«Magouille bien, tu l’emporteras!». Telle est la recette, selon Fayçal Lahjouji, de la fédération nationale du BTP, pour décrocher des marchés publics. C’est dire que la réforme du cadre juridique enclenchée en 2007 n’a pas eu les résultats escomptés. «Après 18 mois d’application, des ajustements du décret de 2007 s’imposent», confie Saïd Ibrahimi, trésorier général du Royaume.
Les résultats de la lutte contre la corruption et la promotion de la bonne gouvernance, qui ont constitué les grands axes de la réforme, sont à ce jour peu reluisants. Le constat a été unanime au Colloque national sur la gestion des marchés publics tenu le 20 avril à Rabat. «Les textes à eux seuls ne suffisent pas. Il va falloir concevoir un cadre sain qui favorise la concurrence. Sinon les marchés iront aux plus malins», poursuit Lahjouji. Les ressources affectées par l’Etat à ses achats s’élèvent à 120 milliards de DH, soit 15% du PIB. Certains secteurs économiques réalisent l’essentiel de leur chiffre d’affaires grâce à ces achats: 70% dans le secteur du BTP et 80% pour celui de l’ingénierie. Des marchés censés générer une dynamique économique, caractérisée par la libre concurrence. Mais il n’en est rien jusque-là, témoignent les intervenants. «Plus de 50% des marchés sont attribués à des entreprises dans des conditions, pour le moins, opaques. Finalement, elles n’honorent pas leurs engagements, d’où le nombre important de chantiers inachevés», fustige Lahjouji.
Les astuces sont légion pour influencer l’attribution des marchés. «Les administrateurs influencent souvent les soumissions. Ils conseillent aux entreprises de ne pas soumissionner sous prétexte que le marché est déjà attribué. Du coup, nous sommes obligés d’obtempérer par crainte de perdre d’autres marchés», témoigne un entrepreneur. De même, certaines collectivités publient les appels d’offres dans des journaux à faible tirage ou régionaux pour limiter au maximum l’accès à l’information.
Pis encore, selon les professionnels du BTP, une entreprise qui accapare 80% du marché appartient à un ministre, sans évoquer son nom. Le décret de 2007 prévoit certes des droits de recours en faveur des soumissionnaires évincés, mais leur portée est limitée parce qu’aucun délai n’est prévu pour l’instruction des requêtes des candidatures non retenues. De plus, ni l’avis du ministre de tutelle ni celui de la Commission des marchés n’ont un caractère contraignant.
S’y ajoute un phénomène psychologique: la crainte d’entrer en conflit avec le maître d’ouvrage. «Intenter un recours contre le maître d’ouvrage revient à signer sa lettre de mort», souligne Moncef Ziani, de la fédération du conseil et de l’ingénierie. Ce qui explique le nombre limité des recours devant la Commission des marchés (7 recours en 2008).
D’après Alaleh Motamedi de la Banque mondiale, la célérité des mécanismes de recours devrait être améliorée en donnant aux soumissionnaires la possibilité de saisir directement la Commission des marchés, sans passer par le donneur d’ordre et le ministre de tutelle. Il est également recommandé que l’avis de la Commission des marchés ait un caractère coercitif.
Une chose est sûre, les pratiques déloyales dans la passation des marchés portent un coup dur à l’économie nationale. Abdessamad Sadouk, de Transparency Maroc, estime le coût de la corruption à 5% par marché. Selon lui, l’intégrité des marchés publics peut faire économiser 5 à 7% des dépenses au pays: «Il y a des théâtres, des stades… qui ne servent à rien. Ils ont été construits parce qu’ils génèrent des commissions». L’instauration de l’instance centrale de prévention de la corruption et du conseil de la concurrence devra améliorer la situation. Les attributions des deux instances restreignent cependant leur champ d’intervention.
Vide juridique
Le décret sur les marchés publics entré en application en octobre 2007 n’a pas résolu les irrégularités. Il comporte un certain nombre de dispositions, mais n’en fixe pas les modalités ni la destination. L’article 90 par exemple oblige le maître d’ouvrage à établir un rapport de présentation du projet de marché mais ne précise pas l’autorité à laquelle il doit être soumis ni l’usage qu’elle doit en faire. Même remarque pour l’article 91, il oblige le maître d’ouvrage, une fois le marché exécuté, à établir un rapport destiné à l’autorité compétente, mais ne précise pas non plus l’utilisation qui doit en être faite.
Par ailleurs, aucun mécanisme ne garantit le respect de l’obligation de la publication: sur 15.000 appels d’offres lancés en 2008, seuls 2.000 ont été publiés. En dépit de la mise en place d’un portail des marchés publics.
Tarik HARI