui n’est pas le cas de la domiciliation, qui avait besoin, tout au plus, que sa portée juridique soit précisée notamment par rapport à la notion de fonds de commerce dont le siège social est une composante essentielle».

Pour favoriser la création d’entreprises, le gouvernement gagnerait à faciliter la domiciliation en l’ouvrant, par exemple, aux Chambres de commerce qui pourraient ainsi augmenter le nombre de leurs adhérents, encadrer les nouveaux entrepreneurs tout en drainant de nouvelles recettes.

Les professionnels proposent que l’article 93 du code de recouvrement des créances publiques soit revu de manière à neutraliser la responsabilité des domiciliataires en cas de défaillance de la société domiciliée. Ils recommandent également au ministère de la Justice de définir un plan de liquidation du passif.

Une approche qui permettra par ricochet l’assainissement des bases de données de l’administration.

Nouvelles obligations

«Pour éviter de se retrouver avec des sociétés inactives, nous établissons un contrat de domiciliation sans préciser la mention “renouvelable par tacite reconduction”. Ce qui oblige les responsables de la société domiciliée à signer chaque année un nouveau contrat», confie le dirigeant de l’un des plus grands centres d’affaires à Casablanca. Ce dernier recommande d’ailleurs, comme le prévoit la nouvelle loi sur la domiciliation, d’envoyer à la Direction générale des impôts, aux tribunaux de commerce, à la Douane et à la Trésorerie Générale du Royaume la liste des sociétés n’ayant pas renouvelé leur contrat de domiciliation et ce, dans un délai d’un mois. De plus, les domiciliataires sont tenus de transmettre aux mêmes administrations avant le 31 janvier de chaque année, la liste des sociétés domiciliées.

Par : Hassan EL ARIF

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