Prédominance problématique des éléments " personnels " sur les éléments " professionnels " dans les courriers électroniques des salariés

Prédominance problématique des éléments " personnels " sur les éléments " professionnels " dans les courriers électroniques des salariés

Publié le : - Auteur : Lamy Line Reflex

En décembre 2004, M. V., employé par la municipalité de D. en qualité d’ingénieur, a fait l’objet d’une procédure disciplinaire. Dans le cadre de cette procédure et lors de la consultation de son dossier individuel, il a constaté qu’y figurait un courrier électronique qu’il avait envoyé uniquement à l’un de ses collègues, M. J., travaillant au service informatique. Estimant que ce courrier électronique revêtait un caractère privé, M. V. a porté plainte contre X et s’est constitué partie civile pour atteinte au secret de la correspondance par une personne dépositaire de l’autorité publique ou chargée d’une mission de service public agissant dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de sa mission.
Le courrier électronique en question était constitué de deux parties distinctes : une première partie humoristique et s’adressant à son collègue et ami M. J. (débutant par  » Salut Didier « ), la seconde plus professionnelle et concernant les besoins de son service en informatique (débutant par  » M. Didier J. « ).
M. S., responsable hiérarchique de tous les services, ayant eu connaissance de l’existence de ce courrier par l’un des collègues de M. V., qui avait jugé que celui-ci contenait des propos  » délirants « , a demandé à M. J. de le lui imprimer. Ce dernier, refusant tout d’abord, s’est finalement exécuté devant l’insistance de son chef interprétée comme un ordre.
Entendu en qualité de témoin assisté dans le cadre de l’enquête, M. S. reconnaissait avoir réclamé copie de ce courrier électronique à M. J. et avoir mis ce document dans le dossier administratif de M. V. car il trouvait  » qu’il éclairait bien la personnalité de ce fonctionnaire « . Il justifiait son comportement en faisant valoir qu’il n’avait pas considéré que ce courrier revêtait un caractère privé  » car il s’agissait de la réponse d’un chef de service à un autre chef de service concernant des prévisions budgétaires et qu’à son sens, les deux parties du courriel ne pouvaient être éditées l’une sans l’autre « . Il indiquait également l’absence de charte informatique réglementant l’usage de la messagerie.
À l’appui de sa demande de relaxe, M. S. soutenait que  » les courriers électroniques échangés au moyen d’ordinateurs professionnels revêtent, en principe, un caractère professionnel, sauf identification contraire de l’employé « , étant précisé qu’en l’espèce, l’objet du courrier électronique ( » re-budget « ) n’était en rien personnel, d’une part, et que s’agissant plus spécifiquement de courriers électroniques échangés au sein d’une administration,  » ils revêtent un caractère administratif et, à ce titre, sont communicables et donc non soumis à la protection instituée par l’article 432-9 alinéa 1 du Code pénal « , d’autre part.
La question la plus délicate pour le Tribunal était bien de déterminer la nature du courrier électronique en cause, celui-ci s’apparentant à un message  » mi-personnel, mi-professionnel « .
Pour ce faire, il pose comme préalable que  » le caractère privé d’une correspondance doit s’apprécier au regard de son objet et de la volonté des intéressés « .
Sur le premier point, l’objet du courrier litigieux, le juges quimpérois constatent que  » M. V. n’a pas lui-même spécifié un objet particulier, se bornant à appuyer sur la touche « répondre » apparaissant sur l’écran de son ordinateur, entraînant automatiquement l’inscription à la rubrique « objet » de son courriel de la mention « re-budget » « .
Sur le second point en revanche, concernant la volonté des intéressés, ils relèvent que  » M. V. n’a pas souhaité activer la touche « répondre à tous » mais a volontairement cantonné sa réponse au seul expéditeur du message initial, c’est-à-dire M. J. « , d’une part, qu’il a  » séparé sa réponse en deux parties bien distinctes « , d’autre part et, enfin, que M. J., destinataire du message,  » avait clairement exprimé qu’il avait été gêné par la demande de M. S. « .
De ces éléments, concernant tant la présentation du message que le comportement des intéressés, le Tribunal considère que  » si l’objet du courriel litigieux ne laissait pas présager du caractère potentiellement privé de son contenu, en revanche l’intention tant de l’expéditeur que du destinataire d’attribuer à une partie de ce courriel un caractère privé ne fait aucun doute « . Et d’en déduire que  » la nature administrative et donc communicable du courriel ne peut être retenue [que pour] la partie professionnelle dudit courriel « .
L’élément matériel de l’infraction étant constitué, il retient ensuite l’élément intentionnel, considérant qu' » en l’espèce, la mention portée à la rubrique « objet » du courriel ne revêt aucune importance puisqu’il n’est pas soutenu que le courriel aurait été ouvert « par inadvertance » à la seule vue de son objet « , M. S. reconnaissant lui-même que  » c’est uniquement parce qu’il connaissait le contenu de cette correspondance, qu’il jugeait « délirant », qu’il en a ordonné la divulgation « .
En conséquence, le Tribunal déclare M. S. coupable de l’infraction prévue à l’article 432-9 du Code pénal, lequel incrimine le fait, par une personne dépositaire de l’autorité publique ou chargée d’une mission de service public, d’ordonner, de commettre ou de faciliter, hors les cas prévus par la loi, le détournement, la suppression ou l’ouverture de correspondances ou la révélation du contenu de ces correspondances.
Sur le présent jugement, voir obs. Auroux J.-B., in RLDI 2008/41, n°1368.
TGI Quimper, 17 juill. 2008, Ministère public et a. c/ M. S., n° 1312/29008
27/10/2008
Jean-Baptiste Auroux

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