Le projet de dépénalisation de la vie des affaires en France se dévoile enfin. Le mercredi 20 février, la commission Coulon a remis son rapport à Rachida Dati, ministre de la Justice. Un groupe de travail avait été constitué en octobre dernier, pour répondre à un souhait formel de Nicolas Sarkozy, celui de lutter contre une pénalisation excessive du droit des affaires. Selon le président français, l’esprit d’entreprise est trop souvent handicapé par l’insécurité juridique. En effet, la fraude en matière d’affaires est pénalement sanctionnée, notamment par des peines privatives de liberté. Mais un dirigeant d’entreprise peut également être emprisonné, pour non-respect d’une obligation formelle. De telles sanctions sont de nature à réfréner les entrepreneurs. Après quatre mois de travail, le rapport de la commission a enfin vu le jour. La ministre française de la Justice s’est déclarée satisfaite des efforts entrepris, et a qualifié les propositions d’«innovantes, modernes et équilibrées».
· Les magistrats s’insurgent
Cependant, cet avis est loin de faire l’unanimité. Le milieu de la magistrature s’est opposé en force à cette initiative, qui favoriserait les «patrons-voyous». Plus grave encore, il y aurait une rupture avec le principe républicain d’égalité devant la loi.
Eric Halphen, magistrat et vice-président du tribunal de grande instance de Paris, a déclaré que «voler un sac à main ou se balader avec une barrette de shit dans la poche serait plus durement réprimé que de détourner des millions d’euros». Le jour même de la remise du rapport, le syndicat français de la magistrature a renouvelé ses réserves quant à la dépénalisation, qui instituerait une «justice en catimini» pour la délinquance en col blanc.
L’annonce du projet de dépénalisation n’a pas eu que des échos négatifs. Laurence Parisot, présidente du Medef, avait estimé que le discours de Nicolas Sarkozy était «un discours historique (…) qui va permettre de faire avancer les choses dans le bon sens». Elle s’est en outre réjouie du fait que l’esprit d’entreprise et les entrepreneurs soient ainsi ramenés au cœur de la société. Nul doute que de telles mesures étaient attendues depuis longtemps par le patronat. Un communiqué de la Confédération générale des petites et moyennes entreprises (CGPME) souligne que cette dernière «…se réjouit de la nouvelle tonalité vis-à-vis des entreprises, désormais considérées comme des partenaires et non plus comme des adversaires».
Les 30 propositions
· Le ministère de la Justice deviendrait le législateur de la loi pénale
Le texte commence par proposer la suppression et la modification d’infractions pénales. Celles concernées par la suppression sont désuètes ou obsolètes. Un tel amendement fut proposé en 2003 pour l’incrimination pénale relative à la fausse déclaration concernant la répartition des parts sociales entre tous les associés. Cette infraction fait double emploi avec le délit de faux déjà sanctionné par le code pénal français (article 441-1). D’autres infractions sont déjà concernées par un dispositif civil performant. Le même traitement est préconisé pour les infractions redondantes, afin de limiter les concours de qualifications pénales. Quant aux infractions sujettes à modification, cette dernière concernerait l’harmonisation des peines principales et secondaires pour les peines de même nature, ainsi que l’augmentation du montant de certaines amendes, si cela est justifié par la gravité de l’infraction.
Le second volet de propositions traite de la substitution au droit pénal de dispositifs civils, telles les injonctions de faire, les nullités relatives, ou les sanctions contractuelles. Les modes alternatifs de poursuite, à l’image de la transaction, devraient être privilégiés. Les infractions prévues au titre IV du livre IV du code de commerce français (traitant notamment de la transparence et des pratiques restrictives de concurrence) devraient être supprimées, pour leur substituer des sanctions administratives prononcées par le Conseil de la concurrence.
Quant au troisième volet traitant de la mise en œuvre de la norme, la proposition la plus conséquente concerne l’élaboration des textes pénaux. Ceux-ci devraient constituer l’apanage du ministère de la Justice, dans le but d’améliorer la cohérence ainsi que la qualité du dispositif normatif. Les parquets sont appelés à améliorer l’harmonisation de leurs politiques pénales, en matière économique et financière, notamment via des circulaires. L’amélioration de la formation est également un des points soulignés. Aussi bien les entrepreneurs que les magistrats devraient améliorer respectivement leurs formations juridique et financière. L’élaboration de codes de déontologie est également à l’ordre du jour. En outre, ce volet propose également de favoriser la spécialisation des juridictions, ainsi que celle des moyens dont elles disposent pour leur fonctionnement.
Le quatrième volet propose une synergie entre l’Autorité des marchés financiers (AMF) et le droit pénal boursier, ce qui permettrait la suppression du cumul sanction administrative et sanction pénale notamment à travers l’articulation des procédures et des enquêtes.
L’échevinage des juridictions judiciaires est également au programme. Ce système en l’occurrence consiste à adjoindre aux magistrats des professionnels du monde boursier. Les personnes sanctionnées par l’AMF devraient bénéficier d’une mesure de réhabilitation. Enfin, le délit d’initié devrait être puni de trois ans d’emprisonnement au lieu de deux.
L’articulation est également de mise dans le cinquième volet, cette fois avec le Conseil de la concurrence. Le cumul entre infraction pénale et sanction du Conseil de la concurrence serait également appelé à disparaître, à travers la suppression de la responsabilité des personnes morales, pour l’infraction prévue à l’article L.420-6 du code de commerce français (concernant les sanctions de pratiques anticoncurrentielles). La procédure de clémence devant le Conseil de la concurrence devrait être homologuée par le parquet. Les infractions prévues à l’article L.420-6 du code de commerce devraient devenir du seul ressort des juridictions interrégionales spécialisées.
Le sixième volet concerne les plaintes avec constitution de partie civile. Les propositions en sont l’augmentation du délai entre la plainte préalable et le dépôt d’une plainte avec constitution de partie civile, qui passerait ainsi de 3 à 6 mois. Les classements sans suite en matière économique et financière devraient être motivés dans le détail. Les personnes morales produiraient des pièces comptables, pour les besoins de la consignation. Et lorsqu’une constitution de partie civile aboutit à une décision de non-lieu, le montant de la consignation serait converti en amende civile.
La prescription, objet du septième volet, est parmi les propositions les plus importantes. Elle devrait avoir comme point de départ la date des faits incriminés et non plus celle de leur découverte.
L’attractivité de la voie civile est le point d’orgue du huitième volet. Une action de groupe avec un système d’opt in, ainsi que le remboursement des frais entre les parties, sont prévus.
Enfin, le texte conclut par l’amélioration des règles concernant la responsabilité des personnes morales, notamment à travers la clarification des peines encourues par ces dernières, ainsi que la prise en compte de leur spécificité en cas de récidive, et la réduction des délais de leur réhabilitation judiciaire.
Les infractions intouchables
La dépénalisation ne serait pas de mise pour certaines infractions. De manière générale, les principaux délits financiers ne seront pas modifiés. L’abus de biens sociaux, l’abus de confiance, le faux en écritures comptables et l’escroquerie continueront à faire partie du « socle du droit des affaires », qui, selon le rapport, ne doit pas être sujet à dépénalisation. Ce dernier ferait l’objet d’un consensus entre les citoyens et les acteurs économiques.
Adam BERRADA
Source : http://www.leconomiste.com/