A l’instar des champs, les lois sont minées!
Le dahir du 4 mai 1925 relatif à l’organisation du notariat est un cas typique. A part l’anachronisme de son intitulé, l’article 30 lève le voile sur des situations assez alarmantes.
La fameuse disposition «interdit expressément» au notaire de «conserver pendant plus d’un mois les sommes qu’il détient pour le compte des tiers…».
Les fonds «doivent êtres consignés» par le notaire «au plus tard à l’expiration du délai d’un mois». Et c’est justement la CDG, établissement public, qui «a pour rôle central de recevoir, conserver et gérer des ressources d’épargne qui, de par leur nature ou leur origine, requièrent une protection spéciale», précise l’établissement.
Or, à en croire des notaires, la gestion des fonds soulève «un problème de traçabilité financière des fonds déposés».
La Chambre régionale de Rabat évoque ainsi des dysfonctionnements avec des portées pénales pour les notaires. Les cas des «chèques impayés ou des virements perdus» sont les plus emblématiques. «Qu’en est-il de la sécurité des fonds qui incombe à la CDG?», s’interroge Me Amine Zniber, président de la Chambre régionale du notariat de Rabat. Pour les chèques impayés, les «incidents interviennent alors que des confrères ont leurs soldes créditeurs. C’est dangereux, même si c’est un cas sur 100». Car il y va de la sécurité des transactions et de la réputation de l’étude.
Même l’accessibilité de l’information est mise en cause.
Il y a des cas où ces «incidents ont indirectement causé des ennuis judiciaires à des notaires». Il arrive que «le parquet saisisse directement la Chambre de conseil près du tribunal de 1re instance» alors que c’est «le mécanisme de la CDG qui ne marche pas». Le nombre de cas? C’est «le ministère de la Justice qui dispose des statistiques», précise Me Zniber.
La loi ayant créé cet établissement public, en février 1959, n’a fait que transposer «l’obligation de dépôt» prévue par l’article 30 du texte relatif à l’organisation du notariat français. Cinquante ans plus tard, le projet de loi 32-09 relatif à l’organisation de la profession de notaire et la création d’un ordre national des notaires surgit. «L’on ne sait pas qui est l’auteur de sa dernière mouture. Il y a des chances que ce soit le Secrétariat général du gouvernement» qui l’ait rédigé, affirme l’ex-président de la Chambre notariale, Me Nourdine Skouked. Le 9 avril dernier, le texte est tout de même adopté au Conseil de gouvernement. Des «dispositions favorables à la profession, tel l’article 34, ont sauté par la même occasion». Il accordait une exclusivité des actes translatifs de propriété immobilière aux notaires. Ce qui revient à enlever des parts de marché aux adouls, avocats, conseillers juridiques….
Cette fois-ci, ce n’est pas l’obligation de consignation qui pose problème.
Mais c’est plutôt une convention signée entre notaires et CDG. Celle-ci date de l’époque où Mohammed Zamrani était président de la Chambre (2001-2003).
D’après Me Skouked, la convention prévoyait «le versement d’intérêts des fonds déposés à titre individuel par les notaires; retraite et assurance; l’achat d’un siège et d’un club pour la profession…». C’est ce que confirme aussi le président de la Chambre régionale de Rabat. «La CDG n’a jamais respecté ses engagements», regrettent nos interlocuteurs. Pourquoi? Contactés par L’Economiste, les responsables de la CDG sont restés injoignables. En France, l’expérience a pourtant réussi entre notaires et Caisse de dépôt et consignation (CDC).
Le cas CDG est présenté comme l’un des onze points qui constituent «les dangers du projet de loi 32-09». «L’exigence du dépôt des fonds à la CDG est maintenue malgré les difficultés posées par la pratique», selon une note explicative.
Pour le montant des dépôts notariaux à la CDG, on les estime à «200 millions de DH». C’est du moins le chiffre avancé par son pôle dépôt et consignation lorsque Mohammed Soual en était le directeur. Après l’arrivée d’Anas Alami, c’est Mohamed Ali Bensouda qui a pris la relève. En 2008, la CDG, investisseur public, comptabilise 46 milliards au titre des dépôts, notamment ceux de la CNSS (cotisations sociales).
Les 780 notaires du Royaume demandent seulement l’application de la convention. Même si le parquet a «considéré que l’article 30 est impératif et que, par conséquent, aucune convention ne lui est opposable», avance l’ex-président de la Chambre notariale. Ce qui est contesté ce n’est pas l’obligation de consignation, mais plutôt la finalité des fonds.
D’où l’enjeu juridique que représente le texte n° 32-09 pour la profession: mettre à jour une loi vieille de près d’un siècle et l’adapter aux recommandations de l’Union internationale du notariat latin.
Faiçal FAQUIHI