Sondés par Médias 24, deux avocats d’affaires estiment que le contexte de pandémie et de crise financière inattendue ne permettent pas d’avoir le recul nécessaire pour évaluer l’efficacité de la procédure de sauvegarde judiciaire. Préventive, protectrice mais peu populaire, la sauvegarde judiciaire peut être améliorée par des dispositifs complémentaires.
Introduite en 2018 en tant que mesure préventive, la procédure de sauvegarde judiciaire permet de sauver l’entreprise qui connaît des difficultés de trésorerie conjoncturelles, avant qu’elle ne soit en cessation de paiement.
Dans un contexte de crise financière, l’on pourrait croire que les chefs d’entreprises se sont précipités pour activer cette mesure protectrice. Mais en réalité, une analyse effectuée par Me Nawal Ghaouti, avocate au barreau de Casablanca, en octobre 2020 révèle qu’une dizaine d’entreprises seulement avaient demandé la sauvegarde judiciaire durant cette période particulière. Ce qui dénote une méconnaissance de la procédure de la part des chefs d’entreprises qui ont, par ailleurs, peur de franchir la porte du tribunal et montrer que l’entreprise a des difficultés et qu’elle leur échappe”.
Ce « manque de communication et de sensibilisation sur l’utilité de la procédure » est également mis en évidence par Me Hamid Adsaoui, avocat au barreau de Casablanca, joint par nos soins.
Trois ans après l’introduction de la sauvegarde judiciaire dans le dispositif juridique marocain et compte tenu du contexte de crise financière ainsi que du sort de certaines grandes entreprises ayant eu recours à cette procédure, des questions relatives à son efficacité ont été soulevées.
Y a-t-il suffisamment de recul pour en juger l’efficience ? Est-elle réellement profitable aux entreprises en difficulté ? Faut-il la compléter par d’autres dispositifs, à l’instar du modèle français ou encore du modèle américain ? Voici les réponses d’avocats d’affaires sondés par Médias 24.
“Le Covid a perturbé l’analyse que l’on peut faire de cette procédure”
Selon Me Nawal Ghaouti “le recul est insuffisant” pour en juger l’efficacité. D’abord, parce que “nous avons vécu 18 mois de Covid. Le fonctionnement des tribunaux a été bousculé et il n’y a pas eu de texte spécifique à la période de confinement, pour gérer les procédures de difficultés d’entreprises”. Autrement dit, “le Covid a perturbé l’analyse que l’on peut faire de cette procédure”.
Me Hamid Adsaoui est du même avis. Pour lui, “cette procédure a de nombreux apports mais il n’a pas encore été possible d’en récolter les fruits à 100% et ce, en raison de la pandémie du coronavirus”.
L’avocat estime que “pour procéder à l’évaluation de cette procédure, il faut attendre que cette période, difficile pour tous, soit passée”.
Par ailleurs, Me Ghaouti souligne que “cette période (de confinement, ndlr) n’était pas attendue. Si elle avait été envisagée, il y aurait eu une ruée sur la sauvegarde judiciaire”.
Quant aux cas de Delattre Levivier Maroc (DLM) et de Stroc Industrie, deux grands acteurs du secteur métallurgique ayant eu recours à cette procédure, Me Ghaouti rappelle que le statut de sauvegarde n’est pas irréversible. Il peut être commué en un redressement ou une liquidation judiciaire.
“Le code de commerce ouvre cette possibilité. Le fait d’y recourir ne signifie pas que la procédure est inefficace”, indique-t-elle.
Pour rappel, DLM avait été placée sous sauvegarde en décembre 2019, avant que le tribunal de commerce ne constate que la société est en cessation de paiement et décide de basculer vers un redressement judiciaire en avril 2021.
Stroc Industrie, qui est la première société à avoir bénéficié de la procédure de sauvegarde judiciaire au Maroc a, quant à elle, obtenu la validation de son plan de sauvegarde en mai 2019. Plus tard, plusieurs de ses anciens salariés demandent la résolution du plan de sauvegarde et en dénoncent la non-application.
Sauvegarde accélérée, protection du créancier… Les éventuels dispositifs d’amélioration
Outre l’absence d’un texte spécifique à la période de confinement, en matière de difficultés d’entreprises, Me Ghaouti déplore également l’absence de dispositifs complémentaires à la sauvegarde judiciaire “de manière générale”.
A titre d’exemple, elle évoque le cas de la France qui a “donné aux chefs d’entreprises, en période de Covid, la possibilité de racheter leurs entreprises si elles étaient liquidées”
Aussi, le législateur français a apporté, après la loi sur la sauvegarde judiciaire, le dispositif de la sauvegarde accélérée.
“C’est une procédure qui fonctionne assez bien et qui vise les très grandes entreprises dans leurs difficultés spécifiques avec les banques et les institutions de crédit. En un mois, voire deux au maximum, elle les oblige, dans le cadre d’une conciliation, à trouver un accord avec les banquiers”, explique-t-elle.
Il existe donc un certain nombre de mesures qui peuvent “cibler des situations plus spécifiques que la sauvegarde de manière générale”. Cette dernière “gagnerait même à faire participer les créanciers dans la validation du plan de sauvegarde. Ceci permettra d’assurer une certaine confiance, même à priori”, poursuit Me Ghaouti.
La protection du créancier constitue le socle de l’orientation anglo-saxonne du droit des difficultés d’entreprises. Selon Me Ghaouti, la vision anglo-saxonne “vise à désintéresser les créanciers et leur donne la main pour valider le plan de sauvegarde”. Elle se distingue de l’orientation française qui, elle, tend à “sauvegarder l’entreprise et ainsi sauvegarder l’emploi”.
Pour Me Adsaoui, chacune de ces orientations a ses atouts. “On peut s’inspirer de ces deux modèles mais il ne vaut mieux pas les calquer. Il faudrait plutôt créer un modèle adapté aux entreprises marocaines et pourquoi pas africaines”.