Les horizons sont divers, et le reproche unanime. Le secteur de l’affichage publicitaire est en pleine anarchie. Et c’est le vide juridique qui caractérise la filière qui est systématiquement avancé pour expliquer la situation. A chaque fois que les autorités tentent d’assainir, la résistance s’organise. Pourtant, le secteur connaît un excellent développement si l’on croit l’évolution des chiffres dont dispose L’Economiste (voir tableau). Mais l’opacité qui caractérise la majeure partie des sociétés d’affichage urbain rend difficile une évaluation chiffrée du secteur.
Selon les dernières données par exemple, le plus gros opérateur (FC Com) participe pour près de 40% dans le chiffre d’affaires global des plus importantes sociétés d’affichage publicitaire. En revanche, et pour ce qui est de l’impôt sur les sociétés (IS), ce même opérateur contribue pour 80% du total des IS versé par les autres sociétés.
L’absence de textes pour réglementer le secteur est donc le premier argument avancé par les professionnels interrogés. Ces derniers n’hésitent pas à rappeler que «le seul texte qui régit l’affichage remonte aux années 40 et traite des panneaux de réclame et d’enseigne». Pour y remédier, les autorités ont fait appel aux chartes communales de 1976 et 2002 pour tout ce qui est réglementation de l’occupation des espaces publics. Cette charte prévoit, pour l’occupation du domaine public, une délibération du conseil municipal et l’approbation du département de tutelle. «Mais cette charte est loin d’être appliquée dans la pratique. Les communes ne se réfèrent presque jamais à leur département de tutelle. Pire encore, elles continuent à donner des autorisations d’occupation alors que c’est interdit», s’indigne un afficheur de Casablanca.
Malgré l’absence d’une législation propre à l’affichage publicitaire, le secteur a cru voir les prémisses d’une réglementation à trois reprises. Mais dans les trois cas, il n’en fut rien. La première tentative remonte à 2001. Cette année, Ahmed Midaoui, alors ministre de l’Intérieur, adressait une circulaire aux présidents des communes pour «les inciter à respecter les procédures de délibération du conseil et l’approbation de la tutelle. Les communes devaient aussi établir un plan de situation pour veiller sur l’esthétique de la ville». Deux ans après, voyant que la première circulaire n’a pas eu l’effet escompté, le ministère de tutelle, dirigé alors par Mustapha Sahel, diffuse une seconde circulaire. Cette fois-ci, le département de l’Intérieur s’attaque aux modes d’attribution des autorisations d’occupation du domaine public. «La note obligeait les présidents des conseils communaux de laisser tomber l’entente directe dans l’attribution des autorisations pour l’appel d’offres avec des dossiers techniques et administratifs», se souvient un afficheur de la capitale. Mais, poursuit-il, «les communes ont mal compris et ont accordé plus d’attention au dossier financier et aux redevances». Reste que cette politique n’a pas bien fonctionné, parce que l’affichage publicitaire ne représente, à ce jour, pas plus de 1% du chiffre d’affaires de la commune urbaine de Casablanca par exemple. «Les présidents des communes ont donné une grande importance au volet financier et ont délaissé le technique et l’esthétique. Résultat des courses, certaines villes sont horribles avec des panneaux publicitaires partout et les recettes ne suivent même pas», confie une source au ministère de l’Intérieur.
En 2005, l’heure est grave. L’anarchie est à son comble et le ministre de l’Intérieur Chakib Benmoussa adresse une circulaire (encore une) à tous les présidents des communes. Le message est clair: aucune autorisation d’occupation du domaine public ne doit être accordée en attendant une loi pour bien régir ce secteur en pleine confusion. Et encore une fois, les communes ne respecteront pas le message et «des autorisations sont octroyées chaque jour sans aucun respect des procédures». La ville de Fès, dont le Conseil «délivrerait des autorisations d’occupation du domaine public sans se référer à sa tutelle», est d’ailleurs un exemple souvent cité. En effet, lorsqu’une dérogation est octroyée, elle doit normalement l’être par appel d’offres et non de gré à gré.
Contacté par L’Economiste, Taoufiq Naciri, chef de la division des autorisations commerciales au sein du Conseil de la ville, explique que «la métropole respecte à la lettre la dernière circulaire». «Depuis 2006, nous n’avons octroyé aucune autorisation pour occuper le domaine public à travers des panneaux publicitaires». La division qu’il dirige se contente de la gestion des 1.400 panneaux déjà existants.
L’interdiction d’octroyer de nouvelles autorisations ne décourage pas les afficheurs. Pour faire face aux sollicitations des annonceurs, ceux-ci recourent de plus en plus aux domaines privés. «Les afficheurs concluent des contrats avec les syndics des immeubles pour l’installation d’une bâche ou d’un toit publicitaires. Ils doivent néanmoins payer une redevance à la ville pour l’installation de leurs bâches publicitaires», explique Naciri. La redevance, qui est régie par la fiscalité locale, varie d’une ville à l’autre et même d’une commune à l’autre. Pour la commune d’Anfa par exemple, les afficheurs doivent payer 100.000 DH par bâche publicitaire de 50 m2. L’afficheur doit payer 900 DH par m2 supplémentaire.
L’anarchie qui règne dans le secteur de l’affichage ne semble pas inquiéter les annonceurs outre-mesure. En effet, la «passivité» du Groupement des annonceurs du Maroc (GAM) qui dispose d’un moyen de pression efficace pour assainir le secteur irrite quelques afficheurs. «Il suffit que les annonceurs le décident et tout sera réglé. Le GAM doit tout simplement obliger ses adhérents à n’avoir recours qu’à des sociétés homologuées par le département de tutelle et qui payent donc leurs redevances. Les afficheurs qui ne payent pas n’auront plus de publicité et ils seront obligés de se conformer aux règles s’ils veulent continuer d’exister». Pourtant, une tentative a bien été initiée en 2002 entre le puissant GAM et le wali du Grand Casablanca (Driss Benhima). «Cette initiative visait à mettre en place l’équivalent d’un système de chaînage entre les panneaux pour éviter le surencombrement de l’espace urbain. Cette démarche est restée sans lendemain», se rappelle un ex-cadre de la wilaya.
Youness Sbihi, président sortant du GAM, ne partage pas cet avis. «Notre groupement n’est pas là pour gérer les problèmes de nos partenaires afficheurs. Nous sommes prêts à discuter avec les associations professionnelles comme nous l’avons fait avec les agences de communication. Mais on ne peut tout de même pas régir et légiférer dans un secteur qui n’est pas le nôtre», souligne Sbihi. Selon lui, le Groupement ne peut en aucun cas obliger les annonceurs à traiter avec des entreprises d’affichage au dépens d’autres. «Car il ne faut pas oublier que nous sommes concurrents au sein du GAM et chaque annonceur essaye d’avoir le meilleur emplacement et les meilleurs tarifs». Les afficheurs devront donc se faire une raison: les annonceurs ne viendront pas à leur secours! Seul un texte de loi pourrait leur garantir un environnement concurrentiel sain.
Un seul afficheur par ville
Londres, Paris, Madrid… les grandes métropoles européennes ont majoritairement opté pour un seul afficheur par ville. «Pourquoi mettre un seul gestionnaire délégué par ville pour l’eau et l’électricité et plusieurs gestionnaires des espaces publics pour l’affichage», demande le patron d’une société d’affichage. Selon lui, l’idée d’un seul afficheur par ville devrait être le socle du texte législatif censé réglementer la profession. Même si l’idée ne plaît pas beaucoup aux annonceurs pour des raisons évidentes de monopole, elle présente néanmoins des avantages sur plusieurs plans. A commencer par l’harmonie de l’espace urbain. Et l’exemple de Casablanca est, à ce titre, très édifiant…
Jihad RIZK
Source : http://www.leconomiste.com du 6 juin 2008