La Cour de cassation vient de reconnaître un mariage coutumier alors que ce régime dérogatoire est abandonné depuis 2019. Pour motiver sa décision, la plus haute juridiction du Royaume sort la carte du rite malékite.
Régulariser un mariage par Fatiha, c’est encore possible. La Cour de cassation le dit dans un récent arrêt rendu par sa chambre des affaires personnelles. Cette décision survient trois ans après l’expiration de la période transitoire pour la reconnaissance des unions sans acte, autrefois permises par la Moudawana.
Depuis l’adoption du Code de la famille en 2004, « le document de l’acte de mariage » constitue l’unique « preuve valable » du lien conjugal. Mais « si des raisons impérieuses » ont empêché l’établissement du contrat « en temps opportun », le tribunal pouvait reconnaître le lien a posteriori, par le biais d’une « action en reconnaissance de mariage. » Autorisée pendant quinze ans en vertu de l’article 16, cette dérogation a été officiellement abandonnée en 2019 par le ministère de la Justice, alors dirigé par Mohamed Aujjar.
L’arrêt de la Cour de cassation est venu réactiver ce mécanisme dans un dossier jugé le 21 juin 2022. L’affaire concerne un couple « marié » par Fatiha en 2007 mais qui, pour des « raisons impérieuses » n’a pas pu acter un contrat de mariage en bonne et due forme.
Quatorze ans et trois enfants plus tard, le couple saisit le tribunal de Marrakech pour régulariser la relation. Ce qu’ils obtiennent en vertu d’un jugement rendu en novembre 2021. Sauf que la décision sera contestée par le ministère public, auteur d’un recours en appel. Le représentant du parquet y invoque l’ineffectivité de la dérogation, qui n’est plus active depuis le 25 février 2019. L’argument sera validé par la cour d’appel, puisqu’elle annulera le jugement de première instance.
Débouté par la juridiction de second degré, le couple se pourvoit en cassation et obtient gain de cause. Pour la plus haute juridiction du Royaume, « la fin de la période transitoire » et « l’absence d’un texte légal » n’empêchent en rien « la reconnaissance d’un mariage sans acte ».
Comment la Cour de cassation a-t-elle motivé sa position ? En sortant la carte de l’article 400 de la Moudawana. Cette disposition permet aux juges de pallier le « vide juridique » en se référant « au rite malékite et à l’effort jurisprudentiel (ijtihad) qui tient compte de la concrétisation des valeurs de l’islam en matière de justice, d’égalité et de bons rapports de la vie commune ».
Résultat, les parties seront relancées devant la cour d’appel, où le dossier a été renvoyé pour un nouvel examen. En reprenant l’affaires, les juges devront s’aligner sur l’interprétation adoptée par les sages.
Une interprétation attendue par les praticiens, et qui fait déjà l’objet de critiques. Pour cette source judiciaire, la Cour de cassation ouvre de nouveau la voie à ce type d’action « alors que le texte est clair quant à l’obligation du document de l’acte de mariage ». Contrairement à ce que l’arrêt laisse entendre, notre interlocuteur estime qu’il « n’y a pas de vide juridique. La période transitoire a expiré en 2019 et elle ne peut être réactivée que par une disposition légale ».
En interrompant la dérogation, le ministère de la Justice avait annoncé le lancement d’une « étude » à grande échelle pour évaluer l’opportunité ou non de rouvrir une nouvelle période de régularisation. Les résultats de cette étude n’ont jamais été dévoilés.
En parallèle, d’autres institutions se sont intéressées au sujet, mais via le prisme du mariage des mineures. Menée par le ministère public, une enquête choc démontre comment des familles utilisent l’action en reconnaissance de mariage pour imposer l’union de leurs filles mineures.
L’action en reconnaissance de mariage comme moyen de fraude
Dans un article précédent, des sources judiciaires spécialisées nous décrivaient l’existence d’un système de fraude, qui prend le plus souvent deux cas de figure :
Le premier concerne des parents qui, « anticipant le refus du mariage de leur enfant, organisent tout de même une cérémonie coutumière. A charge pour les deux conjoints d’initier quelques années plus tard une action en reconnaissance de mariage ».
Dans le deuxième cas, il ne s’agit pas d’anticiper un refus éventuel, mais de « désactiver les effets d’un refus réel du tribunal ». C’est le cas typique d’un mariage rejeté après expertise médicale, déclarant la fille physiquement inapte à la procréation. Les parents décident alors de sceller le mariage par Fatiha. Là aussi, les deux mariés reviennent des années plus tard pour authentifier leur union. « Quand leur demande est acceptée, le jugement agit de manière rétroactive. C’est-à-dire que le juge se retrouve, malgré lui, à authentifier un mariage de mineur rejeté quelques années plus tôt, et à juste titre, par son confrère. »
Un point commun entre les deux cas : l’action en reconnaissance de mariage est initiée quatre ou cinq ans après le mariage coutumier. Le temps pour la jeune fille d’atteindre la majorité et, pour le couple, de donner naissance à des enfants. Une manière d’acculer la justice, la présence d’enfants garantissant souvent la validation de l’action.
On retrouve le même usage frauduleux dans les dossiers de polygamie.
Cette source nous relatait le cas typique d’un conjoint qui, à l’insu de la première femme, en épouse une deuxième avec qui il engendre des enfants. Ce deuxième mariage n’étant pas authentifié, l’intéressé saisit le tribunal pour qu’il en soit ainsi.
C’est alors que la première femme se manifeste. Elle signifie au juge qu’elle s’oppose au deuxième mariage. Las, le juge rejette sa demande, car formulée trop tard.
La jurisprudence estime qu’une fois enclenchée, la procédure de reconnaissance du mariage ne peut être entravée par celle de la polygamie. Que la première femme refuse le deuxième mariage importe peu. Le juge ne peut pas se permettre de rejeter la nouvelle union, celle-ci ayant donné lieu à des enfants.
« Pour certains, l’action en reconnaissance du mariage n’est qu’un moyen de contourner la procédure de la polygamie. Celle-ci est conditionnée par l’approbation de la première femme. De quoi mettre le juge dans l’embarras. « Quand la deuxième union a donné lieu a des enfants, le juge ne peut que l’accepter. Par contre, sans enfants, le rejet de l’action est immédiat. »