L’ouverture de l’année judiciaire sert aussi à faire le bilan de la Cour de cassation. Créée le 27 septembre 1957, l’instance rend compte des activités annuelles de ses chambres: pénale, civile, commerciale, administrative, sociale, statut personnel et familial, et foncière.
L’Année judiciaire sera ouverte ce mardi 24 janvier à la Cour de cassation. La plus haute juridiction du Royaume qui siège à Rabat a choisi pour thème: «La justice et la moralisation de la vie publique». L’an dernier, c’est la « Consécration des droits constitutionnels» qui était célébrée.
Comme le veut la tradition, le discours inaugural sera prononcé par le premier président, Mustapha Fares. Le haut magistrat nommé en 2010 devra également présenter le bilan 2016 de sa juridiction ainsi que ses nouveautés jurisprudentielles, malheureusement non encore disponibles en ligne.
Après la présidence, c’est le procureur général près la Cour de cassation qui va enchaîner fort probablement sur la même note avec un ton forcément solennel.La tradition et la solennité de ce rendez-vous exigent d’inviter à la cérémonie tous les acteurs de la justice: Cour constitutionnelle, Cour des comptes, ministères, Secrétariat général du gouvernement, régulateurs comme Bank Al-Magrib, présidents et procureurs généraux de différentes juridictions, avocats, notaires, adouls… «Cette année, nous avons invité les présidents des Cours de cassation de la Jordanie, de la France et de l’Espagne. Nous avons opté pour «La justice et la moralisation de la vie publique» pour démontrer que la magistrature conserve son rôle (d’aiguilleur) dans la dynamique de la démocratisation et l’Etat de droit», soutient-on auprès de la Cour de cassation.
L’année judiciaire 2017 aura un goût particulièrement amer et stimulant. Son âpreté s’explique par la cinglante lettre royale signée fin décembre à Marrakech et où il est expressément reproché à la justice sa «négligence dans le traitement des affaires de spoliation foncière» (voir ci-dessous et L’Economiste du 18 janvier 2017). Ce dossier sera à coup sûr une priorité de la justice. Ce n’est pas le président de l’Association des barreaux du Maroc qui dira le contraire: «Les arrêts contradictoires au niveau du plus haut sommet juridictionnel continuent de poser des problèmes. D’ailleurs, la réunion tenue à huis clos lundi 16 janvier à Rabat, sous la présidence du ministre de la Justice, a fixé une dizaine de points urgents pour venir à bout de la spoliation foncière», rappelle le bâtonnier Mohamed Akdim. Notre interlocuteur tient à souligner aussi la priorité pour les barreaux «d’avoir une loi nouvelle et innovante pour les avocats».
C’est la profession la plus représentative au sein des auxiliaires de justice: 11.400 avocats à fin octobre 2015. Les notaires s’inscrivent aussi dans la même veine réformatrice que les avocats. Ils espèrent toujours amender la loi régissant leur profession: «Nous sommes confrontés au quotidien aux faux, comme les cartes d’identité électroniques (censées être plus sécurisées), à l’escroquerie… Nous avons le fardeau d’assumer la responsabilité de la véracité des renseignements fournis par les contractants alors que nous ne disposons pas de moyens adéquats pour le faire», rétorque le président de l’Ordre des notaires lorsqu’on l’interroge sur les priorités judiciaires de 2017. Abdellatif Yagou fait allusion au code pénal et à la loi 32-09 sur le notariat qui sanctionnent les fautifs.
Les risques du métier font que quelque 1.600 notaires «sont en première ligne dans les dossiers de spoliation». L’Ordre notarial se dit «plus préoccupé par les mesures préventives à mettre en place, aussi bien en amont qu’en aval. La sécurité juridique des transactions nous intéresse au plus haut niveau».
Chez les 4.175 juges, c’est un autre chapitre qui est en train de s’écrire. L’ancien Conseil supérieur de la magistrature a cédé sa place en 2011 au Conseil supérieur du pouvoir judiciaire. Il a fallu cinq bonnes années pour que la nouvelle instance tienne ses élections. Le temps que soient adoptés au Parlement la loi organique du conseil, que préside par délégation constitutionnelle (article 115) Mustapha Fares, et le nouveau statut de la magistrature. C’est chose faite, puisque le Conseil supérieur du pouvoir judiciaire et le statut des juges ont vu leurs actes de naissance publiés au Bulletin officiel (en arabe) du 14 avril 2016. S’en sont suivies les élections professionnelles l’été dernier des dix membres élus sur les 20 que compte l’instance disciplinaire.
Contre toute attente, la très officielle Amicale Hassania des magistrats a raflé le plus grand nombre de sièges: 7 contre 3 seulement pour le Club des magistrats donné favori. Au moment où la toute nouvelle Alliance des magistrats du Maroc est repartie bredouille (cf. L’Economiste du 26 juillet 2016). Cette nouvelle configuration électorale est un indicateur sur la mutation plus ou moins profonde que vivent les hommes et femmes de loi. La domination historique de l’Amicale Hassania des magistrats en tant qu’unique association professionnelle recule petit à petit. L’un de ses anciens présidents n’est autre que l’actuel premier président de la Cour de cassation.
Les résultats des élections de juillet 2016 appuient l’analyse selon laquelle la vieille garde doit désormais faire face à une nouvelle génération de juges. Ce clivage risque de retentir fortement sur le Conseil supérieur du pouvoir judiciaire et les recommandations à faire éventuellement en matière de politique pénale.
Pour l’heure, l’instance n’a pas été officiellement installée par le Souverain. «Vu que le gouvernement n’a pas été encore formé, il est très fort probable que l’on doit devoir attendre d’autant plus que d’autres institutions comme le Conseil de la concurrence (où vont siéger des magistrats) sont dans la même situation», pronostique un fin connaisseur des arcanes judiciaires. La cérémonie protocolaire devra en tout cas avoir lieu tôt ou tard. Et vu l’actualité qui n’est pas trop favorable à la justice, certaines personnalités risquent de voir leur ambition s’évanouir. A chaque temps, ses hommes et ses femmes.
Spoliation: «LE» grand casse!
«Il faut appeler les choses par leurs noms», déclare le premier président de la Cour de cassation, Mustapha Fares, dans son intervention du 16 janvier à Rabat. Le jour où une alerte générale a été donnée suite à la lettre royale appelant à une vraie mobilisation contre les spoliateurs fonciers. Du coup, les propos deviennent plus tranchés: «Nous sommes devant un vrai défi qui met en jeu l’image de notre administration et de notre justice (…) et tenus de garantir aux propriétaires le droit à une jouissance paisible», estime le représentant de la plus haute instance judiciaire.
«Il faut répondre à une question» pour remplir ce cahier des charges: «A qui faisons-nous face? Sans aucun doute, il ne s’agit pas de cas isolés et hasardeux (de spoliation foncière). Mais bel et bien de bandes organisées et de lobbys professionnels comptant parfois des personnes étrangères qui s’activent à partir de l’étrangers», constate la Cour de cassation qui a entre les mains 5 dossiers de spoliation. L’institution, créée fin des années 1950, relève que les criminels exploitent «les failles juridiques, les abus administratifs» et recrutent «les esprits faibles» au sein de l’appareil administratif et judiciaire. Ces pions grassement payés fournissent la matière première aux malfrats: informations, documents, réseaux…
Parfois, des personnes leur «servent d’écran afin d’éviter toute responsabilité et sanction». La Cour de cassation reconnaît «l’existence de territoires institutionnels frontaliers» et appelle «à les immuniser pour affronter ces bandes» criminelles. Un projet de loi compte ainsi instaurer l’établissement des procurations chez un notaire ou un avocat pour remplacer la légalisation faite à la Moukataâ. Le représentant des magistrats appelle aussi à réformer la loi spoliatrice qui protège l’acquéreur de bonne foi au détriment du propriétaire spolié! La situation est telle que la Cour de cassation est la première à être pointée du doigt pour ses jurisprudences contradictoires. Son premier président, Mustapha Fares, a dressé pourtant un portrait assez exact des spoliateurs.
Faiçal FAQUIHI
http://www.leconomiste.com/article/1007543-epreuve-de-feu-pour-la-cour-de-cassation