Tous les délais prévus par les lois et textes réglementaires suspendus jusqu’à la levée de l’état d’urgence sanitaire. Prescription, forclusion, recours… Le temps s’arrête dans les tribunaux, mais le flou persiste quant aux échéances fiscales.
A situation exceptionnelle, mesures exceptionnelles. La suspension de « tous les délais légaux et réglementaires » répond à cette logique. Cette disposition est prévue par l’article 6 du projet de décret-loi sur l’état d’urgence sanitaire, adopté au conseil du gouvernement puis au parlement. Le texte n’a pas encore été publié au Bulletin officiel. Mais cela ne saurait tarder.
Réclamée par les avocats, cette disposition implique que lesdits délais s’arrêteront de courir durant l’état d’urgence, pour reprendre « le lendemain » de sa levée, nous dit l’article 6. Au Maroc, cette période est fixée du 20 mars au 20 avril 2020, à 18h (sauf prorogation).
Exceptions logiques à la règle: les délais de recours en appel concernant des personnes poursuivies en état de détention, ainsi que les durées de placement en garde à vue et de détention préventive. Ces derniers ne feront pas partie du moratoire.
En suspendant « tous les délais prévus par des textes législatifs et réglementaires », le législateur a ratissé large. L’article 6 couvre, entre autres, les délais de voies de recours (appel, pourvoi en cassation, etc.), de prescription, de forclusion ainsi que ceux pour assigner en justice.
Des notions que l’on retrouve dans plusieurs textes juridiques, partant du code de procédure civile au code de procédure pénale (ex : prescription de l’action publique), en passant par le code de commerce (déclarations des créances, présentation du chèque au paiement, etc.), et la loi édictant des mesures de protection du consommateur (ex : délais de rétractation).
Le code du travail tombe naturellement dans le champ d’application du décret-loi.
« Prenons l’exemple d’un salarié licencié et auquel il reste un seul jour pour contester son licenciement. Si ce dernier jour coïncide avec l’entrée en vigueur de l’état d’urgence, il ne sera pas comptabilisé. Ce qui offre au salarié la possibilité d’attendre jusqu’au lendemain de la levée de l’état d’urgence. C’est comme s’il avait bénéficié de 30 jours supplémentaires en plus des 90 jours que la loi lui accorde », explique Me Mounir Founani.
Cette décision est profitable aux « justiciables qui ont la charge d’exercer une voie de recours ou diligenter une action judiciaire dans un délai déterminé sous peine de voir leurs actions prescrites ou leurs droits forclos », estime son confrère Me Mahmoud Hassen, avocat au barreau de Paris et de Tunis. Une raison de plus pour rester chez soi…
En revanche, d’autres parties pourraient en pâtir, bien que provisoirement. Me Hassen nous donne l’exemple de ce « justiciable qui a obtenu des décisions judiciaires dont la notification et l’exécution forcée se trouveront suspendues durant la trêve décrétée par l’état d’urgence sanitaire ». Qu’à cela ne tienne, « l’intérêt général et la sécurité sanitaire ont une primauté sur les intérêts privés », tranche notre interlocuteur.
Le flou persiste quant aux dossiers urgents. « C’est la question qui taraude actuellement un certains nombre de confrères », confie Me Fouanani. Me Hassen pense quant à lui que le moratoire « ne concerne pas les ordonnances de référé d’heure à heure exécutoires par provision sur minute en cas d’extrême urgence (ex: saisie de navire ou mainlevée de saisie, etc.) ».
Les fiscalistes dans l’expectative
L’article 6 semble clair quant à son application prétorienne. Mais sa lecture l’est beaucoup moins à l’aune des délais fiscaux. D’où la prudence des professionnels. « Sur le plan fiscal, on attend tous que la procédure législative aboutisse pour recevoir une communication de la Direction générale des impôts ou du comité de veille économique », nous dit Anas Dahbi, expert-comptable.
« A date, le seul moratoire de paiement d’impôt est celui publié par le comité de veille. Ce dernier consiste en le report des déclarations fiscales des sociétés dont le chiffre d’affaires est inférieur à 20 MDH sur demande », rappelle notre interlocuteur.
Dans la sphère fiscaliste, l’article 6 génère deux positions: « la première c’est la primauté des lois sur les circulaires, qui fera que ce moratoire sera généralisé et la seconde, c’est que les échéances fiscales impactent le principe de continuité de l’Etat ou peuvent l’impacter », étaye M. Dahbi.
L’article 6 propose une formulation générale, en couvrant « tous les délais prévus par des textes légaux et réglementaires ». Partant, les fiscaliste s’attendent à une note qui devrait venir éclaircir et paramétrer cette disposition en fonction des spécificités inhérentes au domaine fiscal, tout en tenant compte du contexte actuel.
Par : A.E.H