La révision de la loi sur les droits réels donne du fil à retordre aux usagers, juristes, banques, promoteurs immobiliers… L’idée de départ était de contrer les prédateurs fonciers en imposant l’établissement d’une procuration authentique pour tous les actes portant sur une transaction immobilière: vente, location, donation… Le réaménagement de la loi a été initié par le gouvernement Benkirane (2011-2016).
Avec ce changement législatif, notaires, adouls et avocats ont pu obtenir ainsi une exclusivité sur la rédaction des procurations immobilières. Ne pas recourir à leur service entraîne automatiquement l’annulation de l’acte par la force du droit. La loi censée «garantir la sécurité foncière» a été publiée au Bulletin officiel du 14 septembre 2017. Sauf que son entrée en vigueur a soulevé des problèmes qui entravent la fluidité des opérations.
Le cas des procurations sous seing privé -non rédigées par un juriste habilité- est récurrent. Quel sera le sort d’un tel acte lorsqu’il a été établi avant le 14 septembre?
C’est-à-dire avant l’application de l’amendement de l’article 4 du code des droits réels. Cette question est persistante chez les notaires ayant utilisé la procuration non notariée pour conclure d’abord une vente immobilière et initier ensuite des formalités comme l’enregistrement de la transaction à la Conservation foncière. Démarche qui est incontournable pour acter définitivement le transfert de propriété entre le vendeur et l’acquéreur.
Ce type de complication a été au cœur des discussions, le 2 octobre, au ministère de la Justice à Rabat, entre le département que dirige Mohamed Aujjar, les ministères de l’Intérieur, des Affaires étrangères ainsi que les représentants des notaires, conservateurs, adouls, banquiers…
Plusieurs pistes ont été proposées comme «le recensement des mandats ayant servi à l’établissement d’un acte» intervenu après l’entrée en vigueur de la loi n°69-16. Cette tâche incombe, selon le ministère de la Justice, aux adouls et notaires. Ces derniers devraient en plus intégrer les opérations portant sur le logement social. Un marché dans lequel les notaires bénéficient «d’une exclusivité» en matière de rédaction d’actes. Elle a été instaurée par la loi de finances de 2010.
Recenser les procurations immobilières établies avant le 14 septembre est plus facile à dire qu’à faire. «Comment y procéder? Nous réglons les difficultés au fur et mesure en contactant les banques, les promoteurs immobiliers publics (comme Al Omrane et la CGI), les conservateurs fonciers», précise Me Amine Zniber, président du Conseil régional des notaires de Rabat. Son instance a adressé fin septembre 2017 un courrier à ses membres pour les tenir informés «des difficultés et des prises de contacte entamées».
Face à cet imbroglio juridique, les adouls ne sont pas mieux lotis. «Nous étions pour cette refonte décidée au sein de la Commission de lutte contre la spoliation (présidée par le ministère de la Justice). Le législateur a commis l’erreur de ne pas prévoir une période transitoire de 3 ou 6 mois pour l’application du nouvel amendement», regrette Mohammed Sassioui, président de l’Instance nationale des adouls. Son application immédiate «a mis en difficulté» la corporation dans la mesure où «des procédures étaient déjà engagées» auprès des administrations sur la base de mandats sous seing privé. L’Instance est d’autant plus «embarrassée» qu’elle se demande que faire face aux procurations comptant plusieurs mandants? Le ministère recommande aux professionnels de «faire leur possible pour entrer en contact» avec les usagers concernés. Qu’ils soient au Maroc ou ailleurs. Le déplacement du client depuis l’étranger peut s’avérer indispensable.
Le but étant de rédiger cette fois-ci un acte authentique ou de reconfirmer par un avenant la volonté des parties exprimée auparavant! Une sorte de «ratification» de l’acte initial en somme: «Ce sera facile pour les Marocains vivant en France. Le nouvel acte établi chez un notaire français n’aura pas besoin d’exequatur (reconnaissance par l’autorité marocaine)», explique le Conseil régional des notaires de Rabat. En revanche, les nationaux résidant dans d’autres pays, anglo-saxons notamment, auront du pain sur la planche. «Un MRE devra dans ce cas-là s’adresser au service des affaires notariales du consulat marocain», estime Me Amine Zniber.
Contrairement à l’espace latin, les anglo-saxons n’ont pas de notaire. «Et ne sont pas par conséquent membres de l’Union internationale du notariat. Un certificat de coutume est nécessaire. Il est obtenu auprès des services diplomatiques du pays concerné. Ce document certifie que la personne est habilitée à rédiger des actes authentiques», précise l’Ordre des notaires.
Le département des Affaires étrangères et de la Coopération est censé «sensibiliser» nos concitoyens résidant à l’étranger au changement des règles et «faciliter la tâche» aux usagers contraints de refaire des procurations immobilières.
Le ministère de la Justice temporise: «Les difficultés auxquelles font face les praticiens sont passagères. Les cas critiques peuvent être recensés et résolus dans les plus brefs délais». Pour l’heure, les banquiers tentent de gérer les affaires courantes au risque d’avoir un contentieux sur le dos.
Par : Faiçal FAQUIHI
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