Des statistiques ahurissantes! «Sur les 377.092 personnes présentées à la justice l’année dernière, plus de 21% sont en détention préventive. C’est un chiffre élevé et il l’était encore plus les années passées», d’après Abdelouahed Radi, ministre de la Justice. Durant les six premiers mois de 2009, ils sont par ailleurs 14.364 personnes qui, en attendant l’instruction de leurs dossiers ou la fin de leur procès, croupissent derrière les barreaux.
Pourtant, l’article 152 du code de procédure pénale accorde à la détention préventive un statut de «mesure exceptionnelle». En principe, elle ne peut excéder les deux mois et peut être prolongée cinq fois pour la même période (2 mois), soit dix mois au total. C’est le juge d’instruction qui prend par ordonnance motivée cette mesure. Par contre, si un procès est déjà en cours, c’est plutôt la Cour qui décide d’accorder ou non la liberté provisoire. Evidemment, les juges de siège exigent des garanties telles que le contrôle judiciaire ou la caution.
Toutefois, jusqu’au 9 novembre dernier, les pénitenciers du Royaume ont accueilli plus de 76.000 détenus dont près de la moitié en détention provisoire! Aberrant, si on sait que nos prisons sont surpeuplées de 1 à 1,5 m2 par personne alors que la moyenne internationale est de 10 m2. A ce titre, le plan ministériel 2008-2012 prévoit la construction de 11 pénitenciers. L’on compte aussi un surveillant pour 11 prisonniers, d’où aussi la problématique de la sécurité carcérale. Quant à la ration alimentaire d’un détenu, elle ne dépasse pas 5 DH/jour! Pis encore, les «budgets» médicament et hygiène sont respectivement de 0,60 et 0,20 centime.
Dans le cas de la détention préventive, sommes-nous face à un abus de procédure?
Le ministre de la Justice estime que «c’est un gros problème causé en partie par la sévérité de certains juges et procureurs du Roi…». Il a évoqué aussi lors de son exposé devant la commission législation et justice parlementaire, le 11 novembre à Rabat, le poids de la culture «qui émane de la pression sociale et de l’esprit de vengeance».
L’avis de Mostafa Fares, président de l’Amicale Hassania des magistrats, va presque dans le même sens lorsqu’on l’interroge sur les réformes les plus urgentes en matière pénale(1): «Réfléchissons sur les peines alternatives: la prison n’est pas toujours la bonne solution. Le recours automatique à la détention provisoire doit être banni au profit du paiement d’une caution ou d’une interdiction de quitter le territoire…», estime le magistrat.
Le rapport 2007-2008 de l’Inspection générale du ministère de la Justice révèle des abus. Ce sont 40 juridictions inspectées par des présidents de chambres près de la Cour suprême, soit 37% des instances judiciaires. L’Inspection, menée par Driss Bichr, a constaté auprès des procureurs du Roi, juges d’instruction et de siège un «manque de rationalisation dans les décisions de détentions préventives; le non-recours aux règlements amiables…». Même les décisions de prolongation de la détention ne mentionnent pas l’avis du parquet. C’est pourtant une condition obligatoire selon l’article 153 du code de procédure pénale. Sinon, il y a vice de forme.
Il faut noter aussi qu’un magistrat traite mensuellement 800 dossiers et n’a en moyenne que 7 minutes à consacrer à chacun d’eux.
Lorsqu’on évoque la détention préventive, le cas des trois frères Jazouli est typique! Ces «notables sont en détention préventive depuis le 24 mars dernier», selon leur avocat, Me Réda Oulamine. La 2e audience est fixée pour mi-décembre à la Cour d’appel de Beni Mellal. A l’origine du procès, une plainte datant de juillet 2008: occupation illégale de terrain d’autrui et complicité de faux et usage de faux.
Or d’après la défense, «le terrain a été acquis par acte notarial en février 2008. De plus, il a été exploité pendant 30 ans par leur père…».
Au-delà de savoir qui a tort et qui a raison, l’opportunité de maintenir les frères El Jazouli en détention préventive soulève chez Me Oulamine des interrogations. Une demande de liberté provisoire lui a déjà été refusée par les juges.
Faiçal FAQUIHI
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(1) Voir notre interview «Plus de proximité et moins de répression», L’Economiste, édition du 14 septembre 2009.