Les Marocains mauvais copropriétaires!

Les Marocains mauvais copropriétaires!

Publié le : - Auteur : L'Economiste

Ascenseurs en panne, escaliers sales, détritus amoncelés dans les paliers, habitants rechignant à payer leur cotisation… les problèmes de la copropriété n’en finissent pas. La prolifération des logements en copropriété ces dernières années a rendu difficile leur réglementation de manière stricte. En effet, la loi 18.00 sur la copropriété, en vigueur depuis 2002, n’a pas pu résoudre tous les problèmes de la cohabitation. C’est du moins ce qu’affirment les professionnels. «La loi contient des dispositions qui ne facilitent pas la gestion de la copropriété. Par exemple, pour la tenue d’une assemblée générale, il faut envoyer des courriers à tous les habitants. Lorsqu’on gère 450 appartements, ce n’est pas pratique», se plaint Mohamed Fajr, directeur général d’ImmoSyndic.
Pourtant, la première loi à avoir vu le jour pour réglementer le secteur date de 1946, mais elle est restée pratiquement inappliquée. «La loi 18.00 a le mérite d’apporter un cadre juridique à ce genre d’habitation en plein expansion. Mais comme toute loi, elle est amenée à être modifiée», nuance Tahar Badaoui, responsable à la société Syndicalia.
Le passage des habitations individuelles aux logements en copropriété ne s’est pas fait de manière limpide. Le concept est relativement récent dans les habitudes d’habitation des Marocains. Ce n’est qu’à partir des années 1980, et surtout 1990, avec le développement exponentiel de l’habitat, social ou haut et moyen standing, que les immeubles en copropriété ont commencé à fleurir.
Aucun chiffre n’est disponible sur le nombre de logements en copropriété que compte le Maroc. Néanmoins, il dépasse de loin 2 millions de logements, selon les estimations des professionnels. La ville de Casablanca se taille la part la plus importante. Les logements sociaux représenteraient la moitié de ces habitations.
La réglementation de la copropriété apportée par la loi 18.00 n’est donc pas le fruit du hasard. Elle est venue pour mettre de l’ordre dans le secteur. L’article 13 est clair:«Tous les propriétaires d’un immeuble divisé en appartements, étages ou locaux, se trouvent, de plein droit, groupés dans un syndicat représentant l’ensemble des copropriétaires et ayant une personnalité morale et une autonomie financière. Il a pour objet la conservation de l’immeuble et l’administration des parties communes. Le syndicat est administré par une assemblée générale et géré par un syndic. Tout copropriétaire, stipule la même loi, est tenu de participer aux activités du syndicat, notamment aux décisions prises par l’assemblée générale par voie de vote».
Au-delà du texte, la réalité est autre. «Les gens n’ont pas encore assimilé la logique de la copropriété. Ils n’ont pas conscience que les parties communes sont aussi concernées. Or, selon le contrat de vente qu’ils ont signé, il est écrit noir sur blanc que les parties communes sont aussi leur propriété et doivent être traitées avec le même intérêt et le même soin que leur appartement», explique maître Hammad Abbadi, avocat au barreau de Casablanca. Un constat confirmé par un copropriétaire: «Les habitants de l’immeuble que je gère sont, certes, d’un niveau social aisé, mais ils sont loin d’assimiler les responsabilités que cela suppose». De plus, les copropriétaires ont rarement le temps de s’occuper du syndic, poursuit-il.
En effet, l’ignorance est patente dans le témoignage des copropriétaires interrogés. «Une question simple comme l’électricité des parties communes peut se transformer en champ de bataille à cause de l’ignorance de la loi», s’insurge un autre copropriétaire. Normalement, c’est le syndic qui doit informer les habitants de leurs droits et obligations, poursuit-il.
Résultat: des disputes se déclenchent de temps à autre entre les habitants sur l’exploitation des parties communes. Parfois, leurs conflits atterrissent devant la justice, selon maître Abbadi. «Les copropriétaires n’ont pas le réflexe de se référer à leur syndic lorsqu’ils veulent introduire des changements qui touchent les parties communes de l’immeuble», souligne Tahar Badaoui. Par ailleurs, la loi 18.00 ne précise pas comment constituer un syndic d’une manière officielle. Tout au plus, «une assemblée générale des copropriétaires doit se réunir pour désigner un syndic et dresser un procès verbal», indique la loi. Le PV n’est enregistré nulle part, puisque, dès qu’un promoteur a terminé la construction de son immeuble, il est obligé d’établir un règlement de copropriété qu’il devra déposer auprès de la Conservation foncière, et cela suffit.
Mais la situation la plus gênante pour un syndic est d’être à la fois responsable de la gestion d’un bien et voisin des copropriétaires qui ne respectent pas leurs engagements. Il lui est difficile de porter deux casquettes. La seule solution dans ce cas est de confier la responsabilité de la gestion à un syndic «professionnel».
La gestion d’un immeuble est effectivement un exercice laborieux qui dépasse la bonne volonté d’un copropriétaire bénévole. «Il faut bien comprendre le système de copropriété, qui est un système complexe», explique Mohamed Fajr. C’est un budget à gérer, une comptabilité à tenir selon un plan comptable défini par la loi 18.00, des mécanismes financiers et des subtilités juridiques que le copropriétaire n’est pas censé connaître, encore moins maîtriser. Et même si on a toutes ces compétences, ajoute-t-il, il faut avoir le temps et le coeur de le faire. Or, un copropriétaire n’a généralement ni le temps ni la patience à consacrer à cette mission.


Anarchie

Les sociétés de gestion d’immeubles n’arrêtent pas de foisonner, mais dans une anarchie totale. La loi 18.00 ne fixe aucun critère pour l’accès au métier, encore moins le seuil des honoraires ou les modalités de fixation des montants des cotisations dues par les copropriétaires. «Nous avons constaté une forte demande sur les sociétés de syndic. Les gens n’ont plus le temps de s’occuper de la gestion de leurs immeubles», indique Otmane Saffraoui, de Centutry 21 Maroc, qui vient de lancer sa société de syndic. Le marché est envahi par de petites structures éparses qui échappent à tout contrôle. Elles sont rares à vivre exclusivement de l’activité de gestion de la copropriété. Souvent, cette dernière se greffe sur d’autres métiers, comme la surveillance et le gardiennage. «La marge de bénéfice dans le syndic est assez réduite. Nous sommes obligés de faire, en parallèle, d’autres activité pour survivre», indique Tahar Badaoui.
Du coup les aberrations sont légion: des concierges non déclarés à la CNSS, des parkings non entretenus ou, pire encore, interdits aux habitants…


Danger numéro 1

Tout le challenge d’un syndic est d’arriver à couvrir les charges de l’immeuble qu’il gère avec les cotisations des copropriétaires. Le danger numéro 1 étant les mauvais payeurs. Selon les professionnels, cette espèce prolifère dans le logement économique mais aussi dans le moyen standing. En cas de défaut de paiement, le syndic a la possibilité de poursuivre le copropriétaire récalcitrant en justice. La procédure se fait en référé devant le Tribunal de 1ère instance et peut aboutir à une saisie conservatoire sur le bien en question. Toutefois, rares les sociétés de syndic qui ont recours à cette action pour des raisons de coût (2.000 DH de frais de dossier, au minimum) et également parce qu’elle pose le problème de l’exécution. Raison pour laquelle les sociétés de syndic préfèrent la résolution à l’amiable. «90% des litiges avec les copropriétaires sont réglés à l’amiable», confirme Badaoui.

Tarik HARI

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