Où en est le décret sur les syndics judiciaires ? Sera-t-il enterré au même titre que le classement Doing Business ? En dévoilant son agenda pour l’année 2022, le nouveau ministre de la Justice a énuméré la liste d’une vingtaine de projets sans évoquer ce texte très attendu par la communauté des affaires.
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Le décret est censé parfaire la dernière réforme du cadre relatif aux difficultés de l’entreprise. Il est cité par la loi 73.17 modifiant le livre V du Code de commerce. Celle-ci est en vigueur depuis 2018, à l’exception de l’article 673. Lequel devra fixer « les aptitudes nécessaires à l’exercice des missions du syndic et les honoraires qu’il perçoit ».
L’application de cette disposition reste tributaire de la publication d’un texte réglementaire qui, trois ans après, peine à voir le jour.
Les enjeux sont considérables : organe central dans ce type de procédures, le syndic judiciaire intervient dans les heures les plus sombres d’une entreprise, dont il est supposé piloter le sauvetage. Il s’agit d’abord de professionnaliser cette mission en la rendant plus sélective, mais aussi de combler le vide caractérisant la question de la rémunération.
Accessoirement, il s’agissait aussi, pour le Maroc, d’améliorer son indicateur « règlement de solvabilité » dans le classement Doing Business, depuis abandonné par la Banque mondiale. Cet objectif devenu désuet, des observateurs craignent que le décret ne soit plus une priorité.
Pour l’heure, le texte n’a toujours pas atterri au Secrétariat général du gouvernement. « Le projet de décret est en cours de préparation », assure une source autorisée au ministère de la Justice, contactée par Médias24. « Il sera soumis à des consultations avec les parties concernées, avant sa finalisation et son introduction dans la procédure d’adoption », ajoute notre interlocuteur, sans s’attarder sur un agenda précis.
Médias24 a eu accès au contenu d’une première mouture, un « draft » élaboré sous Mohamed Benabdelkader, alors ministre de la Justice. Le texte a été rédigé en collaboration, entre autres, avec le Comité national de l’environnement des affaires.
Honoraires correspondant à 5% sur le produit de la liquidation
Alors qu’il ne s’agit que d’un brouillon, des praticiens qui l’ont consulté s’alarment déjà quant à son contenu. La partie concernant les honoraires suscite plus particulièrement les réserves. À titre d’exemple, sur une procédure de liquidation, le texte fixe les honoraires à 5% du produit net issu de la cession des actifs de l’entreprise et des sommes encaissées ou recouvrées.
Admissible dans les petits dossiers, ce pourcentage peut atteindre des proportions insoupçonnées dans des affaires d’envergure. Le cas de la Samir est édifiant : les actifs de cette raffinerie en liquidation ont été estimés, en 2017, à 21,6 milliards de dirhams. Aujourd’hui, on espère une vente autour de 18 à 20 milliards de DH. En appliquant le taux cité plus haut, cela correspond à des honoraires autour de 900 MDH à 1 MMDH.
Dans la sphère judiciaire, c’est une hypothèse qui fait bondir jusqu’aux bénéficiaires potentiels. Cet expert exerçant fréquemment les missions de syndic insiste sur la nécessité de « plafonner les honoraires ». Le texte, lui, évoque un seuil minimum (6.000 DH quel que soit le produit de la vente), mais pas de plafonnement.
Le syndic viendrait ainsi concurrencer fortement le reste des créanciers, sachant que sa créance serait considérée comme prioritaire puisque née après le jugement de liquidation.
« Le pourcentage peut paraître excessif, mais il faut savoir que les grands dossiers comme la Samir constituent des exceptions », soupèse cet avocat au barreau de Casablanca. Lui-même représente un des plus importants créanciers du raffineur, dans ce qui est considéré comme la plus grosse affaire de liquidation de l’histoire du Maroc.
Sans valider les paramètres proposés dans la mouture, notre interlocuteur explique toutefois qu’une bonne rémunération peut « pousser les syndics à mieux s’investir dans les dossiers de liquidation, à fournir plus d’efforts dans la prospection des investisseurs, etc. », ajoute notre source.
Surtout, c’est une« manière d’inciter les grands cabinets d’expertise à s’intéresser à ce type de procédures », poursuit l’avocat d’affaires. Son confrère abonde dans ce sens, précisant qu’« au-delà de l’aspect pécuniaire, qui est certes important, le vrai sujet concerne le choix du syndic ». Un choix décisif dans des dossiers souvent voués à l’échec.