A travers la CSMD, les Marocains ont jugé leur système judiciaire. Le jugement est sans appel : malgré les réformes, “la Justice pâtit d’un manque d’indépendance, d’efficacité et n’arrive toujours pas à dissiper le sentiment d’insécurité juridique, ni chez les citoyens ni chez les opérateurs économiques”.
Dix ans après la nouvelle Constitution, le constat reste amer pour le système judiciaire. Citoyens et opérateurs économiques le perçoivent comme « inefficient ». Une image qui contribue « à brider les énergies », source d’ « essoufflement » pour le modèle de développement actuel. « Il y a unanimité sur le fait que le pays continue de souffrir de sa justice », conclut la CSMD dans son rapport soumis le 25 mai au Roi Mohammed VI.
En 2013, une charte avait fixé des objectifs visant la réforme de l’ensemble du système judiciaire. Entre-temps, des révisions législatives ont été entamées. Mais, dans les faits, les résultats tardent à se manifester : Délais longs, imprévisibilité des jugements, manque de compétences, déficit de transparence, faible éthique et moralité… Chez le citoyen, ces éléments confortent le « manque de confiance » dans la Justice. Couplé à un « sentiment d’insécurité qui limite les initiatives ».
« Une culture théologique des magistrats »
La CSMD interroge l’indépendance même du pouvoir judiciaire. Promue par la Constitution de 2011, sa formalisation demeure « contrainte par une culture théologique des magistrats ».
Un descriptif qui rappelle la position de la Cour de cassation à l’égard des enfants nés hors mariages. Ses juges leur nient tout droit vis-à-vis du géniteur. Le problème est à la fois judiciaire et législatif. Cette question est d’ailleurs abordée par le rapport, lequel appelle à assurer « la responsabilité du père lors d’une naissance en dehors du cadre » conjugal, notamment grâce « aux technologies et au test ADN» .
Des juges qui plus est, sont « peu ou pas préparés aux évolutions de leur métier, notamment sur les aspects économiques et financiers ». Le rapport note « des pratiques abusives, bien qu’elles soient isolées » et qui « renforcent la perception des citoyens et des opérateurs quant au risque d’insécurité et d’arbitraire du système judiciaire. » L’imprécision de certains textes juridiques est perçue comme « des marges d’instrumentalisation », un facteur qui « dissuade contre l’exercice des libertés publiques et individuelles ».
Sondés par la commission, de nombreux observateurs s’interrogent sur « la place du Ministère Public, ses rapports avec le Conseil Supérieur du pouvoir Judiciaire, et son indépendance de fait envers toutes les autres autorités ». L’ambiguïté qui entoure les relations entre la présidence du MP, le CSPJ et le ministère de la Justice met l’opinion « dans l’incapacité d’interpeller un responsable sur les dysfonctionnements que connaît la justice ». La coordination entre les trois entités est régie par un arrêté publié au bulletin officiel du 20 mai, soit quelques jours avant la publication du rapport de la CSMD.
« Sortir de l’état d’hésitations sur le principe de liberté »
Face à ce tableau peu reluisant, une aspiration : « Donner aux orientations de la Constitution un contenu réel, et sortir de l’état d’hésitation sur le principe de liberté ». Or, « la justice est l’institution clef dans cette ambition », tranche la commission présidée par Chakib Benmoussa.
Pour la CSMD, il est nécessaire « de consolider les capacités de la Cour constitutionnelle à asseoir la hiérarchie des normes et à traiter les exceptions d’inconstitutionnalité ». Attendue depuis dix ans, la loi organique encadrant ce mécanisme n’a pas encore été débloquée.
« La qualité du système judiciaire est tributaire de ses compétences humaines, d’où la nécessité de diversifier les filières de recrutement et d’améliorer la formation des magistrats pour leur permettre de rehausser leurs compétences dans des domaines variés et nouveaux et leur permettre d’accompagner de près l’évolution de la société », estime la CSMD.
Les professions extrajudiciaires ne sont pas en reste. Les compétences des greffiers, avocats, les experts assermentés « sont appelées à être valorisées par l’amélioration des formations et des qualifications, la catégorisation, ainsi que leur suivi et évaluation. » Une antenne auprès du Conseil Supérieur du Pouvoir Judiciaire devrait pouvoir réceptionner les plaintes et les dénonciations du public, avec garanties de protection des lanceurs d’alerte.
Justice et essor du secteur privé
Mettre en œuvre le Nouveau Modèle de Développement « concernant la réforme de la justice est crucial pour encourager l’essor du secteur privé ». D’où la nécessité de mieux protéger les entreprises « grâce à des mécanismes de recours efficaces ». Ainsi, les mêmes exigences de transparence, d’impartialité et d’équité devront être promues en matière de justice commerciale.
Moderniser l’institution judiciaire et parachever la mise en œuvre de la Charte de la réforme du système judiciaire. Il s’agit notamment de « promouvoir une justice spécialisée, plus professionnelle et en phase avec les mutations en cours. » La CSMD appelle à « la multiplication des tribunaux de commerce et accorder un intérêt particulier aux tribunaux administratifs ».
Promesse incessante de l’Exécutif, la E-justice doit être opérationnalisée. « Il s’agit notamment de digitaliser les procédures, publier les jugements et arrêts dans un délai raisonnable, transmettre les notifications et convocations et des jugements dans le cadre d’une adresse électronique sécurisée pour les citoyens. Par ailleurs, un accès plus facile, à travers un portail unique, aux lois, jugements et arrêts, doit être encouragé », estime la CSMD.