Réquisitoire contre le ministère de la Justice à l’ouverture de l’année judiciaire

Réquisitoire contre le ministère de la Justice à l’ouverture de l’année judiciaire

Publié le : - Auteur : Médias24

L’année judiciaire s’ouvre sur un ton revendicatif. Le CSPJ (Conseil supérieur du pouvoir judiciaire) veut la présidence de l’Institut supérieur des magistrats. Le Chef du parquet déplore le déficit en ressources humaines et pointe le retard de textes réglementaires.

Durcissement de ton au sein de la magistrature. Le 30 janvier 2019, ses principaux représentants se sont donné rendez-vous au siège de la Cour de Cassation, à Rabat. L’occasion, officielle, de fêter l’ouverture de l’année judiciaire, tout en faisant le point sur des éléments de malaise qui semblent persister entre les magistrats et le ministère de la Justice.

Premier point de discorde, la formation et le recrutement des magistrats. Aujourd’hui encore, c’est le ministère qui s’y colle. Et à en croire le Premier président près la Cour de cassation, les résultats manquent à l’appel : « Nous n’avons pas besoin de techniciens du droit, mais de la personnalité du magistrat, de son éthique, sa formation, son audace et son indépendance. Ce qui, malheureusement, ne s’est pas réalisé de la manière requise et désirée », estime M. Fares. Tout de go.

Des solutions sont attendues. M. Fares appelle l’Institut supérieur de la magistrature à se pencher sérieusement sur ce problème. Mais celui-ci doit d’abord changer de management. Actuellement, le conseil d’administration de l’ISM est dirigé par Mohammed Aujjar, ministre de la Justice. Le haut magistrat veut qu’il soit placé sous le joug du Conseil supérieur du pouvoir judiciaire, dont il est le président délégué.

Formés et recrutés par le ministère, les magistrats sont nommés par le Roi, président du CSPJ. L’idée est que ce Conseil intervienne durant toutes les étapes. La Constitution lui octroie la mission de gérer les carrières des magistrats.

Une position que partage le ministère public. Son président Mohammed Abdennabaoui réclame « la révision en urgence de la structure de l’ISM, tout octroyant sa gestion au pouvoir judiciaire. »

Le Chef du parquet sait de quoi il parle. Depuis le 7octobre 2017, son institution n’opère plus sous la tutelle du ministère. Pourtant, son institution ne peut exécuter ses programmes de formation et d’encadrement que selon le planning annuel fixé par ce dernier. Dans la pratique, cette sujétion peut créer des blocages, notamment au niveau de la formation continue. Surtout lorsqu’il s’agit de former les procureurs sur des lois et règlements adoptés en cours d’années.

Autre écueil, qui concerne cette fois-ci les ressources humaines. Le « déficit » est palpable au ministère public. Du côté du ministère, la création de postes ne suit pas. En 2018, 30 magistrats ont été nommés et affectés au parquet. Trop peu, à en croire M. Abdennabaoui. « Ce nombre ne suffit même pas à satisfaire les six juridictions créées en décembre [2018] », tance-t-il. Dans son dernier rapport, le procureur général avait évalué le besoin à 400 procureurs et procureurs généraux.

Une situation qui conduit M. Abdennabaoui à « réclamer la création de postes budgétaires suffisants pour la nomination de nouveaux magistrats, l’objectif étant de combler le déficit palpable au niveau des juridictions ».

D’autant que 8 autres tribunaux s’apprêtent à ouvrir leurs portes « durant les mois prochains », et qui nécessitent à elles seules « pas moins de 50 membres du ministère public  et plus du double pour les magistrats du siège ».

Les magistrats perçoivent des émoluments qui comprennent les salaires, les allocations familiales et les autres indemnités. Certaines indemnités (Indemnité de permanence, de transport, de séjour, supervision administrative etc.) sont prévues par la loi organique relative au statut des magistrats, parue en 2016, mais qui a conditionné leur fixation par l’adoption de texte réglementaires. Deux années plus tard, les décrets n’ont toujours pas vu le jour.  Ce que déplore M. Abdennabaoui, invitant le ministre de la Justice, présent lors de la cérémonie, à rectifier ce retard.

L’indépendance de la justice trouve son fondement dans la Constitution et dans différents textes de loi. Dans les faits, la dépendance persiste. Elle est d’abord financière, constate M. Abdennabaoui : « L’indépendance du pouvoir judiciaire ne sera complète que par la réalisation de l’indépendance financière et matérielle des juridictions ». Le magistrat va plus loin, et exige une pleine reconnaissance de l’autorité des responsables judiciaires sur l’ensemble « des ressources humaines ».

Quid de l’indépendance du parquet ? Du haut de son pupitre, M. Abdennabaoui  répond par des questions rhétoriques :

  • Dans la première, il se demande « comment le ministère public peut-il développer ses performances alors qu’il ne contrôle même pas le réseau informatique utilisé par les parquets  et ne dispose même pas des statistiques judiciaires ».
  • Dans  la deuxième, il  se demande « comment peut-on concrétiser l’indépendance lorsque les textes légaux et réglementaires ne permettent pas au ministère public d’exécuter lui-même ses propres programmes. »

Des questions qui sonnent comme un réquisitoire. A la barre des accusés, le ministère de la Justice.

 

Par : A.E.H

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