LORSQU’ON parle de la justice, les langues se délient.
Dans son Livre blanc 2007, le patronat dresse un portrait acide du monde judiciaire. Ses rédacteurs préviennent qu’il «n’a pas la prétention d’apporter une réponse aux maux de la justice». Les recommandations de la Confédération générale des entreprises du Maroc (CGEM) livrent «de façon synthétique les attentes» des opérateurs économiques. D’emblée, le rapport évoque une «diffusion du droit partielle, aléatoire et inégale». La jurisprudence devient à ce titre une ressource rare alors même qu’elle nourrit le droit. Le comble est que les argumentaires des avocats, notamment, se référeront généralement aux décisions plus accessibles des juridictions égyptiennes, françaises…
Côté formation, les qualificatifs ne manquent pas: inadaptée, insuffisante… Les études en droit s’apparente à «un parcours du combattant». Des cours uniquement théoriques et des étudiants souvent monolingues. Il y a bien sûr le faible budget du ministère de la Justice: 749 millions de DH en 2009. Les faibles salaires des magistrats: 8.000 DH en début de carrière à 30.000 à la fin. Le Livre blanc parle aussi de «la prééminence de la culture contentieuse». De ce fait, les modes alternatifs de règlement des litiges -arbitrage et médiation- sont marginalisés. Difficile aussi de parler de justice sans évoquer la corruption. C’est sur ce constat que s’articulent les recommandations de la CGEM.
Aussi, les fédérations sondées par la rédaction convergent grosso modo vers ces propositions. Avec une insistance particulière pour la formation continue, la transparence, la célérité des procédures et l’exécution des jugements. Il ne suffit pas de se doter de lois, «encore faut-il qu’elles soient effectives». Car la sécurité juridique implique l’exécution des jugements: «à quoi bon sert les juges, si leurs décisions restent lettres mortes», s’interrogent avec dérision certains présidents de fédérations. L’on compte en moyenne plus de 2 millions de litiges par an. Globalement, ils croient à la réforme car elle est propulsée par «une volonté politique». Il y a des propositions qui dénotent telles que l’élection des juges, la «déjudiciarisation» des relations d’affaires, une carte judiciaire cohérente avec la réforme en cours de la régionalisation.
Dans ce débat sur la réforme de la justice, il est désolant toutefois que des associations ou fédérations professionnelles soient désintéressées ou formulent des avis médiocres. C’est ce qui est ressorti du coup de sonde réalisé par L’Economiste. Est-ce par frilosité, peur ou paresse? Une déplaisante posture qui nuit surtout à l’émergence d’un débat public de qualité. Ce sondage nous a également renseignés sur les fédérations et leur méthode d’organisation: les plus communicatives, les moins réactives, les plus centralisées… Autant dire qu’avec de petites voix, il n’y aura pas de grande réforme.
Faiçal FAQUIHI