Transactions entreprise-dirigeants : Vers un renforcement de la transparence financière

Transactions entreprise-dirigeants : Vers un renforcement de la transparence financière

Publié le : - Auteur : L'Economiste

Parmi les missions confiées au commissaire aux comptes, l’obligation de «vérifications et informations spécifiques», n’est pas suffisamment bien connue, par rapport à la mission générale permanente, bien que strictement délimitée par des dispositions légales et réglementée par des normes professionnelles en constante évolution. Elle englobe le contrôle du rapport de gestion, de l’égalité entre les actionnaires, l’information aux associés et actionnaires, après vérifications de concordances de certaines conventions passées entre la société et l’un de ses membres dirigeants.
Cette dernière mission revêt une importance cruciale dans une actualité marquée ces derniers mois par des affaires médiatisées autour de scandales financiers, dus à l’ignorance des règles de bonne gouvernance, qui érodent de plus en plus la confiance placée dans les mandataires sociaux.

Nullité du contrat

Par ignorance des règles de bonne gouvernance, il est entendu, entre autres, l’opacité que revêt certaines opérations sociales passées entre la société et ses dirigeants notamment par le non-respect du dispositif d’information, d’autorisation préalable et d’approbation a posteriori de certaines conventions, comme l’exige la loi. Au cœur de ce dispositif, le commissaire aux comptes, l’organe de direction et l’assemblée des actionnaires qui doivent être impliqués ensemble en tant que responsables et garants de la transparence devant régir ces opérations.
Avant de s’intéresser aux procédures qui permettent justement d’assurer cette transparence à travers l’analyse du cadre réglementaire qui la régit dans notre pays, il serait peut-être utile de clarifier certains concepts pour mettre en évidence les nuances qui existent dans la typologie de ces différentes opérations.
Toute transaction passée avec la société et l’un des membres dirigeants ou administrateurs, peut être qualifiée de libre, interdite, ou réglementée. Dans la pratique, la distinction entre «libres» et «réglementées» ne se fait pas sans une certaine difficulté, et certaines transactions sont d’une appréciation parfois délicate.
Les conventions interdites sont précisées par l’article 62 de la loi sur la SA et l’article 67 de la loi sur la SARL. La liste comprend les opérations d’emprunt auprès de la société ou de l’une de ses filiales, les découverts en compte courant consentis, cautions, aval par la société des engagements vis-à-vis des tiers. La conclusion de tels actes entraîne la nullité du contrat.
A l’autre extrême les conventions libres sont tacitement admises. Elles s’entendent d’opérations habituelles, et ordinaires passées entre les membres dirigeants avec la société, établies à des conditions du marché ou pratiques admises dans le secteur d’activité. Il faut signaler que le dispositif juridique français oblige à plus de transparence, en exigeant la transmission systématique de toutes les conventions libres au conseil d’administration et à l’assemblée, ce qui n’est pas le cas au Maroc.
Entre conventions libres, et interdites, les conventions réglementées constituent une tolérance de la loi qui agrée la conclusion de certains actes, en vertu du principe de liberté contractuelle, réalisés parfois à des conditions avantageuses au profit d’un membre dirigeant, à condition que l’acte ait été porté à la connaissance du conseil d’administration et approuvés par les membres de l’assemblée.

Facturation intra-groupe

Historiquement le contrôle de ces conventions et née au Maroc, avec la loi 17-95 sur la société anonyme, promulguée en août 1996. Les mêmes dispositions se retrouvent au niveau de la loi sur la SARL et société en nom collectif. Les coopératives, les associations, en restent exclus.
Ce régime concerne les conventions conclues directement, ou indirectement par personne interposée, avec les administrateurs, les directeurs généraux, les représentants des personnes morales administrateurs, les membres du directoire et du conseil de surveillance ainsi que les représentants permanents des personnes morales membres du conseil de surveillance, les gérants de SARL et les sociétés dont l’un des membres des organes dirigeants se trouve également dans l’une des situations décrites ci-dessus.
La loi 20-05 qui avait amendé la loi sur la SA en mai 2008 a élargi le champ des conventions réglementées aux directeurs généraux délégués, aux actionnaires détenant, directement ou indirectement, plus de 5% du capital ou des droits de vote.
Dans les sociétés de type familial, sont souvent recensées, dans ce cadre, des transactions commerciales avec remises spéciales eu égard à la qualité des contractants, des crédits fournisseurs non rémunérés accordés par la société et qui dépassent les délais usuels.
Dans le cadre de groupe, les conventions les plus fréquemment rencontrées sont celles de conventions de trésorerie à des taux de rémunération bas ou alignés sur les taux fiscaux admis. Les facturations intra-groupe de prestations de services ou de frais commun ou de personnel détachés sont également monnaie courante. Elles seront qualifiées de réglementées, si elles sont surfacturées ou sans contrepartie financière.
Concernant la procédure d’approbation, dans la société anonyme, ces conventions doivent être autorisées préalablement à leur conclusion par le conseil d’administration ou de surveillance, la communication au commissaire aux comptes devant se faire par le président dans un certain délai pour lui permettre de présenter son rapport spécial à la prochaine assemblée. Alors que dans la société à responsabilité limitée, forme juridique prédominante de nos PME, elles sont approuvées postérieurement à leur conclusion à l’occasion de l’assemblée sur la base du rapport spécial du commissaire aux comptes.
La loi exclut les SARL à associé unique de cette procédure. Et dans le cas de non-désignation de commissaire aux comptes, les conventions conclues restent soumises par les gérants à l’approbation préalable de l’assemblée.
Contrairement au rapport général, le dépôt au greffe du tribunal du rapport spécial n’est pas prévu par la loi. Il reste destiné aux organes délibérants pour usage d’information interne.


Conflits d’intérêts
IL est important de noter qu’au niveau du rapport spécial, le commissaire aux comptes n’a pas à émettre de jugement, ou donner un avis sur le bien-fondé des transactions passées, mais il doit seulement se limiter à signaler les opérations communiquées ou découvertes dans le cadre de son audit.
Ce rapport vient d’ailleurs de faire l’objet tout récemment en décembre 2009, pour l’application de la loi 17-95, d’un décret précisant son contenu.
Il doit désormais mentionner le nom des personnes concernées, les modalités essentielles de la convention dont le prix, tarif pratiqué, délais de paiement, intérêts stipulés, sûretés conférées, les modalités d’octroi de rémunérations exceptionnelles, l’importance des fournitures livrées et les prestations de services fournies, le montant des sommes versées ou reçues, etc.
Cette évolution du contenu permet de combler certaines insuffisances jusque-là constatées et de faire face à l’accroissement des exigences d’information de la part des actionnaires. Elle ne peut que prévenir les éventuels conflits d’intérêts, et réduire les mises en cause de responsabilité par les minoritaires notamment.
Dans ce contexte, la mission accessoire, à la mission principale du commissaire aux comptes, devrait devenir une composante essentielle de ses travaux. Elle va dans le sens, de la mise à niveau de l’environnement juridique et moralisation de la vie des affaires. Mais il est clair que l’ensemble des acteurs devrait jouer le jeu, car la qualité de l’information financière est l’affaire de tous.

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