SI débat il y a, quelques dispositions du projet de loi 31-08 relatif à la protection du consommateur risquent de soulever une grosse polémique. En tête de liste figurent l’article 147 et suivants régissant les associations de consommateurs et l’article 145 relatif à la lettre de change et billets à ordre.
L’article 148 pose plusieurs conditions pour définir le profil juridique de ces associations. Il y a d’abord une clause d’exclusivité: se consacrer essentiellement à la défense des intérêts des consommateurs. Elles ne doivent pas compter dans leurs rangs une personne morale ayant une activité à but lucratif ou ayant un but à caractère politique… Il y a là un souci de préserver, légalement du moins, l’indépendance des associations des consommateurs vis-à-vis des partis politiques et des opérateurs économiques.
En outre, ces ONG seront «régies par des statuts conformes à un modèle de statuts-type approuvés par l’administration». Les associations reconnues d’utilité publique doivent obligatoirement se constituer en fédération. Et dont les statuts doivent être à leur tour «approuvé par l’administration», précise l’article 150.
En revanche, la Fédération – à l’instar des Fédérations sportives- acquiert de plein droit son statut d’utilité publique. C’est logique, puisque les associations qui la composent le sont déjà. Outre l’information et la promotion d’une culture consumériste, les associations de consommateurs «concourent au respect de la présente loi». Protégeant le consommateur, s’entend.
L’intervention des autorités à plusieurs échelles est interprétée comme un cheval de Troie. Elle pose d’emblée une question sur la réelle marge de liberté dont disposent les associations qui veulent se constituer: l’exemple du statut-type approuvé par l’administration suffit. Le problème peut se dissiper si jamais la société civile participe -avant qu’il ne soit adopté- à sa rédaction.
N’empêche que la Confédération des associations de consommateurs, qui siège à Fès, exige pour l’instant la suppression des articles 149 et 150. L’Economiste dispose d’ailleurs d’un document rassemblant ses propositions. Une copie circule au Parlement et la Confédération espère que ses points de vue soient adoptés par les groupes parlementaires. Des réunions avec le MP, l’UC et le PJD ont déjà été tenues.
Y a-t-il actuellement des associations de consommateurs reconnues d’utilité publique? «Non, aucune n’a ce statut. Toutefois, celle de Kenitra et d’Oujda ont entamé des procédures en ce sens», rétorque Abderrahim Foukahi, vice-président du Forum marocain des consommateurs (Fomac). Il semble que le ministère du Commerce et de l’Industrie, via le département du Commerce intérieur, «soutient leurs démarches». Sa directrice Mounia Boucetta est restée injoignable.
Sur le plan politique, la démarche du gouvernement se veut «structurante». Structurante, d’abord par la constitution d’une Fédération. C’est du moins l’avis de Marc Vandercammen, DG du Centre de recherche et d’information des organisations du consommateur. Ce centre bruxellois a mené des missions au Maroc pour la FAO: il a réalisé l’étude de faisabilité relative à la création du Centre marocain de la consommation.
Au lieu d’une multiplicité d’interlocuteurs, la Fédération sera le principal porte-parole des associations auprès du gouvernement. Elles sont plus d’une trentaine. D’après Vandercammen, lorsqu’il a fallu solliciter leur avis, «rares sont celles qui ont répondu présent».
Le droit des associations exige ensuite qu’une ONG reconnue d’utilité publique «tienne une comptabilité» et de «remettre un rapport annuel au secrétariat du gouvernement». Ce qui en principe garantit une bonne gouvernance et la transparence de la gestion du patrimoine associatif. D’autant plus que l’Etat leur versera des subventions et que ces associations peuvent faire «appel à la générosité publique». En tant que défenderesses des consommateurs, elles ne peuvent recevoir des fonds de la part des entreprises. Car il y a conflit d’intérêts. La quête d’un statut d’utilité publique «inclut une enquête préfectorale et un bilan financier alors que les associations des consommateurs sont pauvres», avance le Fomac.
Toujours est-il que le véritable enjeu juridique est le droit d’ester en justice. Un droit qui n’est «accordé qu’aux associations d’utilité publique», selon l’article 151.
Seules ces dernières et la Fédération peuvent se constituer partie civile lorsqu’il y a «préjudice à l’intérêt collectif des consommateurs».
En France, le débat a débouché sur des associations agréées et représentatives (un certain nombre d’adhérents…) et non plus «reconnues d’utilité publique». Alors que la société civile revendiquait les Class action, comme aux Etats-Unis. En effet, l’action de groupe permet, lorsque plusieurs personnes subissent le même tort, d’engager collectivement des poursuites en justice. Et sans donc passer par une association. L’option française semble séduire les ONG marocaines.
Billet à ordre
Chez les banquiers, c’est plutôt l’avenir du billet à ordre qui soulève des craintes.
Certains taxent la loi de «copier-coller» et qui ne prend pas en compte les «spécificités locales». C’est le fameux argument du mimétisme juridique.
Toujours est-il que lorsqu’un client souscrit à un contrat de crédit, il signe également un billet à ordre. Qui est au fait une garantie adossée au crédit et signée avant son déblocage. Et ceci «au même titre qu’un ordre de prélèvement ou de domiciliation de salaire», précise un juriste d’une grande banque.
Or sur le plan légal, «il n’est pas nécessaire que le billet à ordre soit annexé au contrat», estime Khalid Lahbabi, consultant en droit des affaires et bancaire. Il a un rôle de «mobilisation de la créance dans la mesure où une vente commerciale du crédit est plus facile et moins onéreuse qu’une vente civile», argumente le juriste. Le billet à ordre a aussi un avantage procédural, «demander une injonction à payer».
Si jamais l’article 145 du projet de loi 31-08 est adopté en l’état, la banque ne pourra plus recourir au juge des référés pour exiger sa créance. Elle devra passer, en cas d’impayé, par le juge de fond. De plus l’injonction de payer, plus simple et plus rapide, «exonère la banque des taxes judiciaires».
Devant le juge des référés, la banque fait par ailleurs valoir la créance qui figure sur le billet à ordre. Même si le client en a payé une grosse partie, la saisie de ses biens sera basée sur le montant qui figure sur le billet à ordre. Ce qui est assimilé à un abus de procédure. Un juriste-banquier précise que «la banque justifie sa créance car elle risque de se voir attaquée par son client via une demande reconventionnelle». Sauf que ce scénario n’est valable que lorsque le procès est déjà en cours.
30 millions de consommateurs
LA rentrée parlementaire est prévue pour le 9 octobre. Outre la loi 31-08 relative à la protection du consommateur, la loi de Finances 2010 occupera particulièrement les deux Chambres du Parlement. Certains observateurs, associatifs notamment, pronostiquent que le projet de loi 31-08 sera fort probablement adopté en «mars ou avril 2010». Nous avons par ailleurs souligné dans notre édition des 18 et 23 septembre les enjeux de la future loi. D’où justement la nécessité d’un débat public et non seulement parlementaire sur un code qui concerne 30 millions de consommateurs.
Faiçal FAQUIHI