Juge des mineurs, le parent pauvre de la justice
Des magistrats débutants pour la délinquance précoce
Une politique pénale plombée par un manque de moyens
Une pratique judiciaire déplorable: le juge des mineurs est souvent choisi parmi les nouvelles recrues! «Or le système judiciaire dédié à la protection de l’enfance doit opter pour les magistrats les plus âgés et les plus mûrs. Et ce au nom d’une justice fraternelle, civique…», recommande Samir Aït Arejdal, président du tribunal de 1re instance de Oued Zem (voir page 4). Ce choix s’effectue en principe lors de l’assemblée générale annuelle tenue au sein d’une juridiction. Elle vise notamment à répartir les dossiers à traiter entre magistrats.
Le Maroc peut pourtant s’enorgueillir de disposer d’une justice spécialisée. Invitée à s’exprimer sur son parcours par l’Association des journalistes judiciaires, le témoignage de Aziza Boustani est éloquent. Elle est magistrate spécialisée depuis 26 ans: «l’institution du juge des mineurs ne doit pas être confiée à des débutants. Car c’est une justice sociale d’une nature exceptionnelle où le magistrat doit endosser aussi le rôle d’un père ou d’une mère».
Le Maroc n’a pas été toujours aussi mauvais élève: «Nous étions parmi les premières nations à ratifier la convention qui protège les droits de l’enfant», rappelle le Conseil national des droits de l’homme. Cet avant-gardisme n’a pas totalement imprégné le système judiciaire et le législatif.
De son côté, Nachid El Mekki, membre de l’association Chouala pour l’éducation et la culture, dénonce une stigmatisation sociale: «Je suis contre le fait de considérer qu’un enfant est en litige avec la loi. C’est une approche (juridique) erronée. Comment peut-on demander à un enfant de cerner la portée d’une disposition légale (et donc de se conformer à la loi) alors qu’il ne dispose pas encore de toutes ses facultés de discernement?».
Le juge des mineurs demeure une institution judiciaire méconnue et sous-estimée (Ph. L’Economiste)
Encore faut-il avoir les moyens de sa politique pénale? «Les centres d’éducation rattachés au département de la Solidarité sociale refusent d’accueillir des mineurs ayant des ennuis judiciaires», rapporte la magistrate Aziza Boustani. Malgré leur capacité d’accueil limitée, les centres de protection de l’enfance «restent notre dernier recours lorsqu’on a de surcroît devant soi un enfant de 4 ans à peine», déplore la juge qui exerce à Casablanca (voir encadré). Ces établissements qui relèvent du ministère de la Jeunesse et des Sports se distinguent des centres de redressement et de rééducation destinées à remédier à une délinquance précoce. N’empêche que le délégué régional du ministère de la Jeunesse reconnaît qu’il y a «un problème de communication entre les professionnels de la protection de l’enfance et la justice».
Hicham Zelouach appelle «la justice, la société civile, les médias à plus de proximité dans leur rapport». Notons que le code de la presse interdit de couvrir les affaires judiciaires impliquant des mineurs. Un droit d’accès respectueux de la vie privée des enfants aurait peut-être permis de dénoncer «ces magistrats qui manquent de sens social et de considération humaine» dans le traitement des dossiers.
Les propos de l’avocate Jmiaâ Hadadne ne font pas l’impasse sur les anciennes bonnes pratiques de la justice. Cette figure associative qui s’active au sein de «Mama Assia» rappelle que «des audiences étaient tenues jusqu’à 22 heures au sein des centres de protection afin de trouver des solutions à des enfants en détresse et résoudre le problème de surpeuplement… Que s’est-il passé après 2013-2014?». Années durant lesquelles des centres, comme celui de Tit Melil, ont fermé leur porte malgré des besoins croissants.
Déficit d’infrastructures et d’idéal!
UNE dizaine de lieutenants pour un secteur presque déserté! Tel est l’état des lieux qui ressort de notre visite d’un centre de protection de l’enfance à Casablanca (voir p. 4). Ces établissements ne devraient pas être confondus ni avec les centres de redressement et de rééducation rattachés à l’Administration pénitentiaire ni avec les foyers d’action sociale.
«La répartition des centres de protection de l’enfance est inégale entre les 12 régions. Certains bénéficient de plusieurs centres, d’autres n’en disposent pas du tout», note le CNDH en 2013 dans son rapport sur «Une enfance en danger». A l’époque, il était question d’une capacité d’accueil de 1.852 places dont à peine le tiers réservé aux filles. La société civile déplore «la fermeture» temporaire de certains centres sociaux comme celui de Tit Mellil. De son côté, le ministère de la Jeunesse et des Sports annonce pour les 3 prochaines années un ambitieux programme de construction de nouveaux bâtiments ou de réaménagement. Le but étant de couvrir «l’ensemble du territoire national».
Dans un tout autre rayon, institutionnel cette fois-ci. Une dizaine de ministères sont concernés de près ou de loin de veiller sur les droits de l’enfant: Justice, Enseignement, Intérieur, Santé, Emploi, Jeunesse et sports. Le ministère du Développement social, de la famille et de la solidarité est censé coordonner avec les autres départements gouvernementaux pour la mise en œuvre de la Convention de 1989 relative aux droits de l’enfant. C’est du moins ce que rapporte un guide sur la question publié il y a presque six ans par le ministère de la Justice et l’Unicef.
Les témoignages des acteurs associatifs, judiciaires et ministériels laissent déduire que le dossier de l’enfance est loin d’être une priorité. Or c’est une vraie bombe à retardement dont seuls de rares initiés en sont conscients. Les enjeux pour le Maroc de demain sont décisifs. La violence dans les stades est l’un des indicateurs sur ce que peut devenir un enfant sans vrai idéal.
Par Faiçal FAQUIHI
http://www.leconomiste.com/article/1007148-enfance-en-situation-difficile-20-400-proces-en-2015-le-record-depuis-dix-ans