DEPUIS le 5 août dernier, tous les mariés sans actes ont droit à 10 ans pour régulariser leur situation. Pas de quoi sauter au plafond! Puisque les couples concernés sont ceux n’ayant pas pu, pour une raison ou une autre, établir un acte de mariage en bonne et due forme: Des témoins et un verset coranique ont suffi pour sceller l’union. Or l’article 13 du code de la famille précise bien les cinq conditions auxquelles est subordonnée la conclusion d’un mariage. A part l’obligation de verser une dot, l’on relève celle de la présence de deux adouls. Ils constatent le consentement des époux et consignent l’acte par écrit. Un formalisme qui est atténué par l’article 16 justement. Celui-ci instaure l’exception «des raisons impérieuses» ayant fait obstacle à l’établissement de l’acte de mariage. Et une 2e chance est accordée au couple qui entame alors une action dite en reconnaissance de mariage.
Il y a deux ans, sur près de 331.000 unions contractées, un peu plus de 7% ont bénéficié d’un jugement recognitif de mariage. En cours de procédure, le juge s’assure au préalable de «l’existence d’enfants ou de grossesse issue de la relation conjugale» et que «l’action a été introduite du vivant des deux époux». L’action en reconnaissance de mariage est soumise au principe de la liberté de la preuve. Tous les moyens sont donc valables pour établir l’existence d’une union: témoins, photos, expertises médicales…
Le législateur a précisé, toujours selon l’article 16, qu’une action en reconnaissance de mariage n’est jouable que durant une période transitoire de 5 ans. Ce délai a pris effet depuis la publication de la loi 70-03 portant code de la famille au Bulletin officiel, soit le 3 février 2004. Il y a plus d’un an et demi que ce délai a expiré.
Depuis, plusieurs cas sont en attente dans les tribunaux de la famille. C’est du moins le constat de Me Khalid Fakirni avocat au barreau de Casablanca et qui met en avant les conséquences qui peuvent en découler, dont celui de la filiation, la scolarité des enfants, la succession…
La reconduction de la période transitoire va fort probablement en finir avec ce sentiment d’incertitude qui règne chez les justiciables concernés. D’autant plus qu’il est entré en vigueur depuis le 5 août.
Reste à se demander pourquoi le ministère de la Justice a-t-il opté dans son projet de loi pour une période transitoire s’étalant sur une décennie? Alors que l’article 16 a servi aussi à conclure des mariages forcés ou avec des mineurs, voire polygames (www.leconomiste.com). Malgré les abus, la Fédération de la ligue démocratique des droits des femmes (FLDDF) été d’accord pour la prolongation. Mais n’a pas manqué de communiquer ses réserves dans une requête datée du 6 mai 2010. La Fédération s’est appuyée sur une enquête de terrain effectuée dans la région d’Ouarzazate: Toujkalte, Aït Ayoub, Taliouin, Skoura et Tikert. Le but était de savoir jusqu’à quel degré les habitants de ses villages -qui relèvent de la communauté rurale- sont-ils informés des dispositions contenues dans le code de la famille? Bien entendu l’article 16 était en priorité concerné. Les résultats sont surprenants, même si la FLDDF ne donne pas d’information sur l’échantillon questionné (nombre, âges, sexe…). Toujours est-il que plus de 85% de la population n’ont aucune idée sur le contenu de la loi. Elle en déduit qu’il y a un grand déficit en matière de communication. Sur ce coup-là, le ministère de la Justice a tout intérêt à déployer une campagne de sensibilisation. Sachant que le principe fait que «nul n’est censé ignorer la loi». Sinon, il se retrouvera d’ici 2020 (date d’expiration de la 2e période transitoire) en train de plancher sur une nouvelle prolongation. Une aberration n’est-ce-pas? Surtout que l’enquête révèle que «l’analphabétisme fait que les gens ignorent les dispositions de l’article 16». Plus grave encore. Ils sont nombreux (50%) à ignorer que la loi oblige à consigner un acte de mariage… Sur 100 personnes mariées, 28% ont déclaré s’être marié sans acte. Et ça se passe en 2010! D’après la Fédération, ce déficit d’information «est en partie comblé par les associations et les médias».
Certes, l’on peut toujours objecter qu’il ne s’agit là que d’une enquête régionale… Mais dont les résultats peuvent être largement transposables au Maroc rural.
Qui dit analphabétisme dit pauvreté. La fait d’exonérer les justiciables nécessiteux des taxes judiciaires s’avère donc indispensable. Particulièrement dans le milieu rural. Et où le problème d’enclavement n’arrange pas la situation et biaise l’effectivité de l’article 16. Exemple: administration inaccessible pour l’enregistrement des nouveau-nés ou encore l’inexistence de juge mobile… Ce sont là de précieuses informations de terrain auxquelles un fonctionnaire ne pense pas lorsqu’il concocte son projet de loi. Le ministère de la Justice est a priori dans ce cas de figure. Pour l’exonération des taxes judiciaires, il peut toujours se rattraper en l’inscrivant au projet de loi de Finances 2011 ou la décider par arrêté ministériel si possible. Car le droit d’accès à la justice passe par des mesures concrètes. Quant à la communication, il a raté le coche lors du premier round. Le ministère de la Justice doit prendre exemple sur celui des Transports et de l’Equipement. Si ses spots sur le code de la route diffusés via 2M et Al Aoula laissent à désirer, ils ont au moins le mérite d’exister. Reste les abus commis au nom de l’article 16: mariage forcé, mariage des mineurs ou polygamie.
L’article 41 pose des conditions pour pouvoir prétendre à une 2e femme.
Primo, l’autorisation du juge est soumise au principe d’équité. Le mari doit «disposer de ressources suffisantes pour pourvoir aux besoins des deux foyers…». Secundo, le mari doit faire valoir un argument «objectif et exceptionnel», telle que la stérilité de son épouse. La loi n’est pas appliquée à la lettre par les juges. Il suffit de se reporter au rapport de l’Inspection générale 2007-2008 qui a contrôlé 92% des tribunaux de famille. Même si le juge refuse l’union avec une mineure, «les justiciables passent à l’acte. Pour les mineurs, verset coranique et témoins font que souvent le tribunal se trouve devant «le fait accompli». La reconnaissance du mariage s’impose surtout si la mariée mineure est enceinte ou a un bébé. C’est pourquoi l’ONG a proposé que la prolongation de la période transitoire ne soit accordée qu’aux mariés majeurs lors de leurs fiançailles. Et donner un délai d’un an au cas où l’un d’eux était mineur lors des fiançailles.
Mais la grande revendication était de renouveler d’une année seulement la période transitoire et d’accompagner l’article 16 de sanctions (cas de mariage polygame et mineur). Le ministère n’en a finalement pas tenu compte.
Faiçal FAQUIHI