Un salarié endetté et licencié pour faute grave ne peut pas faire jouer le délai de grâce contre sa banque. Tel est l’énoncé d’une ordonnance rendue par le tribunal de Casablanca.
Les experts l’avaient prévu : En ces temps difficiles, les affaires de délais de grâce deviennent les nouveaux marronniers des juridictions commerciales et civiles. Les emprunteurs défaillants sont nombreux à tenter d’activer l’article 149 de la loi édictant des mesures de protection des consommateurs. Un filon légal qui permet la suspension des échéances du crédit pour une période pouvant atteindre deux ans.
Mais entre validation et rejet de la demande, les fortunes sont diverses. Traité récemment par le tribunal de première instance de Casablanca (référé-civil), notre cas d’espèce relève de la deuxième catégorie. L’ordonnance a été rendue le 2 novembre 2020, rejetant une requête initiée début octobre.
Avant son licenciement en 2018, l’initiateur de la demande travaillait pour le compte d’une société opérant dans le secteur cimentier. Sans emploi ni revenus, il dit avoir été conduit « malgré lui » à arrêter le paiement des mensualités découlant d’un crédit immobilier. Sa demande : stopper les prélèvements jusqu’à l’obtention d’un nouveau travail. Théoriquement, la loi lui donne jusqu’à deux ans de suspension, assortie de l’arrêt du cours des intérêts.
Qui bénéficie de l’article 149 ? Les consommateurs qui se trouvent, « notamment », dans un cas « de licenciement ou de situation sociale imprévisible ». Auquel cas ils peuvent saisir le président du tribunal qui statue, en référé, sur la suspension de leurs obligations vis-à-vis de l’établissement de crédit. C’est une disposition d’ordre public. Cela implique, entre autres, la nullité de toute clause contraignant le consommateur à y renoncer.
Dans l’affaire en question, l’emprunteur a bien été licencié. D’ailleurs, sa défense n’a pas manqué de verser un jugement établissant le licenciement abusif et condamnant l’employeur à payer différentes indemnisations. Rendue par le tribunal social de Casablanca, cette décision date du 17 juillet 2018.
Pas de quoi convaincre le juge des référés. Car oui, le requérant a bien été évincé de son travail. Oui, il a bien obtenu un jugement reconnaissant un licenciement abusif. Seulement voilà, ce même jugement a été infirmé le 9 avril 2019 par une juridiction de second degré. Egalement versé au dossier, l’arrêt de la cour d’appel a fait basculer l’affaire au profit de l’établissement de crédit.
Cet arrêt impute le licenciement à « plusieurs fautes graves » commises par l’ex-salarié, observe le juge des référés. Le requérant n’avait « pas respecté les procédures internes à l’entreprise, ni les consignes reçues par sa hiérarchie », ce qui aurait « entravé l’activité commerciale de son employeur lui causant une accumulation de dettes ».
Résultat, l’emprunteur, bien qu’ayant effectivement perdu son emploi, ne peut néanmoins « invoquer une situation sociale imprévisible. Au contraire, il aurait pu parfaitement prévoir le résultat inévitable de ses fautes graves », poursuit le juge. Pour ce dernier, le demandeur ne peut pas faire jouer l’article 149 de la loi 31-08 (édictant des mesures de protection des consommateurs) que « le législateur réserve exclusivement aux personnes licenciées abusivement et sans avoir commis de fautes », tranche l’ordonnance.
Une lecture extensive et prétorienne de l’article 149 qui, lui, évoque le licenciement sans s’attarder sur ses motifs. C’est aussi une autre manière d’appliquer cet adage : « Nul ne peut se prévaloir de sa propre turpitude ». Quoi qu’il en soit, l’emprunteur a été débouté de sa demande et devra, en prime, supporter les dépens.
Par : A.E.H