Protection du consommateur : Le projet de loi traîne toujours

Protection du consommateur : Le projet de loi traîne toujours

Publié le : - Auteur : Le Matin

Quand vous allez au supermarché faire vos courses ou même lorsque vous consommez tout bonnement une tablette de chocolat, sachez qu’il n’existe pas actuellement une loi qui vous protège. Il en va de même lorsque vous signez un contrat quelconque, notamment avec votre banquier ou votre assureur. Seulement quelques articles de lois comblent ce vide sans apporter une réelle protection.
En effet, une seule loi en bonne et due forme avait été élaborée en 2000 par le gouvernement d’Abderrahmane El Youssoufi mais elle est restée depuis cette date au stade de projet. Après plusieurs années passées dans les tiroirs du secrétariat général du gouvernement, le projet de loi se trouve actuellement perdu dans les dédales du Parlement où il traîne depuis voilà une année et demie. Bien qu’elle soit très importante pour l’ensemble des Marocains, cette loi ne suscite que très peu d’intérêt ou presque. A part quelques exceptions près, c’est toujours à l’occasion de la Journée mondiale du consommateur célébrée aujourd’hui que ce dossier est déterré. Pour expliquer le retard, plusieurs versions se contredisent. Pour certains, des lobbies principalement économiques dressent des obstacles devant ce projet. Pour d’autres, l’adaptation des articles de lois à la réalité marocaine nécessite du travail et donc du temps. Mais quels que soient les motifs qui existent derrière ce retard, le résultat est le même. Dix ans après l’élaboration du projet, la législation marocaine ne dispose toujours pas d’une loi sur la protection du consommateur. Le Maroc serait probablement le seul pays maghrébin sans une loi spécifique.

Mouvement consumériste
Mais cela n’empêche que des actions entreprises notamment par le ministère de l’Industrie et du Commerce ont été menées sur le terrain. La priorité a été donnée, selon les responsables, au renforcement des associations de protection du consommateur. Depuis 2002, des actions d’appui direct aux associations ont été effectuées dans le cadre d’un projet de coopération avec l’Allemagne. De même, un appui a été fourni à quatre associations pour la mise en place de guichets conseils sur la base d’un cahier des charges. Ces structures avaient pour objectif « d’informer, de sensibiliser, d’assister et d’orienter le consommateur». Mais l’action de ces guichets demeure très limitée en raison justement de l’absence d’un cadre législatif et juridique. Par ailleurs, la «stratégie» du ministère de tutelle, ces dernières années, avait un deuxième volet relatif au renforcement des structures institutionnelles intervenant dans la protection du consommateur. Ainsi, le ministère de l’Industrie, du Commerce et des Nouvelles Technologies a mis en œuvre un projet de jumelage en matière «d’appui juridique et institutionnel à la protection des consommateurs au Maroc». Ce projet de jumelage, qui s’inscrit dans le cadre du Programme d’appui à l’accord d’association entre l’UE et le Maroc (PAAA), a été étalé sur une période de 27 mois.

Cependant, très peu d’informations existent sur ces actions ainsi que leurs impacts. C’est le cas pour le Centre national de la consommation qui devait constituer une plateforme de collaboration et de concertation entre les entreprises, les associations des consommateurs et les départements concernés.
La singularité du domaine de la protection du consommateur réside dans le nombre des parties prenantes. Des ministères et des instances étatiques jouent dans certains cas le même rôle, ce qui complique les choses. Le contrôle de la salubrité des aliments et de l’hygiène concerne par exemple pas moins de 3 ministères, en l’occurrence le ministère de la Santé, le ministère de l’Intérieur et celui de l’Agriculture. La création de l’ONSSA (Office national de la sécurité sanitaire des aliments) a indéniablement constitué un pas en avant mais des professionnels nuancent l’apport d’une telle structure. «Au départ, on croyait que l’ONSSA au Maroc allait être l’équivalent de l’AFSSA en France (Agence française de sécurité sanitaire des aliments) ou encore la FDA (Administration américaine des denrées alimentaires et des médicaments). Mais le projet s’est, en effet, contenté de regrouper deux directions à l’intérieur du ministère de l’Agriculture», affirme une source proche du dossier.

Et d’ajouter : «La création de l’ONSSA a certainement apporté une plus-value au secteur dans la mesure où nous avons actuellement un seul interlocuteur mais encore une fois le projet n’a pas pris l’ampleur qu’il devait avoir». L’Office, dont son activité a démarré officiellement en janvier 2010, a été créé entre autres pour assurer la salubrité des produits mis en vente et réduire le nombre des intoxications alimentaires. Il s’agit là de compétences pratiquement similaires à celles exercées par les différentes services d’hygiène dans les villes marocaines, sans oublier également que le ministère de la Santé compte également une division dédiée à l’hygiène. L’adoption d’une loi pourrait ainsi changer les choses et créer plus de complémentarité entre les différents intervenants. En attendant, le texte ne fait pas que des contents.
Au fait, outre le retard dans l’adoption du code de la protection du consommateur, le contenu du projet de loi lui-même fait débat. Si pendant longtemps  »le droit d’ester en justice pour les associations de la protection du consommateur ravive de temps à autre la tension entre ces dernières et le ministère, d’autres points suscitent aujourd’hui la polémique ».
Les responsables gouvernementaux successifs qui ont siégé au ministère du Commerce et de l’Industrie ont introduit des changements à la loi jusqu’à en arriver aujourd’hui, selon des associations marocaines de la protection du consommateur à «une loi dominée par les transactions commerciales». Réglementer les transactions commerciales, notamment les crédits, ne peut être que bénéfique pour les consommateurs mais la protection de ces derniers couvre des domaines plus larges.
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Questions à: Mounia Boucetta • Directrice du Commerce intérieur au ministère de l’Industrie, du Commerce et des Nouvelles Technologies.

«Le projet de loi est en cours d’examen par la Commission des secteurs productifs à la Chambre des représentants, qui a terminé sa discussion générale lors de sa dernière réunion tenue le 9 mars 2010»

1) Quelle est la stratégie du ministère pour améliorer l’offre et garantir une meilleures qualité de services pour le consommateur?

La stratégie du ministère de l’Industrie, du Commerce et des Nouvelles Technologies pour améliorer la qualité de l’offre de service des opérateurs du secteur du commerce et de la distribution repose sur plusieurs axes notamment la modernisation du commerce de proximité à travers l’intervention du fonds Rawaj, sur la base d’un cahier des charges, dans l’appui des projets proposés par des acteurs structurants (Structures représentatives des commerçants, collectivités locales, entreprises, etc.) visant à engager les commerçants adhérents dans un processus de modernisation global non seulement de leurs points de vente (équipements, merchandising, etc.) mais aussi de leurs techniques de gestion et de vente.
Cette action permettra de renforcer les niveaux d’activité et de rentabilité de ces commerces et une meilleure satisfaction des consommateurs.

2) Y a-t-il d’autres projets sur lesquels vous travaillez également?

Effectivement. D’autres projets structurants sont également engagés en particulier le développement d’une politique d’urbanisme commercial et ce, à travers une planification avancée de la desserte commerciale, offrant aux différentes structures du commerce une aire de développement idoine, permettant de répondre d’une manière satisfaisante aux attentes des consommateurs. Aussi, l’encouragement à la création de zones d’activités commerciales, qui se définissent comme étant un ensemble commercial à ciel ouvert, réalisé et géré en tant qu’unité regroupant plusieurs équipements commerciaux et de services, notamment les malls, les hypermarchés, les centres de loisirs,…etc.
Ces Zones d’Activités Commerciales offriront aux consommateurs des espaces étendus de shopping et de détente dans un cadre moderne.
Autre projet, l’amélioration des circuits de distribution à travers notamment, la réalisation du schéma d’orientation des marchés de gros des fruits et légumes, qui initiera une réforme globale des circuits de distribution de ces denrées permettant de moderniser et d’améliorer le modèle économique des marchés de gros, de réduire le nombre d’intermédiaires et de rehausser le niveau de qualité de ces produits pour un meilleur rapport qualité prix pour le consommateur.

3) Est-ce que vous avez du nouveau concernant le projet de loi sur la protection du consommateur?

En exécution des Hautes orientations Royales appelant l’Exécutif et le législatif à diligenter l’adoption du code de protection du consommateur, le Conseil des ministres réuni le 20 octobre 2008 a adopté le projet de loi 31-08 édictant des mesures de protection des consommateurs. Actuellement, le projet de loi est en cours d’examen par la Commission des Secteurs productifs au niveau de la Chambre des représentants qui a terminé sa discussion générale, lors de sa dernière réunion tenue le mercredi 9 mars 2010. Par ailleurs, il y a lieu de rappeler que l’élaboration de ce texte constitue un jalon de la politique d’intervention du département du Commerce et de l’Industrie en matière de consommation. Ce texte se propose de renforcer et de compléter le dispositif juridique existant de manière significative par des mesures appropriées.
Il est le fruit d’un large travail de concertation avec l’ensemble des départements ministériels, des représentants des associations de consommateurs, des organisations professionnelles, ainsi que du monde universitaire. Il a été également enrichi par l’étude de plusieurs dispositifs juridiques de pays tiers, notamment, les Directives de l’Union Européenne.

4) Quels sont les volets sur lesquels s’articule ce projet de loi ?

A travers ses 203 articles regroupés en dix titres, les principaux apports du projet de loi s’articulent autour des volets suivants.
D’abord, l’obligation d’informer le consommateur par le fournisseur de biens ou le prestataire de services avant la conclusion d’un contrat de vente. Ensuite, la protection des intérêts économiques du consommateur, notamment en ce qui concerne les clauses abusives ainsi que la réglementation de certaines pratiques commerciales utilisées par les fournisseurs.
Autre volet, la protection des consommateurs contre les défauts de la chose vendue avec l’extension de l’étendue de la garantie conventionnelle et du service après vente et la mise en place de dispositions réglementant les crédits à la consommation et immobilier. Enfin, le renforcement du rôle du mouvement consumériste en matière de défense des droits des consommateurs devant les tribunaux.
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Questions à: Dr Bouazza Kherrati • président de l’Association marocaine de protection et d’orientation du consommateur.

«Pour certains, ce projet de loi constitue un «antagoniste» qui va à l’encontre de leurs intérêts»

Selon vous, qu’est-ce qui retarde l’adoption de la loi sur la protection du consommateur ?Le projet de loi sur la protection du consommateur traîne depuis 2000. D’abord, au niveau du SGG (Secrétariat général du gouvernement), puis, depuis une année et demie, à la première chambre du Parlement. Actuellement, les parlementaires sont arrivés à étudier les 100 premiers articles d’un projet de loi qui en contient 203. Selon notre association, le projet de loi est présenté par le département du commerce et de l’industrie. Lequel département voit généralement ses propositions se concrétiser en loi le plus rapidement possible. Car, elles ont tous des relations directes ou indirectes avec les intérêts des professionnels détenteurs d’un contre-pouvoir financier. Il faut dire que depuis 2000, ce projet de loi constitue, aux yeux de certains, un antagoniste qui va à l’encontre de leurs intérêts. Heureusement, que depuis août 2008, et suite au discours royal, la donne a changé et le gouvernement était dans l’obligation de faire avancer la procédure de promulgation.Vous dites que l’actuelle mouture du projet de loi est beaucoup plus portée sur les transactions et plus particulièrement les crédits. Qu’est-ce qui vous fait dire cela ?La première mouture remonte à 2000. Plus de dix ans après, on discute toujours au Parlement d’un projet de texte réduit à la taille d’un décret. En effet, sur les 203 articles, 70 sont réservés aux crédits comme si les Marocains sont censés être liés à ce palliatif de l’amoindrissent du pouvoir d’achat. Ajouté à ces articles ceux d’ordre général, on se retrouve avec un texte à allure verticale caractéristique des décrets. Notre association souhaite que nos parlementaires l’adoptent en tant que décret d’application DOD (droits et obligations de contrats) et non pas en tant que loi de protection du consommateur, car il ne reflète en aucun cas l’ensemble des droits du consommateur, reconnus par les Nations unies.Quels sont les domaines, outre les transactions, qui doivent être couverts et qui ne sont pas prévus par ce projet de loi ?Les droits du consommateur reconnus par les Nations unies sont le droit à la sécurité, au choix, à être entendu, à la réparation, à l’information, à la satisfaction des besoins fondamentaux, à vivre dans un environnement sain, à une qualité de service adéquate et le droit à l’éducation.De ces neuf droits principaux, on peut dire que le projet de loi est loin de les traiter tous ou même de souligner par rappel certains des droits fondamentaux se trouvant déjà dans l’arsenal juridique marocain. Il est resté un texte relatif aux transactions commerciales dominées par les crédits.Actuellement, il existe une multitude d’associations de protection du consommateur. En tant que militant associatif, comment vous évaluez l’action du mouvement consumériste marocain ? Le foisonnement des associations de protection du consommateur nuit au mouvement consumériste lui-même. Et si on est actuellement à un nombre supérieur à 40 associations, il reste que leurs actions sont très limitées, voire très timides par défaut de moyens. Les associations ne perçoivent pas d’indemnité de la part de l’Etat à l’instar des associations agréées en France. Aussi, nous saisissons cette occasion pour remercier le ministère du Commerce et d’Industrie qui avait ouvert aux associations l’espace partenarial avec la GTZ (coopération allemande) et l’UE. C’est grâce à ces actions que le mouvement consumériste s’est forgé une place dans l’espace médiatique et a permis le contact direct avec le consommateur par le biais de Guichet-Conseils (Kénitra, Casablanca, Essaouira, Oujda, El Jadida). Par ailleurs, depuis 2010, le département de l’Agriculture a créé un organisme régalien dont la mission est la sécurité sanitaire des aliments. Cet organisme, connu sous la dénomination ONSSA, a ouvert ses portes aux associations pour une étroite collaboration. Collaboration qui a été immédiate et synergique.
Propos recueillis par Mohamed Badrane
Repères : 
Depuis janvier 2010, l’Office national de la sécurité sanitaire des aliments (ONSSA) exerce un contrôle concernant la salubrité des aliments, notamment dans le but de réduire le risque des intoxications alimentaires.

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