Une grosse vague de «faillites» en perspective! La pandémie du Covid-19 a démultiplié les risques de difficultés d’entreprises à cause d’une inactivité économique totale ou partielle. Et ce au moment où l’état d’urgence sanitaire a bouclé son cinquième mois depuis son entrée en vigueur via un décret-loi, le 20 mars 2020.
Certains praticiens du droit déclarent «l’urgence de préserver le tissu économique». Le cabinet Bassamat & Laraqui a élaboré un mémorandum dans ce sens.
«Tout le processus (de sauvetage) doit être soigneusement pensé afin de viser à liquider les entreprises non viables et inefficaces et à assurer la survie de celles qui sont potentiellement viables», propose le document daté du 18 mai 2020. La responsabilité des dirigeants ne doit pas passer sous silence. Le droit pénal des affaires demeure applicable en cas de faute de gestion ou d’abus de biens sociaux (voir illustration).
Le mémorandum du cabinet Bassamat & Laraqui met en avant trois objectifs: le sauvetage de l’entreprise, la préservation de l’emploi et la prise en compte de l’intérêt des créanciers. Mais d’où partons-nous sur le terrain?
Le Comité de veille économique a pour mission de secourir les secteurs les plus sinistrés par la crise sanitaire (Cf. L’Economiste n°5772 du 1 juin 2020).
«Le recours au traitement des difficultés sera démultiplié nonobstant les soutiens financiers mis en place en faveur des entreprises. La législation actuelle, le nombre insuffisant des juridictions spécialisées (de commerce), et le manque de formation spécifique des organes de la procédure (comme les juges et les syndics) ne sont pas en mesure de prendre en charge les entreprises…», relève Me Bassamat Fassi-Fihri.
Reprise du service public: L’agenda mirage
Le temps joue contre le gouvernement, les opérateurs économiques et la justice.
La machine judiciaire est à l’arrêt depuis le 23 juillet jusqu’au 7 septembre 2020 à cause des congés annuels alors que la situation est très critique. Vive le service public! «Les dossiers s’amoncellent à coup de reports d’audiences récurrents», témoignent des avocats auprès de L’Economiste. L’un d’eux, Me Kamal Habachi, précise que «le départ en vacances au niveau de la juridiction de commerce de Casablanca a été reporté jusqu’au 3 août. Les dernières audiences remontent au début de ce mois-ci. Plusieurs dossiers de difficulté d’entreprises ont été jugés notamment dans le secteur du textile. C’est une procédure assez rapide». En pratique, le juge-commissaire accorde son visa aux demandes après examen des pièces jointes aux dossiers et l’audition du chef d’entreprise.
N’empêche que l’agenda de la reprise annoncé suite à une réunion tenue fin mai 2020 à Rabat entre le Conseil supérieur du pouvoir judiciaire, la présidence du ministère public, le ministère de la Justice et l’Association des barreaux du Maroc n’est finalement qu’un mirage (Cf. L’Economiste n°5768 du 26 mai 2020).
«Cela dit, la déclaration d’état d’urgence sanitaire avait suspendu tous les délais légaux et réglementaires depuis le 17 mars jusqu’au 27 juillet 2020», rappellent des juristes d’entreprises. A cette dernière date, les vacances judiciaires étaient en principe déjà en cours. Dans ces conditions, un chef d’entreprise en difficulté devait prendre son mal en patience pour initier une procédure légale. Il n’existe même pas des statistiques à jour sur les sociétés commerciales ayant entamé des démarches de sauvetage devant la justice durant la crise sanitaire.
Un autre élément vient aggraver la situation. «Même en l’absence d’un système de traitement informatisé des données pour juger l’efficience réelle des procédures collectives, l’échec de celles-ci dans la pratique est avérée», relève le cabinet d’avocats d’affaires Bassamat & Laraqui (voir encadré). La refonte du code de commerce en avril 2018 est-elle de la poudre aux yeux?
Une réforme précipitée
IL serait relativement prématuré de faire un bilan du nouveau code de commerce après deux ans d’application dont une année blanche. Mais les faits sont là.
D’abord, les décrets d’application de la réforme du 17 avril 2018, notamment ceux relatifs à l’assemblée des créanciers et du syndic judiciaire, accusent un grand retard. Ensuite, «le livre V du code de commerce sur les difficultés d’entreprises a été promulgué à la hâte», estime le cabinet d’avocats d’affaires Bassamat & Laraqui. Cette nouvelle loi a été de plus «élaborée et votée sans que l’on ait pris la mesure de l’efficacité» du code de commerce de 1995.
A l’époque, la réforme «a considérablement amélioré le classement du Maroc dans l’indicateur Doing Business» de la Banque mondiale. Passant ainsi de la 134e place à la 71e en 2018-2019. Mais à quel prix finalement? Comme dirait Napoléon, «il ne faut pas confondre vitesse et précipitation».
Par : Faical FAQUIHI