Loyers impayés : L’absence d’un texte dédié à l’état d’urgence devient problématique

Loyers impayés : L’absence d’un texte dédié à l’état d’urgence devient problématique

Publié le : - Auteur : Medias24

Le Parlement a proposé des lois pour encadrer les litiges de loyers impayés, adaptées à la situation actuelle. Le gouvernement les a rejetées, et les juges évitent de trancher. Qui doit agir ? Comment ? Voici les avis d’experts.

En hausse depuis la rentrée judiciaire, les litiges relatifs aux loyers impayés pendant cette période de crise posent aujourd’hui une problématique juridique à laquelle réagissent deux avocats sollicités par Médias24.

Pour Maître Mounir Founani, avocat au barreau de Rabat et Maître Meriem Berrada, avocate au barreau de Casablanca, l’absence d’un texte spécifique encadrant les relations contractuelles entre bailleurs et locataires dans le contexte de l’état d’urgence sanitaire constitue un problème auquel il faut remédier en urgence.

En matière de baux commerciaux, la loi 49-16 protège le bailleur qui, après un cumul de 3 loyers impayés, peut recourir à la justice, dans le respect de certaines conditions (réalisation de la clause résolutoire, procédure de mise en demeure, délais, etc.).

Cela dit, la loi en vigueur ne prévoit pas de dispositions sur les impayés liés à l’état d’urgence sanitaire, mis en place par les autorités marocaines depuis le mois de mars.

La crise sanitaire et économique ainsi que les décisions de confinement total ou partiel ont sévèrement impacté les activités de certaines entreprises. En résulte ainsi, pour certains, l’incapacité de payer les loyers. Dans ce cas, qui doit assumer la perte de gains ? Est-ce le locataire ou le propriétaire ?

“C’est au juge de trancher au cas par cas”, a déclaré le ministre de la Justice, Mohamed Benabdelkader, en juillet dernier.

Certes, la décision revient à la justice, mais compte tenu de la situation exceptionnelle, les magistrats se heurtent à un sérieux dilemme et risquent de multiplier les décisions sans solutions.

C’est au législateur de réagir en urgence

“C’est une situation délicate. Il est difficile de prendre une décision en faveur d’une partie au détriment de l’autre, car bailleurs et locataires souffrent”, déclare Maître Mounir Founani.

Cette difficulté a en effet été constatée fin septembre, lorsque le tribunal de commerce de Rabat a émis une surprenante ordonnance qui porte sur une affaire opposant un bailleur à un locataire d’un local à usage commercial.

Après un cumul de trois loyers impayés, le propriétaire a eu recours à la justice pour demander l’expulsion du locataire et réclamer son dû. Jusque là, la situation est simple.

Mais, étant donné que les loyers impayés correspondent à la période de fermeture décrétée par le gouvernement marocain, le juge des référés s’est retrouvé confronté à une situation inhabituelle et a décidé de se déclarer incompétent.

Pourtant, c’est lui que la loi désigne pour connaître ce type d’affaires. Cette “non-solution”, comme l’ont nommée certains commentateurs, risque de se multiplier. Qui doit réagir ? Et comment ?

Nos deux interlocuteurs sont unanimes, « c’est au législateur d’intervenir ». Selon Maître Founani, “à travers cette intervention le législateur doit trancher en faveur de la partie qui souffre le plus”.

Pour la déterminer, l’avocat propose de se baser sur “les statistiques du HCP par exemple. Ces données (sur le niveau de pauvreté, les revenus des citoyens, etc.) ne sont pas publiées pour être lues et oubliées, mais plutôt pour être utilisées comme référence par le législateur”, indique-t-il.

“C’est à la lumière de ces données et statistiques que le législateur peut fixer des solutions médianes, à appliquer durant cette période particulière uniquement. Par exemple, l’on pourrait proposer que les loyers impayés constituent une dette qui ne conduit pas à l’expulsion du locataire”, ajoute l’avocat.

Cette suggestion a été présentée sous forme de proposition de loi par l’USFP. Le groupe parlementaire a été le premier à faire un effort législatif dans ce sens, suivi du PJD et du PAM. Mais les trois se sont confrontés à un surprenant refus de la part du gouvernement, annoncé par le ministre de la Justice en juillet 2020. Depuis, plus rien.

Maître Founani estime que « les juges doivent travailler en étant à l’aise. Ils ne doivent se soucier que de l’application de la loi et non de sa création. Certaines problématiques juridiques sont posées malgré l’existence de textes de lois, puisqu’il arrive que ces derniers soient interprétés de différentes façons. Comment faire lorsqu’il n’y a aucun texte pour encadrer une situation donnée ? », poursuit l’avocat.

Maître Berrada rappelle que la problématique qui se pose ici, concerne les baux commerciaux uniquement car pendant la période de fermeture, décidée par les autorités, les locataires d’un local à usage d’habitation ont continué à en jouir. Un local à usage commercial dont la fermeture a été ordonnée par les pouvoirs publics n’a pas profité à son locataire ce qui, selon l’avocate, représente un fait du prince.

« Selon la jurisprudence, qui constitue le droit prétorien, le fait du prince est un cas de force majeure et cette dernière a pour conséquence juridique de suspendre l’exécution du contrat. Cela signifie que le contrat ne produit plus d’effets juridiques et que le locataire n’a pas à payer de loyer », explique l’avocate.

« Un contrat de location est un contrat synallagmatique, c’est-à-dire que les parties s’obligent réciproquement l’une vers l’autre. De ce fait, si le locataire ne jouit pas de son bien, il n’a pas à honorer la contrepartie qui est le paiement du loyer », martèle Maître Berrada.

 

Par : Sara Ibriz

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