Une première jurisprudence sur l’état d’urgence sanitaire

Une première jurisprudence sur l’état d’urgence sanitaire

Publié le : - Auteur : L'economiste.ma

L’état d’urgence sanitaire annoncé (1) par les autorités marocaines ainsi que les mesures prises contre la propagation du Covid-19 ont soulevé un débat juridique essentiellement au niveau de leur mise en œuvre. Les tribunaux marocains ont eu l’occasion d’être saisis à ce sujet, jusqu’à présent, par des personnes qui ne pouvaient pas accéder au territoire marocain en raison de l’interdiction par le Royaume de vols internationaux de passagers en provenance et à destination du Maroc.

Ainsi, le tribunal administratif de Casablanca a autorisé un ressortissant libyen en transit vers la Tunisie à accéder au territoire marocain en dépit de la fermeture des frontières. Le tribunal s’est fondé sur «les principes de la justice au sens large  qui doivent être pris en considération par le juge des référés pour accomplir son rôle positif en matière de protection des libertés publiques des individus et de leur situation juridique» (T. Adm. de Casablanca, ordonnance du juge des référés n°239 du 23 mars 2020 , dossier n°358/7101/2020).

L’Agent judiciaire du Royaume a fait appel au nom du ministre des Affaires étrangères et de la Coopération et du directeur général de la Sûreté nationale (DGSN).
La cour d’appel administrative de Rabat a infirmé l’ordonnance. Elle a considéré la décision de fermeture des frontières marocaines comme «un acte de souveraineté par excellence dont les effets juridiques ne peuvent être suspendus ou les dispositions négligées que dans les cas décidés par la décision d’interdiction elle-même ou par des actes ultérieurs pris par la même autorité compétente» (C. App. Adm. de Rabat, Arrêt n° 210 du 26 mars 2020, Dossier n°422/7202/2020).

C’est presque cette même motivation qui se trouve à la base du jugement du tribunal administratif de Rabat du 31 mars 2020. Cette juridiction a rejeté la demande de deux ressortissants marocains bloqués à Algésiras voulant rejoindre le pays. Or, le Royaume du Maroc avait décidé de fermer ses frontières terrestres et maritimes.

Dans sa décision, le juge des référés a estimé lui aussi que «les effets des mesures prises par les autorités marocaines en vue de faire face à la pandémie (Covid-19) ne peuvent être suspendus ou leurs dispositions négligées que dans les cas décidés par la décision d’interdiction elle-même ou par des actes ultérieurs pris par la même autorité compétente conformément à la règle de parallélisme des formes» (une loi annule une loi. Un décret annule un décret…).

Le tribunal administratif de Rabat n’a pas, cependant, retenu le caractère «souverain» de la décision de fermeture des frontières. Cette notion de «souveraineté» fait d’ailleurs penser à celle «d’actes de gouvernement» développée en France par la jurisprudence administrative.

Et qui, en principe, conduit le juge à se déclarer incompétent devant de tels actes du fait de l’immunité juridictionnelle dont ils bénéficient (2).
Le tribunal de Rabat, en vue d’écarter l’application au cas d’espèce de la liberté de circuler, de quitter son pays et d’y revenir comme le réclament les ressortissants marocains bloqués à Algésiras, fait appel aux «circonstances exceptionnelles sanitaires».

Sa motivation répond mieux à la situation exceptionnelle actuelle. La pandémie de Covid-19 constitue en effet des circonstances exceptionnelles justifiant les mesures des autorités administratives pour lutter contre la pandémie.
A titre comparatif, le Conseil d’Etat français statuant en tant que juge des référés, comme le prévoit l’article L.511-2 du Code de justice administrative, a rendu une ordonnance le 22 mars 2020.

La justice française a considéré la pandémie de Covid-19 comme l’exemple type de circonstances exceptionnelles: «Le Premier ministre peut, en vertu de ses pouvoirs propres, édicter des mesures de police applicables à l’ensemble du territoire, en particulier en cas de circonstances exceptionnelles, telle une épidémie avérée, comme celle de Covid-19 que connaît actuellement la France» (C.E, syndicat jeunes médecins, ordonnance du 22 mars 2020, n°439674).

Par : Hassan OUAZZAN

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