Le Conseil national des droits de l’homme (CNDH) a dit son mot. Son avis sur «les attributions et statuts» du chef du parquet général intervient après sa saisine, le 18 juillet 2017, par le président de la Chambre des représentants, Habib El Malki. Sa demande d’avis est justifiée par la réforme en cours d’examen au Parlement. Ce projet de loi consacre le transfert des pouvoirs du ministère de la Justice au procureur général du Roi près la Cour de cassation en tant que nouveau chef du parquet.
Composé de 10 articles, ce texte «renforce l’indépendance de la justice dans sa globalité conformément à la Constitution de 2011», selon le CNDH. Son avis en souligne aussi la portée institutionnelle qui «réside dans le statut hiérarchique» du parquet général confié à M’hamed Abdennabaoui. Ce représentant de la magistrature debout «veille, au nom de la société et dans l’intérêt général, à l’application de la loi lorsqu’elle est violée et pénalement sanctionnée», rappelle le CNDH.
Il renvoie également à l’avis du Conseil de l’Europe du 6 octobre 2000 sur «Le rôle du ministère public dans le système de justice pénale». «Le projet de loi n°33-17 est globalement conforme aux recommandations du Conseil consultatif des procureurs européens», relève l’instance présidée par Driss El Yazami (voir-ci-dessous).
Deux recommandations phares dans son avis du 20 juillet 2017: l’organisation du parquet national et les archives. Concernant la première, la réforme en cours de discussion impose le visa du ministère des Finances sur la création des structures administrative, technique et financière. Or, ce même texte confère au procureur général du Roi près la Cour de cassation deux statuts, celui de chef du parquet et d’ordonnateur des dépenses. Le CNDH recommande «la clarification des mécanismes de contrôle» pour mieux garantir l’indépendance du parquet.
Il ne précise pas comment. Par crainte peut-être de se retrouver face aux impasses du droit constitutionnel et de son principe de séparation entre les pouvoirs judiciaire et exécutif. Doit-on ainsi opter pour un contrôle budgétaire a posteriori? Et si oui, qui va s’en charger? La Cour des comptes, l’Inspection générale du Conseil supérieur du pouvoir judiciaire, les Finances…?
Il y a aussi la question sensible des archives. Elle est d’une extrême importance pour la préservation de la mémoire judiciaire et la continuité pérenne du service public. Le texte élaboré par le ministère de la Justice évoque seulement «le transfert de la propriété des archives» au parquet général. Le CNDH propose au législateur d’y ajouter expressément «le transfert physique des archives».
Une opération qui va exiger préalablement une collecte des documents, leur inventaire et classification pour éviter toute déperdition. Détail important: le nouveau chef du parquet, M’hamed Abdennabaoui, est directeur sortant de la direction des affaires pénales et des grâces. Le magistrat connaît les archives du ministère de la Justice sur les bouts du doigt. Aucune improvisation, manquement ou ignorance ne devraient être tolérés de part et d’autre dans le transfert des archives.
Les observations du CNDH portent aussi sur l’architecture du projet de loi: «Pas de titres de chapitre» pour rendre plus lisible «le contenu» de la réforme sur les attributions de la présidence du parquet général et de son organisation. Le CNDH s’interroge ainsi sur «l’étendue des prérogatives» du parquet général. Particulièrement celles relatives à son «indépendance vis-à-vis du ministère de la Justice». L’avis recommande d’en préciser les contours basés sur «les principes d’objectivité, d’équité et de transparence».
Et auxquels s’ajoutent «l’obligation de veiller à la protection des victimes, des témoins et des suspects» et la «nécessité d’un écrit» pour enclencher une enquête judiciaire. Les directives écrites sont un garde-fou procédural contre l’abus de pouvoir, les injonctions, les instructions et les pressions auxquels un magistrat pourrait être confronté. L’article 109 de la Constitution cite d’ailleurs ces infractions portant atteinte à l’indépendance de la justice.
Le CNDH préconise la révision de l’article 51 du code de procédure pénale. Le but est d’éviter le flou juridique qui pourrait générer dans l’avenir un conflit de compétence avec l’exécutif. L’article en cause fixe les rapports hiérarchiques entre ministère de la Justice et procureurs: exécuter la politique pénale, ordonner l’ouverture d’une enquête, saisine ministérielle d’un tribunal… La recommandation du Conseil figure déjà dans le projet de loi modifiant le code de procédure pénale: «Le ministre de la Justice avise par écrit le parquet général sur la politique pénale. Ce dernier en informe (ensuite) et par écrit les procureurs…», selon un bilan de la réforme de la justice présenté en novembre 2016 à Rabat.
Le CNDH insiste cependant sur l’intégration d’une «stipulation expresse» dans le projet de loi n°33-17. En effet, le chef du parquet doit «communiquer» à ses subordonnés «les infractions au code pénal» et leur «ordonner d’engager des poursuites». Toutefois, les directives du chef du parquet national ne devraient en aucun cas brider les initiatives des procureurs généraux. Ces derniers doivent garder une marge de manœuvre conformément aux «devoirs et missions du ministère public»: déclenchement d’une enquête et des poursuites judiciaires.
Criminalité: Deux recettes en une
La convergence réglementaire entre le Maroc et l’Union européenne ne se limite pas aux normes phytosanitaires! L’avis du CNDH sur «le rôle et les attributions» du parquet en est une preuve. Quoiqu’il renvoie aussi au corpus juridique de l’ONU sur la mission du ministère public.
Ainsi, la recette européenne recommande «un cadre juridique, organisationnel, technique et des ressources financières et humaines suffisantes». Il en va notamment de «la qualité et l’efficacité» du parquet «y compris dans sa lutte contre le terrorisme et la criminalité grave (pédophilie notamment) et organisée (trafic de drogues et d’armes…)». La qualité et l’efficacité de «son action» induisent aussi «une autonomie budgétaire et de gestion». Ces deux objectifs impliquent que le ministère public puisse «évaluer ses besoins, négocier ses budgets et décider de leur utilisation en toute transparence». Tels sont en partie «les normes et principes» du Conseil consultatif des procureurs européens.
Le CNDH se réfère aussi à ses recommandations sur «la gestion des moyens du ministère public». Il s’agit de «services modernes» réalisant 3 fonctions: poursuites judiciaires, gestion administrative et expertise (psychologue, psychiatres, statisticiens…) imposée par des enquêtes sensibles ou complexes. D’où également le grand apport du futur observatoire national de la criminalité.
Annoncé en août 2009 dans le discours royal sur la réforme de la justice, il n’a toujours pas vu le jour (cf. L’Economiste du 15 août 2012 et du 26 août 2016). Selon le projet de décret, l’observatoire va compiler et analyser les données des services de sécurité, de la douane, de l’administration pénitentiaire, de la justice… Leurs chiffres détermineront les priorités pénales du gouvernement. Sa politique sera appliquée ensuite par le procureur général du Roi près la Cour de cassation.
Le tout dans le cadre d’une «vision concertée et coordonnée avec les autres politiques publiques sectorielles anti-criminalité», selon le ministère de la Justice. Celles-ci vont des agressions des personnes et atteinte aux biens à la corruption, en passant par le terrorisme et la criminalité organisée et financière…
Par Faiçal FAQUIHI
http://www.leconomiste.com/article/1015688-parquet-general-les-recommandations-phares-du-cndh