La réforme du mode de fonctionnement du Parlement n’est plus un choix, c’est une obligation. Les responsables des deux Chambres du Parlement en sont de plus en plus conscients et le discours royal, prononcé le 8 octobre à l’ouverture de l’actuelle année législative, est venu le leur rappeler avec insistance. Même les parlementaires sont unanimes : la situation ne peut plus continuer ainsi.
En dépit de cette prise de conscience, confie un haut cadre de la deuxième Chambre sous couvert d’anonymat, «c’est le statu quo qui prime encore». Et ce n’est pas par manque d’initiatives. La même source assure, en effet, que «depuis son élection à la présidence de la Chambre des conseillers, le 13 octobre 2009, Mohamed Cheikh Biadillah a envoyé au moins une dizaine de lettres à son homologue de la première Chambre pour tenter d’harmoniser l’action des deux Chambres». Les missives de Biadillah ont porté sur la réforme de trois volets de l’action de l’hémicycle : le contrôle du gouvernement, la législation et la diplomatie parlementaire.
Plus récemment, et à la suite du discours royal, les deux présidents, Mohamed Cheikh Biadillah et Abdelouahed Radi, ont tenu une réunion, à ce sujet, vendredi 15 octobre. Avec quels résultats concrets ? «Il ne faut pas s’attendre à un changement dans l’immédiat. La conjoncture est très difficile. Chacune des deux Chambres a ses propres contraintes, et il faut du temps pour mettre en œuvre un programme commun de réforme», confie un proche collaborateur de M. Biadillah.
A noter que l’on ne part pas du néant. «Depuis plusieurs mois une commission a été créée au sein de la deuxième Chambre pour plancher sur l’harmonisation des règlements intérieurs des deux Chambres. Nous examinons le texte article par article pour déceler ce qui peut faire l’objet d’un amendement. La commission a déjà pu examiner une centaine d’articles (sur les 180 que compte le texte)», affirme Mohamed El Ansari, président du groupe parlementaire de l’Istiqlal (PI), chez les conseillers. «L’objectif est, à défaut d’une harmonisation totale, de s’approcher le plus possible du règlement intérieur de la première Chambre», affirme ce juriste et ancien président de la commission de la Justice et de la législation. Un travail qui peine, semble-t-il, à trouver grâce aux yeux des députés de la première Chambre. En effet, «en l’absence d’une coordination entre les deux Chambres, de telles actions unilatérales ne pourront pas aboutir à des réformes concrètes. Cela nécessite une action conjointe et un travail interactif entre les deux institutions», s’insurge Noureddine Moudiane, député PI, et troisième vice-président de la Chambre des représentants. Ce dernier assure néanmoins que l’éventualité de mettre en place une commission commune entre les deux Chambres a été inscrite à l’ordre du jour de la réunion, mardi 19 octobre, du bureau de la Chambre des représentants. Ce qui dénote, du moins, d’une réelle volonté d’ouvrir ce chantier.
De dix minutes à quatre pour chaque question orale
Néanmoins, et avec toute la volonté qui y est mise, tout ne peut pas être changé à volonté, y compris quelques pratiques dénoncées par les parlementaires eux-mêmes. Hormis les questions orales, le droit d’informer et l’action diplomatique, le reste est difficilement réformable, voire, dans la situation actuelle, impossible à réformer. Pour l’heure, ce sont les questions orales qui accaparent l’attention des parlementaires des deux bords. Et c’est certainement le premier point qui sera touché par la réforme. Concrètement, il sera question de réduire leur durée, revoir leur contenu et leur forme. Par exemple, «dix minutes pour chaque question [NDLR : entre question, réponse, commentaire et contre-commentaire] c’est trop. Nous allons certainement réduire cette durée à quatre minutes seulement. De même les questions seront posées directement et non pas lues, comme cela se fait actuellement. La durée de la séance, elle-même, devrait être ramenée à une heure et demie au lieu des trois heures actuellement», affirme Mohamed El Ansari. L’idée de compartimenter les questions est également évoquée. Une première piste déjà : les conseillers interpellent le gouvernement, dans son ensemble, sur les politiques générales du pays alors que les députés questionnent les ministres sur les politiques de leurs propres départements. Ce qui évitera la répétition des questions lors des deux séances hebdomadaires.
Néanmoins, les questions orales soulèvent un autre problème, note Abdelali Hamieddine, politologue et membre du Secrétariat général du PJD. «La constitution a donné une prééminence à la première Chambre, sur tous les volets. Or, le fait de programmer la séance des questions orales pour mardi à la deuxième Chambre et mercredi à la Chambre des représentants relègue cette dernière au second plan. Les questions orales sont déjà consommées politiquement à la deuxième Chambre avant qu’arrive le tour de la première». De même, le droit d’informer, accordé aux présidents de groupes (une intervention de six minutes chacun) au début de chaque séance, donc retransmis en direct par la télévision, met définitivement la deuxième Chambre sous les projecteurs au moment où la première demeure dans l’ombre. «L’article 128 du règlement intérieur (celui relatif au droit d’informer) va certainement soulever un grand débat. Le gouvernement s’estime, en effet, lésé parce qu’il ne peut pas répondre aux critiques qui portent sur son action», affirme Mohamed El Ansari. Les partis politiques et les députés de la première Chambre ne voient pas non plus d’un bon œil cette liberté que prennent les conseillers pour soulever des questions souvent d’ordre politique dans le cadre du droit d’informer. Certains se voient même obligés de tempérer ou contester les sorties des conseillers dont ils portent la même couleur politique, le lendemain au Parlement ou à travers des communiqués et déclarations publiques. Sauf que, aussi problématique soit-il, le droit d’informer ne sera peut-être pas touché par la réforme. Et ce, pour au moins deux raisons. La première réside dans le fait que c’est désormais un acquis pour les conseillers et qu’il est difficile d’y renoncer. Cela d’autant que, affirme Mohamed Mustapha Ibrahimi, juriste et ancien président de la commission de la justice à la Chambre des représentants, «le droit d’informer a sorti la deuxième Chambre de l’ombre et lui a conféré une aura à laquelle il ne pouvait pas prétendre depuis son institution en 1996». Autre raison, politicienne, elle, nul ne peut nier la contribution par ses multiples sorties justement dans le cadre du droit d’informer du président du groupe Hakim Benchemmass, également secrétaire général adjoint du PAM, à redorer le blason de la Chambre des conseillers dont le président n’est autre que le SG de son parti, Mohamed Cheikh Biadillah. En somme, le débat restera ouvert. Mohamed El Ansari tient, toutefois, à préciser que «ce n’est pas le droit d’informer qui pose problème, mais la manière dont il est décliné. C’est un droit qui n’est accordé qu’aux présidents des groupes et son objet porte sur des questions urgentes, sur des faits survenus 48 heures ou, tout au plus, une semaine avant la séance. Il ne peut en aucun cas être formulé sous forme de question ou interpellation du gouvernement».
Un texte à faire valider par le Conseil constitutionnel
Outre les questions orales, les élus des deux Chambres souhaitent également coordonner leur action en matière de diplomatie parlementaire. Chose facile, en apparence. C’est du moins ce que pensent les députés. Ainsi, «il suffit de mettre en place une commission qui établira un programme d’action conjoint. Les missions diplomatiques seraient ainsi réparties, en commun accord, entre les deux Chambres. Ce qui leur conférera une plus grande efficacité», affirme Noureddine Moudiane
(PI).
La même approche pourrait, également, être préconisée pour les commissions d’enquête parlementaire. A l’heure actuelle, tout cela n’est que pistes de travail. Dans les faits, la refonte des règlements intérieurs des deux Chambres est une procédure lente. «C’est un texte réglementaire, explique Mustapha Ibrahimi (USFP). Ce qui implique qu’il doit être voté en commission, puis en plénière et il doit ensuite être validé par le Conseil constitutionnel». Ce qui n’est pas une chose garantie. Le conseil a déjà rejeté, par le passé, le règlement intérieur de la Chambre des conseillers avant son adoption définitive en avril 1998. Optimiste, Mohamed El Ansari, espère, lui, que le texte sera, néanmoins, promulgué vers la fin de l’année en cours ou, au plus tard, au début de l’année prochaine.
Dans l’entourage de Mohamed Cheikh Biadillah, on envoie un autre son de cloche. «Il ne faut pas se leurrer. Techniquement, les deux Chambres doivent d’abord examiner le projet de Loi de finances (NDLR: Soumis au Parlement mercredi 20 octobre). Elles seront probablement occupées, ensuite, par le débat des lois électorales. Cela en plus des textes actuellement en cours d’examen», précise un proche collaborateur du président de la deuxième Chambre.
Quid des autres réformes nécessaires pour une action parlementaire efficiente ? Certaines, qui relèvent beaucoup plus du volet législatif que de celui du contrôle du gouvernement, nécessitent un amendement de la Constitution voire une réforme globale du champ politique. Deux questions ont été soulevées en ce sens : les prérogatives des deux Chambres et la lenteur de la procédure législative. Tous les observateurs s’accordent à le dire : «Nous avons, au lieu d’un seul Parlement à deux Chambres, deux Parlements séparés». Ils sont également d’accord sur un point : revoir les prérogatives de la Chambre des Conseillers. «Il n’est pas raisonnable que la deuxième Chambre puisse voter une motion de censure [article 77 de la Constitution] alors que, constitutionnellement, elle n’est pas habilitée à accorder le vote de confiance au gouvernement. Comment une Chambre qui n’a jamais accordé sa confiance au gouvernement puisse la lui retirer ?», s’interroge le politologue Abdelali Hamieddine. Et ce n’est qu’une des incongruités qui ont été relevées. Mustapha Ibrahimi, lui, préfère revenir sur cette question de la lenteur des procédures. Le juriste estime «qu’il faut simplifier la procédure et régler, une fois pour toutes, cette question de renvoi répétitif de textes d’une Chambre à l’autre». Cela affecte plus particulièrement les textes réglementaires dont l’adoption devrait être, pourtant, accélérée. Ce qui fait dire à cet ancien président de la commission de la justice et de la législation qu’en définitive «nous ne pouvons pas avoir deux Chambres avec les mêmes compétences». «Seulement, ajoute-t-il, chacune des deux Chambres tient fermement à ses propres prérogatives et compte exercer pleinement ses compétences».
La régionalisation, une porte ouverte pour les réformes ?
Pour Noureddine Moudiane, «les deux Chambres qui devraient normalement se compléter se trouvent dans une situation de concurrence». D’où ce blocage que seule une réforme constitutionnelle peut aplanir. «Il faudrait revoir les prérogatives, les méthodes de travail et les procédures de la Chambre des conseillers», estime le député istiqlalien. D’autres acteurs politiques, notamment le PAM, estiment nécessaire la révision de la composition même de cette Chambre. Dans son mémorandum qu’il a soumis, en juillet dernier, à la Commission de consultation chargée de la régionalisation, le parti estime que la mission de la Chambre des conseillers devrait être orientée vers une représentation territoriale des futures régions. «De toutes les manières, soutient Mustapha Ibrahimi, la redistribution des compétences des deux Chambres relève de la Constitution». En ce sens, la concrétisation du projet de la régionalisation avancée pourrait, justement, en offrir l’opportunité. Encore faudrait-il la saisir. Or, «la scène politique n’est pas encore mûre pour ce genre de transformations, cela nécessite beaucoup de réflexion», fait noter Mohamed El Ansari. De son côté, Mustapha Ibrahimi estime que «les partis politiques devraient d’abord en faire la demande, sous forme de mémorandum de réformes constitutionnelles qu’ils soumettront au Souverain». Et bien que presque toutes en parlent, aucune formation politique n’a encore fait le pas. Sauf l’USFP, à la veille des dernières communales du 12 juin 2009, mais dans un contexte où primaient des considérations plutôt électoralistes.
Questionnements :Nomadisme, le Parlement est-il concerné ? S’il est une question qui mérite d’être résolue une fois pour toutes, c’est bien celle du nomadisme des élus. Il ne se passe plus une rentrée parlementaire sans que des dizaines de députés et conseillers changent de couleur politique. A priori, c’est une question qui ne concernent pas directement le Parlement, puisqu’elle relève de la loi sur les partis politiques, mais ne fait que le décrédibiliser davantage. «La transhumance des parlementaires relève de la malhonnêteté. Le député nomade a failli à ses engagements d’abord envers son parti, ensuite vis-à-vis de ses électeurs», fait noter Noureddine Moudiane. Pour en finir, il faudrait amender l’article 5 de la loi sur les partis politiques. L’on pourrait également y remédier, précise-t-on, en intégrant des sanctions dans la partie relative aux groupes parlementaires du règlement intérieur des Chambres. Toutefois, «c’est avant tout une question de volonté politique des partis de mettre à niveau et de réformer l’action politique», estime ce député de l’Istiqlal. Et cette volonté politique, la plupart des formations en font montre, puisque toutes ont fait les frais à un moment ou un autre, de ce phénomène. Le 3e vice-président du Parlement se montre confiant : «La question sera certainement réglée définitivement avant les élections de 2012». Le député socialiste Mustapha Ibrahimi assure, pour sa part, que «si l’on met fin à l’usage de l’argent et l’achat des voix pendant les élections, bien des maux seront guéris. Pour ce faire, le ministère public et le département de l’intérieur doivent veiller à ce que la loi soit appliquée».
Tahar Abou El Farah