Crise économique : Les politiques financières offertes au Maroc

Crise économique : Les politiques financières offertes au Maroc

Publié le :

Négociations de sorties de devises? Emissions locales de Covid-19 Bonds? Emission internationale de Sukuks? Plusieurs options s’offrent au Maroc selon Ali Ait Belhoucine, ingénieur financier et juriste.

Les conjonctures exceptionnelles dictent des mesures hors normes.

La crise sanitaire que connaît le monde s’inscrira inéluctablement comme un cas d’école, par excellence, dans les annales de la gestion des risques. Nulle règle prudentielle, ni principe de prudence économique n’aurait prévu des scénarios de confinement global de toute la population productive, de l’arrêt quasi-total des activités exportatrices génératrices de revenus et un retour de l’Etat providence avec une prise en main des secteurs régaliens dans les pays les plus libéraux.

Nous assistons, de tout point de vue, à un ‘’Global Economic Shut Down’’, dont les conséquences dépasseront de loin celles de la crise de 2008 et induiront une remise en question des politiques d’arbitrage de la production économique entre les continents chapeautées par les institutions financières.   Elle servira comme élément catalyseur d’une réflexion de fond sur l’opportunité du retour des politiques industrielles du made-in local qui auront pour vocation d’amoindrir la dépendance sur l’étranger et de garantir la sécurité d’approvisionnement des besoins vitaux loin de toute considération de baisse des taux de profit.

Le Maroc ne fait exception. Cette crise va tout remettre sur la table sans tabous ni restrictions.

L’explosion des importations des produits à faible valeur ajoutée technologique, au nom du libre échange, a détruit le tissu industriel local dont certaines anomalies structurelles n’ont pas aidé non plus à son décollage. Cet état a agi négativement sur les équilibres macroéconomiques dont notamment la balance commerciale, déficitaire y compris avec les pays du même niveau de développement économique, et a induit une forte pression sur les réserves en devise tellement importantes pour l’approvisionnement de produits vitaux pour le pays.

Gouverner c’est avant tout prévoir. Il est de la responsabilité du ministère des Finances d’assurer les liquidités nécessaires au fonctionnement de l’Etat et d’être au rendez vous des échéances de paiement en devise dont nul ne sous-estime l’impact sur la notation du pays et sa réputation financière dans les marchés des capitaux internationaux.

De ce point de vue, le projet de loi 2.20.320 relatif à la révision du seuil des emprunts étrangers de l’Etat raisonne comme du ‘bon sens’ étant donné les conséquences de cette crise sanitaire sur les activités génératrices de devise pour le pays.  Nonobstant, le taux d’endettement déjà inquiétant du Maroc et en l’absence d’une vision claire sur l’issue de cette pandémie ainsi que les éventuelles mesures de décollage du tissu industriel, il est crucial de cerner les impacts des différentes options de financement et de considérer un portefeuille de mesure car la solution est aussi complexe que la crise qui l’a engendrée.

Le réflexe de faire appel aux marchés financiers doit être pris avec beaucoup de prudence en passant chaque option sous la loupe et en intégrant des modes alternatifs de financement (I).

Une telle action doit être associée avec une renégociation des sorties de devises par les groupes étrangers installés dans le pays et une rationalisation des importations (II), tout en analysant l’opportunité d’une émission locale de ‘‘Covid 19-bonds’’ (III).

  • Les emprunts des marchés internationaux

Le Maroc a qualifié de grand succès son dernier grand emprunt qui avoisine le milliard d’euros.

Sa note actuelle de ‘Ba1’ en devise étrangère (chez Moody’s) et de ‘BBB’ (chez S&P) avec un outlook stable l’épargne de la zone des émetteurs de Junk-bond.

Toutefois, la sécheresse de liquidité que connaissent les marchés internationaux, incertains quant à l’issue de la pandémie et ses impacts, associée à cette actuel faible appétit pour le risque des investisseurs institutionnels, que ce soient les grandes banques d’investissements, les assureurs, ou les fonds d’investissement, sèment le doute sur un accueil favorable des marchés de nouvelles émissions d’obligations souveraines de l’Etat du Maroc sans l’application d’une prime de risque élevée.

Par  ailleurs, les différentes lignes de crédit mises à disposition par le FMI, longtemps considérées comme des options de dernier recours, ont été déclenchées à maintes reprises courant la dernière décennie.

Ce choix demeure tentant eu égard de la souplesse de sa mise en œuvre, mais de moins en moins populaire quant à ses conditions qui lient les bras du gouvernement et limitent l’étendue de son dévouement dans les politiques publiques tant importantes pour le développement humain et la réduction de la précarité de sa population.

D’autres options relevant cette fois-ci des emprunts auprès de la Banque Africaine de Développement (BAD) ou encore la Banque Islamique de Développement (BID) demeurent des options sérieuses qui méritent d’être considérées. Notons par ailleurs que les émissions de Sukuks, dont les pays du sud-est de l’Asie ont longtemps bénéficié pour développer leurs économies, peuvent rencontrer moins de difficultés étant donné la surliquidité que connaissent les marchés financiers participatifs.

Loin de toute idéologie ou considération spirituelle, le pragmatisme économique challenge nos intelligences pour épuiser dans moult options de financement dont les conditions préservent nos marges de manœuvre quant à l’exercice des prérogatives régaliennes et plus particulièrement le soutien apporté aux infrastructures sociales.

  • Négociation des sorties de devises

Les transferts de dividendes en devise des groupes étrangers installés au Maroc est une pilule difficile à avaler d’autant plus que ces groupes réalisent leurs chiffres d’affaires localement en dirham.

Les sorties annuelles s’élèvent à des centaines de millions d’euros. Cette situation aurait pu avoir moins d’impact si les dits opérateurs réalisaient leurs chiffres d’affaires à l’export.

Les entrées en devise, dans ce cas de figure, permettront de reconstituer nos réserves. Le caractère aigu de cette crise impose la renégociation, avec ces groupes, les sorties des devises ne serait-ce que leurs échelonnement sur une période raisonnable de telle sorte à alléger la tension sur les réserves qui vont subir dans les mois à venir, une onde de choc sans précédent.

Autres mesures, relevant cette fois-ci de la revue à la baisse des dotations de voyage ou encore du pourcentage des  montants des chiffres d’affaires en devise que les sociétés marocaines exportatrices peuvent utiliser sont susceptibles d’alléger la pression sur nos réserves en devise. Sans oublier la réduction de nos importations en produits non vitaux pour la vie des Marocains (comme les produits de luxe). Cette dernière mesure peut être perçue comme une atteinte à la liberté d’entreprendre. Toutefois, le principe de proportionnalité autorise une telle limitation de droit tant qu’elle est au service de l’intérêt général.

  • Vers une émission locale de ‘’Covid19-Bonds’’

Les caisses de l’Etat risquent de s’asphyxier face aux différentes obligations qu’il doit honorer. Assurer la continuité des services de l’Etat est l’affaire de tous les Marocains loin des considérations politiques ou idéologiques. Cette crise nous impose de nouveaux défis dont les réponses doivent se démarquer des logiques classiques de soutien. L’acquisition de certificats d’obligations (Covid 19 – bonds) structurés pour les besoins de contrecarrer les effets néfastes de cette pandémie est un acte citoyen qui nous honore tous.

Ces obligations peuvent être d’une échéance de deux à cinq ans et à zéro-coupon (paiement des coupons à l’échéance) dont le taux de rémunération pourrait se limiter au taux d’inflation. Le nominal pourrait être aussi faible que 200 dirhams avec une distribution garantie auprès de toutes les agences bancaires ainsi que celles de Barid Bank.

La planche à billets

Finalement, la planche à billet est une option que certains économistes mettent en avant comme étant inéluctable dans cette crise.

Certes, la corrélation entre la masse monétaire et les actifs générés dans les économies des différents pays fait partie d’un autre temps.  En effet, les banques se sont vues déléguer, par le régulateur central, la tâche de la création monétaire.

Leur activité d’intermédiation est intrinsèquement liée à la création de la monnaie et conduit par voie de conséquence à creuser le fossé entre la valeur des produits de l’économie réelle et la masse en circulation.

Cet état sert comme justificatif pour certains, qui sous le couvert d’une pseudo-lucidité, n’hésitent pas à mettre cette option sur la table comme susceptible d’aider à remplir les engagements immédiats de l’Etat libellés en dirham fasse au risque de réduction des revenus d’impôts sur les sociétés et de la TVA.  Néanmoins, elle risque d’induire des états d’inflation à moyen terme tant redoutés par les populations les plus diminuées et dont les impacts ne sont pas quantifiés.

L’ingéniosité des solutions de financement ne fait pas l’économie de la relance de nos industries ne serait-ce que pour les produits à moyenne valeur ajoutée technologique.  En effet, ils constituent la grande majorité de nos importations.

L’industrialisation du pays aura pour vocation de réduire notre dépendance à l’égard de l’étranger. La conception et fabrication d’un prototype de respirateur artificiel 100% marocain, dans un temps record, est une parfaite illustration des capacités de l’intelligentsia marocaine, certainement capable d’étendre cette logique vers un large éventail de produits de consommation.

Il est temps de balayer les obstacles qui freinent notre décollage industriel. La cherté de l’immobilité, la rigidité du droit de travail, le non respect des règles de concurrence, l’absence d’offres de financement des PME sans garanties, le dénigrement de la recherche appliquée, la pénurie des formations continues de qualité et enfin l’étouffement de notre tissu économique par des accords de libre échange que même les grandes puissances d’aujourd’hui n’auraient certainement pas acceptées dans leur phase de démarrage industriel… Ces problématiques se posent plus que jamais avec acuité. La conjoncture actuelle nous impose d’apporter des réformes de fond et l’on peut s’accorder à dire aujourd’hui que nous n’avons plus le choix.

Ali Ait Belhoucine est de formation Ingénieur à l’Institut Drexel à Philadelphie. Il est également titulaire d’un double Master en finance des Marchés et Sciences de Gestion ainsi qu’un Executive Master en Finance Islamique de Paris-Dauphine. 

 

Par : Ali Ait Belhoucine 

Consulter l’article sur le site de l’auteur

Partagez