C’est un marché estimé à 500 millions de dirhams qui, du jour au lendemain, tombe sous le coup de la loi sur la protection des données personnelles, la loi 09-08. Cette loi impose l’obtention d’une autorisation du prospect potentiel avant l’envoi d’un quelconque sms publicitaire. Autrement dit, toutes les sociétés offrant les services proposés à travers les partenaires opérateurs (météo, renseignements sur les pharmacies de garde…), les services de marketing publicitaire et les services interactifs (type opération de vote, tombola…) via SMS seront touchées. Aujourd’hui, elles sont environ une vingtaine, et la plupart fonctionnent avec des bases de données dites «sauvages», c’est-à-dire collectées sans autorisation. Est-ce à dire pour autant que tout un secteur risque de disparaître ou du moins de voir son activité sensiblement réduite?
Un taux de retour
de 3% vs 20% en 2003
« Nous avons démarré nos activités en 2000. Nous travaillons depuis avec les principaux acteurs économiques marocains (ministères, opérateurs, offices, banques). Nous avons milité, voire fait du lobbying aux côtés des opérateurs, à savoir Maroc Telecom, Méditel et Wana pour accélérer l’adoption de cette loi, car nous étions les premiers à payer les frais de ce vide juridique. Les mauvaises pratiques risquent à terme de tuer ce média », explique Zouhair Lakhdissi, directeur général de Dial Technologies. Pour preuve, si en 2003, le taux de retour de ce type de campagne se situait aux alentours de 20%, aujourd’hui il oscille entre 2% et 3%. Même si cela reste par ailleurs une bonne performance comparée aux autres supports publicitaires, on peut imaginer qu’à terme, les annonceurs détournent leur intérêt de ce type de média, dans la mesure où les prospects sont agacés par l’envoi intempestif de sms, le taux de retour et donc la rentabilité de ce type de campagne baissera encore davantage. Mais le revers de la médaille avec cette loi, est que les annonceurs peuvent également se détourner de ce type de média, car les bases de données seront plus difficiles à constituer, et donc que la population cible sera moins nombreuse. «Bien au contraire, aujourd’hui, la demande de nos clients se situe surtout autour de bases de données qualifiées pour obtenir des taux de retour satisfaisants. Par expérience, nous avons confirmé l’évidence : un ciblage réussi qui implique une cible consentante génère des taux de retour pouvant dépasser ceux des medias classiques, TV, radio, presse… Cette loi aidera plutôt à assainir le marché, à redonner confiance aux utilisateurs et aux annonceurs et à donner un nouveau souffle au marketing mobile. Le vide juridique qui prévalait jusqu’à aujourd’hui ne faisait que nuire à l’image globale du marketing mobile et du SMS en particulier, perçu généralement comme du «spam»», affirme Mounia Terhzaz, directrice marketing de Jet Multimedia Group. «Sans cette loi, nous craignons de tuer cette activité, à force de bombarder les clients de sms, et en conséquence des abus répétés de certains acteurs, à l’image de ce qui s’est passé avec les services vocaux à la fin des années 90», renchérit Zouhair Lakhdissi.
Mais tous les opérateurs du secteur ne se réjouissent pas de l’adoption de ce texte. Car le marché des services à valeur ajoutée SMS et du marketing mobile est relativement jeune et n’a connu de véritable essor qu’à partir de 2005. «Du coup, il y a une multitude d’acteurs proposant de réaliser des campagnes par SMS, mais les entreprises qui exercent l’activité de manière sérieuse et déontologique sont limitées à 2 ou 3», pense Mounia Terhzaz.
Une concurrence
déloyale
En effet, pour devenir un opérateur, il faut tout d’abord avoir l’autorisation de l’ANRT, ainsi que l’autorisation d’interconnexion au réseau des opérateurs mobiles, ce qui implique le respect d’un certain nombre de règles déontologiques figurant dans les contrats signés avec les opérateurs. Or la quasi-totalité (mises à part les 3 sociétés dites) passe outre cette autorisation, qui, en réalité, est une simple déclaration d’activité pour ce qui relève de l’ANRT. C’est dire le nombre de sociétés qui verront leur activité drastiquement réduite. Par conséquent, c’est tout le chiffre d’affaires du secteur qui risque de fondre comme neige au soleil. Bien entendu, ceci dans le cas où la loi est scrupuleusement respectée et rigoureusement appliquée. La situation qui prévalait jusqu’à présent causait une concurrence déloyale aux entreprises qui proposaient des bases de données opt’in (avec autorisations des prospects). «Il y a à peine quelques semaines, une enseigne de fast food internationale nous a sollicité pour une campagne de com’. Mais comme nous leur avons proposé notre base de données opt’in de 46.000 clients seulement, alors que ceux qui collectent des bases de données sauvages proposent 600.000 clients MT post payés, ils se sont donc naturellement orientés vers d’autres opérateurs (Mac Donald). De même, lors des dernières élections, un parti politique a eu exactement la même réaction», témoigne un opérateur du secteur. Car d’une part, les bases de données opt’in coûtent de l’argent, et d’autre part, offrent à l’annonceur une population cible moins importante de prime abord. «Pour obtenir une base de données opt’in, en ce qui nous concerne, nous utilisons notre site internet. Les personnes qui le souhaitent s’y inscrivent et nous communiquent leur numéro de téléphone. En échange, nous leur offrons l’envoi de sms gratuits, des téléchargements, des logos, des services d’alertes sur l’actualité… Nous avons ainsi obtenu 120.000 clients en 7 ans, dont 46.000 ont accepté qu’on leur envoie des sms de nos partenaires. Résultat des courses, nous avons une base de données assez réduite, comparée aux sociétés qui ne prennent pas la peine de demander une autorisation aux clients. Sans compter que cette base représente un coût, puisque que nous offrons des services en contrepartie. Ce qui là encore ne concerne pas les sociétés qui obtiennent des bases de données de manière «illicite», et qui peuvent se permettre de ne faire payer à l’annonceur que le routage sms», ajoute-t-il. Dès lors, ces sociétés proposent leurs services à des prix beaucoup plus attractifs. Seulement, la plupart des sociétés qui travaillent avec des bases de données dites sauvages font des opérations one shot et disparaissent en moyenne au bout d’un ou deux ans. Certes, désormais la loi 09-08 va permettre de juguler le marché. Sauf que jusqu’au jour d’aujourd’hui, on ne peut pas véritablement s’opposer à la réception de sms publicitaires. «Pour ne plus recevoir de sms publicitaires, il faut appeler les opérateurs telecoms, Maroc Telecom, Méditel ou Wana, afin de demander à être black-listé. A leur tour, les opérateurs Telecoms envoient à l’ensemble des sociétés de services sms les numéros de téléphone à mettre sur liste rouge. Encore faut-il que ces sociétés soient clientes des opérateurs Telecom», regrette Lakhdissi.
La Jamaïque pour
le routage SMS
Car pour le routage sms, la majorité des sociétés du secteur passent par des pays qui n’ont aucun accord d’interconnexion avec nos opérateurs, par exemple la Jamaïque ou encore la République Dominicaine. Autrement dit, nos opérateurs telecoms ne connaissent pas ces sociétés et n’ont aucun contrôle sur leur routage sms. D’ailleurs, Maroc Telecom et Méditel seraient actuellement en train de réfléchir à la mise en place d’une plateforme anti-spam pour leurs clients, afin d’essayer de contrer ces pratiques. La loi a bel et bien prévu la mise en place d’un organe de contrôle, seulement, cela prendra sans doute beaucoup de temps avant qu’il ne soit véritablement opérationnel, et qu’il ne mette en application les sanctions prévues (de deux mois à deux ans de prison et de 10.000 à 300.000 dirhams d’amende). «Si
les sanctions semblent être dissuasives, je pense qu’il faudra compter au moins quelques années avant qu’un véritable organe de contrôle ne soit efficace. En attendant, nous comptons nous associer aux consommateurs qui ont été victimes d’abus (spams, jeux fictifs) pour nous constituer partie civile si nous constatons une violation de la loi, et cela dans l’intérêt du consommateur et du secteur», conclut le directeur général de Dial Technologies.
Soumayya Douieb