Le projet de loi sur l’Instance de lutte contre la corruption, validé en commission avec un amendement majeur : les avocats pourront opposer le secret professionnel face aux enquêteurs de l’INPPLC.
A la Chambre des représentants, la commission de Justice a adopté, mardi 9 février, le projet de loi relatif à l’Instance Nationale de la Probité, de la Prévention et de la Lutte contre la Corruption.
Le texte a été validé à une unanimité qui n’était pas acquise. Les discussions ont buté sur les pouvoirs d’enquêtes accordés à l’institution constitutionnelle, jugés exorbitants par une partie des députés.
Le projet compte doter l’INPPLC d’attributions quasi judiciaires, à l’image du “puissant” Conseil de la concurrence. Pour mener leur enquête sur des affaires de corruption, ses préposés pourront accéder à toutes les institutions publiques, à l’exception des juridictions et des administrations rattachées à la défense.
Les agents de l’INPPLC peuvent également investir les locaux professionnels de personnes privées physiques ou morales. Auquel cas, l’enquêteur doit être accompagné d’un ou plusieurs officiers de la police judiciaire, sous la supervision du ministère public qui est informé par le président de l’Instance.
Sur place, les enquêteurs peuvent ainsi consulter tous les documents administratifs, financiers, comptables, y compris les contrats, écrits, rapports d’inspection et d’audit.
Ces prérogatives sont en partie prévues par l’article 25 du projet de loi. Le PJD est plaide pour leur renforcement, l’idée étant de leur assurer l’accès aux locaux sans être accompagnés d’officiers de police. « La procédure pénale consacre l’obligation de la présence des officiers. On ne peut pas y déroger », soupèse Amam Chokran, président du groupe socialiste. La formation de la lampe voudrait également autoriser l’inspection des tribunaux, précisément dans le volet administratif.
D’autres formations voient, au contraire, d’un mauvais oeil la teneur de l’article 25. « Il est difficile de l’accepter dans sa formule actuelle », estime Mustapha Baitass (RNI). Le député alerte sur le risque d’atteintes à la « présomption d’innocence » et d’agitation dans les milieux des affaires. Il appelle à soumettre le texte à une commission technique avant son adoption. Le PAM est plus radical, défendant à la suppression pure et simple de l’article.
« En l’absence de ces prérogatives, les missions constitutionnelles de l’Instance ne seraient que pures apparences », rétorque Bachir Rachdi. Pour le président de l’INPPLC, l’article 25 est “essentiel” dans la mise en œuvre de la Constitution. Le ministre des Finances abonde en ce sens. « Si cet article est supprimé, autant supprimer tout le projet de loi puisqu’on l’aura vidé de sa substance », estime Mohamed Benchaaboun.
Et puis difficile de réexaminer un texte attendu depuis une décennie. « Avant d’atterrir au Parlement, le projet a pris beaucoup de temps pour aboutir sur un accord avec le pouvoir judiciaire, entre autres institutions consultées », rappelle M. Benchaaboun.
Secret professionnel : Un amendement au forceps
Liée à l’article 25, une autre disposition fait débat. Elle astreint les personnes contrôlées, y compris les professionnels, à collaborer avec les agents de l’Instance sur les demandes d’informations, documents ou toutes autres données liées à l’enquête. Le tout, sans qu’ils puissent faire valoir le secret professionnel.
« Normalement, seule la justice peut lever le secret professionnel », proteste Abdellatif Ouahbi, député et secrétaire général du PAM. L’intéressé s’exprime en invoquant une autre casquette : « Qui nous fera confiance, nous avocats, pour nous confier leur défense si le secret professionnel n’est pas garanti ? ». Le constat vaut aussi également pour les « comptables », les « notaires » et les « médecins », entre autres.
« Nous sommes en passe de détruire un principe fondamental, un arsenal de 200 ans de doctrine judiciaire pour créer une institution que vous croyez capable de combattre la corruption à 100% », estime M. Ouahbi, menaçant d’un recours devant la Cour constitutionnelle.
« L’avocat est dépositaire de secrets qui concernent des infractions. Il faut une disposition qui exclut l’avocat de cette disposition », enfonce Taoufik Maimouni, président de la commission et lui-même encarté PAM. « Le secret professionnel est un principe sacré chez la défense. C’est une disposition d’ordre public. Selon le code de la procédure pénale, le juge est même censé écarter les aveux de l’avocat contre son propre client », poursuit l’interlocuteur.
Réticent au départ, le ministère concédera de modifier l’article en y excluant – en plus des documents relatifs à la défense, à la sureté de l’Etat et au secret des procédures judiciaires – tout ce que requiert la défense du concerné, conformément aux dispositions de la loi régissant la profession d’avocats. Une référence au secret professionnel. Quid des notaires, comptables, médecins ?, s’interroge Boutaina Karouri (PJD). Les absents ont toujours tort.