Chaque jour anémie, asthme, allergie, surdité, cancer… et tant d’autres atteintes à la santé affectent les salariés du fait de leur activité professionnelle. Ce sont les pathologies professionnelles qui, selon les estimations du Bureau international du travail (BIT), font 160 millions nouveaux cas et tuent 1,7 million de personnes chaque année dans le monde.
Malgré ces chiffres alarmants, le BIT note une constance: la sous-déclaration de ces maladies, encore plus flagrante dans les pays en voie de développement. Les statistiques de notre ministère de l’Emploi confirment cette réalité amère puisqu’elles sont quasi inexistantes. Exceptées les pneumoconioses dont la reconnaissance nécessite un passage obligatoire par l’inspection médicale du travail et les grandes entreprises dotées de services de santé au travail bien structurés, qui déclarent quelques cas de maladies professionnelles constatées chez leurs salariés, dans le reste des entreprises, cette surveillance passe pour le dernier des soucis.
Certes, la méconnaissance constitue la pierre angulaire qui explique cette situation, mais elle n’est pas la seule, ni la principale. Tous les intéressés partagent à des degrés différents la responsabilité.
Pour les salariés, l’analphabétisme, l’insouciance, le manque de formation et de sensibilisation au risque ajoutés au fait que les maladies professionnelles sont d’installation insidieuse ne se révélant qu’après des années d’exposition aux nuisances, voire plusieurs années plus tard ou après la retraite (cas des cancers) fait que l’on incrimine peu ou pas le travail dans leur genèse. Et quand même la relation de cause à effet est établie, la procédure qui mène à la réparation (indemnités journalières et rente) est très astreignante. En effet, soit que la maladie figure dans le tableau de maladies professionnelles arrêtée par le ministère de l’Emploi, alors la présomption d’origine fait foi, mais le salarié victime doit faire lui-même la déclaration munie du certificat médical de constatation à l’autorité locale (municipalité, gendarmerie ou poste de police).
A celle-ci de transmettre le dossier au tribunal de première instance et là, le juge procède à une enquête et peut requérir une expertise au terme de laquelle les parties sont convoquées pour une tentative de conciliation. Si elle n’aboutit pas, le tribunal prononce son jugement.
Quand la maladie ne figure pas dans le tableau réglementaire, c’est un parcours de combattant qui attend la victime pour établir l’existence d’une faute de son employeur, et prouver que cette faute a engendré la maladie et établir un lien de causalité entre la faute et la maladie. Les médecins traitants généralistes et spécialistes, qui devaient normalement être vigilants à cet égard, ne pensent que rarement à l’origine professionnelle des troubles de santé que présentent leurs patients. Même quand un diagnostic d’une maladie professionnelle ou à caractère professionnel est établi, ils faillent à l’obligation de déclaration (à l’Inspection de travail) qui leur incombe sachant que cette carence peut engager leur responsabilité civile.
En effet, en ne rattachant pas des troubles de santé présentés par un travailleur à un tableau de maladie professionnelle peut être assimilé à une carence à l’obligation de moyens qui préside à tout contrat de soins liant un médecin à un patient. Les employeurs, quant à eux, n’ont aucun intérêt à ce que les maladies professionnelles soient connues et reconnues comme telles car c’est à eux que revient la charge de prise en charge de tous les frais nécessités pour les traitements, les arrêts de travail et la réparation des incapacités engendrées par celles-ci d’autant plus qu’aucune assurance n’est obligatoire à cet effet.
En fin de compte c’est le régime général de l’AMO qui se substitue aux employeurs pour la prise en charge des maladies professionnelles quand il s’agit de maladies inscrites comme affections de longue durée (ALD) sinon c’est le salarié qui supporte la facture tandis que la CNSS supporte l’indemnité du congé de maladie. Pis encore, les salariés porteurs de maladies professionnelles non constatées demeurent exposés aux mêmes nuisances pour évoluer vers des complications parfois incurables.
Une assurance obligatoire contre les maladies professionnelles à l’instar des accidents du travail, voire la domiciliation de ces deux assurances à la CNSS, un programme de sensibilisation des médecins praticiens et des salariés sur les risques de maladies professionnelles ainsi qu’un allégement des procédures (par la réforme du dahir du 31/05/1943) devraient rendre nos statistiques beaucoup plus pertinentes pour qu’on puisse faire face à un problème de santé réel mais occulté. Le chemin sera long.