… Inédite certes, jugée courageuse par les milieux juridiques, mais qui a été infirmée en appel. Souffrant de diabète, un ressortissant libyen a été en première instance autorisé provisoirement d’accès au territoire marocain malgré la fermeture des frontières. Une ordonnance motivée par la notion de « Justice au sens large », et mettant de côté l’interprétation juridique au sens strict.
Acte 1. Première instance. La Justice du bon sens… au temps du coronavirus. Bloqué pendant plusieurs jours à l’aéroport de Casablanca, un ressortissant libyen s’est vu accorder le droit d’accès au territoire marocain en attendant la levée de l’embargo aérien décrété par les autorités marocaines.
Datant du 23 mars 2020, cette ordonnance de référé, dont Médias24 détient copie, a été rendue par le président du tribunal administratif de Casablanca. Elle fait suite à la demande initiée le 19 mars par l’avocat du demandeur.
Arrivé en provenance du Libéria, où il représente une branche de la Société Libyenne d’Investissement, le requérant devait faire escale au Maroc avant de prendre un vol vers la Tunisie. Son arrivée à l’aéroport Mohammed V coïncidera avec l’interdiction, par le Royaume, des vols internationaux de passagers en provenance et à destination de son territoire.
Résultat, le passager sera confiné (malgré lui) plusieurs jours au point de transit. Il se verra, de surcroit, interdire par les services de l’Aéroport de quitter ce dernier jusqu’à levée de l’embargo aérien.
D’où sa requête en référé, où il demande l’autorisation « d’accès au Maroc via l’aéroport de Casablanca », tout en faisant valoir « l’engagement du consulat libyen à le prendre en charge en attendant la levée de l’embargo aérien. »
Demande validée par le juge. Selon quelle base ? En faisant valoir « les règles générales et principes de Justice au sens large », tout en laissant de côté la lecture sèche de la loi.
S’il reconnait l’existence de motif légitimant les restrictions opposées au ressortissant à l’aéroport, liées notamment au contexte actuel de lutte contre la propagation du coronavirus, le tribunal ne trouve aucun obstacle « à l’examen de la demande d’accès au territoire durant la période l’embargo aérien ».
En substance, le président du tribunal a estimé que le cas du ressortissant libyen n’entrait pas dans un champ légal particulier, en l’occurrence celui de « la loi relative à l’entrée et au séjour des étrangers au Royaume du Maroc, à l’émigration et l’immigration irrégulières ».
En effet, ce texte ne prévoit pas le cas de voyageurs étrangers bloqués dans les aéroports internationaux du Royaume du fait d’une interdiction de vol. Il y va cependant de la protection des « libertés » et du statut juridique » des individus. De là, le juge est censé « faire cesser tout préjudice dont se plaint une personne bloquée à l’aéroport ».
Une position que motive d’autant plus l’état de santé du ressortissant, étant atteint d’une maladie chronique (diabète) selon une note du consulat général de Libye au Maroc, versée dans le dossier.
Pour le président de la juridiction administrative, rien ne justifiait donc que le requérant « soit interdit d’accès au territoire pendant la période de fermeture des frontières », mais sous réserve de « vérifier l’état de santé » de l’intéressé et précisément s’il « n’est pas été atteint par le coronavirus », précise l’ordonnance de référé.
Ordonnance infirmée en appel
Act 2. Appel. Marquée par l’originalité de ses attendus, dans un contexte propice à la souplesse d’interprétation, cette ordonnance restera toutefois anecdotique. Trois jours plus tard (le 26 mars), elle sera infirmée par la Cour d’appel de Rabat après un recours formulé par l’Agent judiciaire du Royaume, qui a initié cette démarche au nom du ministère des affaires étrangères et de la Direction générale de la sûreté nationale.
A rebours de la première ordonnance, la juridiction d’appel s’en remettra à une lecture restrictive, mettant en avant le caractère « souverain » de la décision prise par les autorités marocaines [embargo aérien], affirmant » que ses effets juridiques ne peuvent être obstrués ou éludés que dans les cas décidés ».
Par : A.E.H
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