La fraude immobilière par les contrats d’avocats examinée au Parlement. Le ministre de la Justice parle de découvertes “effarantes” suite à une enquête de son inspection. Des convergences au niveau du diagnostic, des divergences dans les propositions de solutions.
La fraude aux contrats d’avocats devient un sujet parlementaire. Ce mardi 29 juin, la commission de justice (Chambre des représentants) a entamé l’examen d’une proposition de loi pour resserrer le contrôle sur cet outil prisé des prédateurs immobiliers.
Le texte a été proposé par Malika Khalil, du groupe PAM. Il vise à soumettre les « actes à date certaine » dressés par les robes noires au visa préalable du bâtonnier. Actuellement, cette procédure se fait auprès du greffe, jugé peu regardant sur des opérations requérant des vérifications poussées.
Quelle est l’ampleur réelle du phénomène ? A ce stade, les témoignages versent dans le même diagnostic : Le problème est d’une extrême gravité, plus encore que ne laisse entrevoir les révélations publiées dans nos colonnes.
Présent ce mardi au Parlement, Mohammed Benabdelkder ne lésine sur les superlatifs : « Grave », « d’une gravité extrême », « effarant ». Le ministère de la Justice invoque une enquête de son inspection judiciaire, dont il ne livre pas les résultats. « Le diagnostic paraitra plus accru quand on dévoilera les nouveaux éléments », dit-il, manière d’entretenir le suspens.
L’auteure de la proposition est plus directe: « Je vous donnerai un exemple vivant. Le cas d’un seul avocat qui a rédigé 1.000 contrats en l’espace d’un mois. Tous ces contrats recèlent des dépassements. Ici, le dysfonctionnement ne concerne qu’un seul praticien, mais les victimes sont 2.000 puisque les cocontractants sont deux », confie Malika Khalil. La députée, par ailleurs avocate au barreau d’Agadir, parle d’un « fléau », un « phénomène à la portée sociétale ».
« On le sait tous. Ce qui est refusé par le notaire, certains le tentent auprès de l’avocat en deuxième recours », confie pour sa part Mina Talbi (USFP). « J’ai des dossiers concernant des contrats rédigés en dehors des institutions compétentes. Ces cas sont devant la justice dans le cadre d’affaires d’escroquerie » déclare celle qui porte également la robe noire. « Dans certaines régions, ce sont les écrivains publics qui rédigent les contrats en utilisant les en-têtes d’avocats », enfonce l’interlocutrice.
« Le législateur a commis une faute grave en estimant que l’avocat peut exercer deux métiers en même temps », observe pour sa part Jaouad Iraqui (PJD). « La rédaction des contrats – et je parle en tant que lauréat de l’école de notariat de Toulouse en 1972 – n’est pas aussi simple qu’on le pense. C’est un métier à part entière », ajoute le représentant.
Mina Talbi abonde en ce sens : « La rédaction des contrats n’est pas une opération mécanique. C’est le type de pratique que je fuis constamment. Il faut beaucoup de vigilance. Il faut vérifier la base de la propriété, qui est difficile vu qu’au Maroc, les biens immobiliers ne sont pas tous enregistrés ».
Le ministère veut lancer des consultations
Le diagnostic est le même. Mais au moment d’esquisser la solution, les approches différent. A l’origine de la proposition de loi, Malika Khalil persiste et signe. « Le visa du bâtonnier est nécessaire puisqu’il est le mieux informé de la situation professionnelle de l’avocat. L’institution du bâtonnier et le conseil de l’ordre sont des organes élus, les gardiens des usages de la profession et les responsables de sa moralisation. Ils sont compétents en matière disciplinaire ».
Elle a le soutien de Jaouad Iraqui (PJD), son confrère à la commission de justice. « L’institution du barreau est mieux qualifiée [que le greffe]. Elle aura le sens des responsabilités en exerçant cette mission ».
Le ministère salue la proposition, mais demande un délai pour examiner la question. « Cette proposition tend à ôter une attribution au greffe, qui représente l’administration judiciaire. C’est-à-dire l’État. On ne peut pas transférer, d’un seul trait de crayon, une attribution étatique à une profession libérale. Ce n’est pas chose aisée », estime M. Benabdelkader qui veut lancer « des consultations ».
Le sujet sera au menu de la prochaine réunion de la commission anti-spoliation foncière, présidé par le ministère de la Justice et composée de plusieurs intervenants, issus de la sphère judiciaire, juridique et sécuritaire. Cette entité avait été créée en écho à l’alerte lancée par le Roi Mohammed VI. La sécurité immobilière et les menaces sur le droit de la propriété sont des sujets suivis par le Chef de l’Etat.
Des discussions ont été lancées avec les avocats. Le ministre s’est entretenu avec le bâtonnier d’Agadir-Laâyoune Guelmim. La polémique est partie de cette région particulièrement impactée. Tellement impactée que son barreau a décidé de zapper l’intervention législative. Il a voté la modification de son règlement intérieur pour assujettir les contrats en question au contrôle de l’Ordre. Une démarche contestée par le ministère public qui en réclame l’annulation.