Les effets de la convention d’arbitrage à l’égard des tiers est un grand classique de la littérature juridique en droit de l’arbitrage international. Les solutions retenues par les différents systèmes juridiques reposent sur des fondements extrêmement variés.
En effet, toute la difficulté consiste ici à déterminer l’existence d’un consentement, serait-ce implicite, au recours à l’arbitrage d’une partie non signataire du contrat comportant une clause compromissoire.
S’il est vrai que la volonté des parties, fondement même de l’arbitrage, et la nature conventionnelle de la clause compromissoire imposent le respect du principe de l’effet relatif de la clause compromissoire à l’égard des tiers, il n’en est pas moins vrai que la jurisprudence arbitrale a, depuis fort longtemps considéré, que la volonté des parties de soumettre leurs litiges à l’arbitrage comme mode alternatif de résolution de différends pouvait être déduite de leur comportement.
Les spécialistes de l’arbitrage international savent que, dans la pratique, il ne s’agit nullement d’étendre la clause compromissoire à des tiers, mais de déterminer, au-delà des termes utilisés par les documents contractuels, qui y est véritablement partie et, par voie de conséquence, qui pourrait à l’occasion s’en prévaloir ou éventuellement se la voir opposer.
Autrement dit, l’expérience révèle un décalage assez conséquent entre l’identité des personnes qui figurent dans les documents contractuels et celle des personnes qui exécutent le contrat ou encore celles qui en sont les véritables bénéficiaires. L’exemple des groupes de sociétés est très illustratif.
Pour parer à cette difficulté et rétablir la vérité contractuelle, les arbitres et, dans leur sillage, les juges étatiques admettent l’existence d’un consentement tacite caractérisé par l’attitude de la société mère lors de la phase de la négociation du contrat ou de celle de l’exécution voire même par le comportement de celle-ci lors de la résiliation du contrat.
Ceci est d’autant plus vrai lorsque les arbitres et les juges constatent que la filiale ayant souscrit le contrat contenant la clause compromissoire est entièrement contrôlée par la société mère qui l’a vidée de ses actifs une fois le processus contractuel terminé.
Dans ce cas, les arbitres et les juges considèrent, à juste titre d’ailleurs, que la société mère s’est comportée comme étant une véritable partie au contrat tout en se cachant derrière le voile social érigé par l’illusion d’une filiale créée de toute pièce pour les besoins de la cause. Concrètement, la convention d’arbitrage lui est applicable au même titre que la filiale.
L’arrêt de la Cour d’appel de commerce de Casablanca du 15 janvier 2015 en est un parfait exemple. Les arbitres et la Cour d’appel de commerce de Casablanca ont dressé un constat identique. Ils ont établi sur la base des documents qui leurs avaient été soumis que la société mère a joué un rôle capital lors de la négociation, de l’exécution et de la résiliation du contrat. Pour étayer cette affirmation, la Cour d’appel de commerce de Casablanca précise notamment que :
– La détermination de l’unité de production de l’usine, dont la construction constitue l’objet du litige arbitral, a été décidée par la société mère;
– L’exécution du contrat, principalement la décision relative à la participation dans le capital de la filiale, a été l’œuvre de la société mère;
– La société mère a joué un rôle capital dans le financement du projet en apportant incontestablement son soutien à sa filiale;
– La rupture du contrat a été initiée par la société mère qui a décidé de retirer, pour le compte de sa filiale, la garantie à première demande octroyée par la banque au profit de la société française.
L’ensemble de ces éléments reflète à merveille, aussi bien pour les arbitres que pour la Cour d’appel de commerce de Casablanca, le rôle décisif joué par la société mère tout au long du processus contractuel et justifie, dès lors, la décision de la considérer comme étant partie au contrat et, en toute logique, au litige arbitral qui en découle.
En somme, la signature ne constitue en aucun cas un critère concluant pour déterminer les personnes véritablement liées par la convention d’arbitrage. En revanche, le comportement des personnes, lui, est décisif.
Certes, c’est la première fois que la question de l’extension de la clause compromissoire à une partie non-signataire s’est posée devant une juridiction marocaine. Toutefois, l’admission du principe de l’extension aux personnes non-signataires de la convention d’arbitrage est une pratique extrêmement courante sur le plan international, qu’il s’agisse des pays d’Europe, des Etats Unis ou des pays arabes. Il suffit pour s’en convaincre de constater que la Tunisie, la Libye, l’Égypte, le Liban, la Suisse, la France, les Etats-Unis, l’Angleterre, pour ne citer que ces pays, consacrent, depuis fort longtemps, le principe de l’extension de la convention d’arbitrage aussi bien au niveau de la jurisprudence arbitrale qu’au niveau de la justice étatique.