La crise actuelle annonce une déferlante de procédures collectives. Pour le livre V du code de commerce, il s’agira d’un stress-test. Révisées il y a deux ans, ses dispositions visent à « traiter » les difficultés de l’entreprise. Mais sauront-elles régler celles générées par l’épisode covid-19 ?
« Nous vivons une période exceptionnelle. Les difficultés d’aujourd’hui ne sont pas celles d’avant. Dans ce contexte, le livre V n’est pas une solution, mais plutôt un handicap », nous dit Said Oularabi praticien et chercheur en droit. Tranchée, sa position est partagée par de nombreux praticiens. Beaucoup pointent les lacunes d’un texte (Livre V du Code du commerce sur le traitement des difficultés de l’entreprise) mâtiné de formalisme et qui, au lieu de relancer l’entreprise, pourrait l’enfoncer.
Démonstration: « Selon la loi en vigueur, le chef d’entreprise est tenu de déclarer la cessation de paiement dans un délai de 30 jours. A défaut, il engage sa responsabilité personnelle et encourt même la déchéance commerciale. Le problème est que, s’il déclare la cessation de paiement, il n’a droit qu’au redressement ou à la liquidation judiciaire. Or, la liquidation signifie généralement la mort de l’entreprise. Et le redressement finit par être converti en liquidation dans 90% des cas », nous dit M. Oularabi.
L’absence de cessation de paiements conditionne l’accès à des procédures plus avantageuses, du type conciliation (instaurée en 1996 par la loi 15-95) ou sauvegarde (instaurée par la réforme de 2018). Pour des secteurs complètement à l’arrêt, on sait donc à quoi s’en tenir. Leurs difficultés sont pourtant le résultat de décisions administratives, liées principalement au confinement sanitaire. Cela ne justifie-t-il pas des mesures dérogatoires ?
« Même en cessation de paiement, ces entreprises devraient être éligibles à la conciliation et la sauvegarde, mais à condition que la cessation soit survenue à partir de l’annonce de l’Etat d’urgence. Et qu’il soit possible de régler la dette dans un délai court », estime notre interlocuteur. M. Oularabi appelle, pour ce faire, « à l’instauration de dispositions transitoires, spécifiques aux difficultés actuelles ».
Ce postulat avait été développé par une étude publiée début mai par Bassamat & Laraqui, cabinet d’affaires basé à Casablanca. Il a été par la suite converti en proposition de loi, élaborée par le groupe RNI. Déposé à la Chambre des représentants, le texte ne concerne que la sauvegarde.
Qu’est-ce que la cessation de paiement ? C’est « l’impossibilité de faire face au passif exigible avec l’actif disponible » (l’article 575 du Code de Commerce). « Cette notion est mal définie. Chaque juge l’interprète à sa manière », déplore Me Bassamat Fassi Fihri, avocate au barreau de Casablanca. Dans les faits, cela donne lieu à des « décisions judiciaires disparates et parfois contradictoires ».
La loi peut présenter des limites, mais c’est la pratique qui préoccupe le plus les observateurs. Le traitement judiciaire des difficultés de l’entreprise reste notoirement inefficace. « Le manque de formation et l’absence de spécialisation des intervenants en constituent les causes. Une critique qui touche surtout l’institution du syndic, principal organe des procédures de traitement des difficultés », nous dit Me Bassamat.
Prévu par la récente réforme du livre V, le texte réglementaire précisant les qualifications requises pour l’exercice des missions de syndic n’a pas encore été publié. Ce décret est censé organiser « sa formation, les modalités de sa rémunération, ses incompatibilités et le régime de sa responsabilité », rappelle le cabinet Bassamat & Laraqui.
« Le livre V a mis la charrue avant les bœufs. Il prévoit des mesures sans tenir compte du profil de ceux qui les pilotent », estime notre interlocutrice.
Les missions du syndic sont pourtant d’une « extrême technicité. » Dans les dossiers de redressement et de liquidation, il se substitue partiellement ou entièrement au Chef d’entreprise. Et dans le cas d’un plan de cession, c’est lui aussi qui s’occupe de la vente. « Mais vendre une société ne s’improvise pas. C’est un métier à part entière. Les syndics ne sont pas outillés pour mener à bien ce type de mission », observe cet avocat d’affaires, spécialiste des fusions-acquisitions.
Nous l’avons vu avec l’affaire la Samir. Trois ans d’attente sans que la cession n’aboutisse. Aujourd’hui, les tenants du dossier envisagent de faire appel à une entité tierce pour piloter la vente : une banque d’affaires.
« Dans une procédure de reprise, les syndics doivent envisager la possibilité de se faire accompagner par des banques d’affaires. Elles sont les mieux habilitées à gérer la recherche de l’acquéreur en déployant leurs réseaux, à réaliser des audits et à valoriser l’entreprise », estime notre interlocuteur.
Le recours aux banques d’affaires n’est pas interdit par la loi, mais dans les juridictions commerciales, il se heurte à une certaine orthodoxie procédurale. Or, « dans ce contexte de crise, elles peuvent faciliter la cession partielle ou intégrale d’entreprises en difficulté. Une démarche qui peut s’avérer salvatrice, en ce qu’elle permettra aux entités qui ont de la valeur de s’en sortir grâce à la cession aux tiers ».
Notre source recommande que » les juridictions mettent les annonces de cession dans un portail électronique dédié, qui comporte la liste des entreprises concernées, réparties par secteurs d’activités, chiffres d’affaires, villes etc ».
Par: A.E.H