Les professionnels du droit alertent sur les difficultés d’entreprise qui vont surgir après le confinement (Cf. L’Economiste n° 5773 du 2 juin 2020). Dans ce contexte marqué par le coronavirus et ses conséquences socioéconomiques, le cabinet d’avocats Bassamat & Laraqui prône le non-acharnement thérapeutique: «Tout processus (judiciaire) doit être soigneusement pensé afin de viser à liquider les entreprises non viables et inefficaces et à assurer la survie de celles qui sont potentiellement viables».
L’autre défi a attrait au rendement de la législation relative aux difficultés d’entreprise comme le redressement ou la liquidation judiciaire.
«Même en l’absence d’un système de traitement informatisé des données pour juger de l’efficience réelle des procédures collectives, l’échec de celles-ci dans la pratique est avéré», estime le cabinet Bassamat & Laraqui.
Les statistiques du ministère de la Justice informe uniquement sur les dossiers enregistrés, en cours d’audience et jugés (voir illustration). Les juridictions commerciales ont jugé 150.555 affaires en 2019: recours en référés, restitution de véhicule, injonction de paiement… L’on comptabilise 1.701 dossiers en matière d’entreprises en difficulté aussi bien en première instance qu’en appel. En revanche, aucune donnée n’existe sur le nombre de sociétés sauvées ou liquidées.
La fondatrice de l’Observatoire des entreprises en difficulté corrobore ce constat. La Pr. Saïda Bachlouch confie avoir eu du mal à trouver des données affinées lorsqu’elle préparait sa thèse de droit en 2010. «Les chiffres judiciaires publics ne renseignent pas sur l’évolution de la procédure. Des dossiers d’entreprises en difficulté sont ouverts. Toutefois, le résultat final du traitement reste inconnu», déclare la présidente de l’Observatoire.
Reste l’abus de procédure. Des débiteurs de mauvaise foi détournent la loi pour échapper à leurs créanciers. Le cabinet Bassamat & Laraqui livre une information de taille: «le chef d’entreprise fournit souvent une liste de créanciers incomplète et n’encourt à ce titre aucune sanction»! Que faire face à un dirigeant voyou?
Des praticiens font valoir les informations financières communiquées à la justice pour l’ouverture d’une procédure collective. Le tribunal de commerce peut s’appuyer dessus pour filtrer par exemple la demande d’un plan de sauvegarde.
Ainsi, un chef d’entreprise de mauvaise foi peut se faire reprocher de ne pas avoir continué son activité alors qu’il était possible de le faire.
La portée morale comme condition
«Un dirigeant peut cacher des informations prouvant que l’entreprise aurait pu éviter la cessation de paiement. La comptabilité est l’un des moyens de vérifier la légitimité d’une demande d’ouverture d’une procédure», relève l’Observatoire des entreprises en difficulté.
En ayant recours à des manœuvres illégales, les dirigeants cherchent à dédouaner leur responsabilité juridique: faute de gestion, confusion de patrimoine, abus de biens sociaux…
En 2018, le ministère public a engagé une trentaine de mesures contre ce type d’agissement. Les procédures initiées par ses magistrats se répartissent presque à part égale entre des demandes d’application de sanctions pécuniaires et celles réclamant la déchéance commerciale d’un dirigeant.
La jurisprudence a également établit le principe basé sur le respect de «la portée morale» des procédures de traitement des entreprises en difficulté (voir encadré).
Par ailleurs, le manque de spécialisation ou de moyens humains et techniques plombe la procédure. Et ce, au même titre que les passe-droits qui gangrènent certains milieux judiciaires. Le discours royal d’août 2009 annonçant la réforme de la justice l’avait d’ailleurs bien souligné.
Une jurisprudence non publiée sur la cessation de paiement
L’Economiste a mis la main sur une décision de justice importante mais non publiée.
La Cour d’appel de commerce de Marrakech s’est prononcée dans une affaire d’entreprises en difficulté. «La cessation de paiement n’est pas la seule condition de fond pour l’ouverture d’un redressement judiciaire», énonce son arrêt n°369 du 29 février 2012.
La juridiction commerciale a également «exigé la bonne foi (du chef d’entreprise) et de ne pas porter atteinte aux intérêts des tiers» comme ceux des créanciers. La finalité étant de rendre «effectif la portée morale des procédures» d’entreprises en difficulté. La même décision retient un autre point de droit dans le dossier n° 2011/6/212.
En effet, «le chef d’entreprise a indiqué à la Chambre du conseil avoir cessé son activité en 2012. Or sa demande est intervenue le 1er avril 2014, soit plus d’un an après». La Cour d’appel de commerce de Marrakech a rejeté finalement la demande de redressement judiciaire. Car elle n’était «pas conforme à l’article 564» du code de commerce.
Cette jurisprudence est intervenue avant la réforme du code de commerce entrée en vigueur le 23 avril 2018. Cette dernière avait réaménagé son Livre V relatif aux difficultés d’entreprise. Depuis lors, l’article 564 du code de commerce a changé de numérotation. «Le chef d’entreprise doit demander l’ouverture de redressement judiciaire au plus tard dans les 30 jours qui suivent la date de la cessation de paiement de l’entreprise», indique l’article 576 du code de commerce.
Par : Faycal FAQUIHI
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