Le Bitcoin fait son entrée dans les tribunaux marocains

Le Bitcoin fait son entrée dans les tribunaux marocains

Publié le : - Auteur : Media24.com

Les transactions par Bitcoin font l’objet de poursuites devant les juridictions répressives. Mais en l’absence de textes clairs, l’issue des dossiers demeure à l’appréciation des juges.

Les cryptomonnaies s’invitent dans les tribunaux marocains. Au sens pénal de l’expression. 20 poursuites impliquant l’utilisation du Bitcoin ont été enregistrées ces trois dernières années, dont 13 pour la seule année 2019. Pour l’heure, le constat du ministère public est que le phénomène en est « à son commencement », lit-on dans le dernier rapport de sa Présidence.

Si la majeure partie des dossiers concerne les transactions via l’usage de la monnaie virtuelle, l’apparition d’affaires portant sur leur « minage » attire aussi l’attention des parquetiers. Le « mining » est l’activité qui consiste à sécuriser, par le biais de calculs mathématiques, les échanges de cryptomonnaies. En contrepartie de ce service, les « mineurs » reçoivent eux-mêmes des cryptomonnaies en paiement.

Si certains départements ont un avis tranché sur la question – l’office des changes considère la pratique comme illégale – la monnaie cryptographique semble donner le tournis aux juridictions. Chez les juges ayant statué sur ce type de dossiers, la Présidence note « des divergences d’opinions ». La faute à « l’absence d’un cadre juridique clair régissant l’usage des cryptomonnaies ».

Dans la pratique, les personnes condamnées le sont généralement sur la base de l’article 339 du code pénal. Ce texte punit « la fabrication, l’émission, la distribution, la vente ou l’introduction sur le territoire du Royaume de signes monétaires ayant pour objet de suppléer ou de remplacer les monnaies ayant cours légal ». Une infraction passible de l’emprisonnement d’un à cinq ans et d’une amende de 500 à 20.000 dirhams.

Entre condamnation et acquittement, une question d’interprétation

En 2019, le tribunal de première instance de Kénitra a condamné deux personnes sur la base de l’article 339. Ils ont ainsi écopé de 5 mois de prison avec sursis et une amende de 10.000 DH (dossier n° 1250/2104/2018).

L’affaire était partie d’un vol de portable. Un des prévenus avait subtilisé le téléphone de la victime puis transféré du bitcoin appartenant à cette dernière sur son propre compte. Fait intéressant, le tribunal n’a pas retenu le vol arguant que cette infraction ne peut jouer lorsque l’usage de la chose extorquée est à la base interdit. Ce qui est le cas du bitcoin, a estimé le juge.

Cette position ne reflète pas la tendance jurisprudentielle au Maroc. C’est ce qui ressort d’une étude extrêmement documentée, publiée en juin 2020 dans la revue de la Présidence du ministère public. Son auteur, le magistrat Abderrahmane Lemtouni (Chef du service de suivi des affaires criminelles spéciale au sein de cette institution).

Ainsi, dans un jugement rendu en 2017, le tribunal de première instance de Marrakech a, en revanche, innocenté un prévenu préalablement poursuivi « pour distribution de monnaie virtuelle bitcoin sans autorisation de l’office des changes ».

La juridiction répressive a justifié l’acquittement par le fait que « la réglementation des changes s’applique aux monnaies traditionnelles et non pas aux monnaies électroniques et virtuelles ». Cette position a été confirmée une année plus tard par la cour d’appel de Marrakech.

Bien souvent, l’utilisation du Bitcoin n’est pas incriminée en tant que telle, mais apparait parallèlement ou dans le cadre de dossiers de blanchiment de capitaux. Dans une affaire à Mohammedia, elle a même été retenue en tant qu’élément matériel pour le délit de « réception de fonds du public et opération de crédit sans agrément ». Le prévenu avait été condamné à 1 an et 6 mois de prison ferme et une amende de 11,2 MDH au profit de l’administration douanière.

En l’absence d’une disposition dédiée, le flou persiste. En jeu, le sacro-saint principe de la « légalité des peines ». Lequel impose qu’une infraction ne peut être considérée comme telle et punie en conséquence que si elle fait l’objet d’un texte exprès. « Nul ne peut être condamné pour un fait qui n’est pas expressément prévu comme infraction par la loi, ni puni de peines que la loi n’a pas édictées. » (Article 3 du code pénal).

A la présidence du ministère public, le débat est donc ouvert. Depuis 2019, l’institution présidée par Mohammed Abdennabaoui prend part à une commission créée au niveau de Bank Al-Maghrib. On y retrouve également et entre autres, l’office des changes, la DGSN et la Gendarmerie royale. L’objectif est d’examiner le phénomène en détail avec pour finalité d’encadrer la pratique. Les enjeux ont trait aussi bien à la politique monétaire que pénale.

Parallèlement, la Présidence a lancé une étude pour énumérer les « problématiques juridiques » auxquelles les magistrats sont confrontés lors du traitement de ces dossiers. Manière d’anticiper les conséquences d’un sujet amené à prendre de l’ampleur.

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