DANS un contexte de concurrence de plus en plus ardue, les entreprises ont recours à tous les moyens pour tenir leurs salariés. Ces derniers, ou du moins les cadres ayant une certaine compétence, sont souvent amenés à changer d’employeurs, soit parce qu’ils y sont contraints, soit parce qu’ils ont trouvé d’autres opportunités. Dans la 2e éventualité, le divorce se fait dans la douleur. Surtout si le salarié partant est très compétent, formé en interne ou détient des secrets professionnels.
Le départ peut s’avérer encore plus désastreux pour l’employeur si le partant décide de rejoindre une entreprise du même secteur pour y exploiter son savoir-faire ou la faire bénéficier de l’expertise.
Pour s’assurer de la loyauté de leurs salariés, les employeurs n’hésitent pas à insérer une clause de non-concurrence dans les contrats de travail. «C’est très à la mode. Pratiquement toutes les entreprises, surtout d’industrie et de services, l’insèrent dans les contrats», explique Ahmed Laksiwar, conseiller en législation du travail.
Il s’agit d’une disposition écrite dont l’objet est d’interdire explicitement à un ancien salarié, après son départ de l’entreprise, l’exercice d’une activité professionnelle concurrente qui porte atteinte aux intérêts de son ancien employeur. «La majorité des entreprises ont recours à cette clause pour protéger leurs intérêts», confirme Zine Elabidine Kacha, inspecteur du travail.
Néanmoins, la validité de cette restriction est conditionnée par sa limitation dans le temps et dans l’espace. Cette limitation doit également tenir compte des fonctions exercées par le salarié et de ses possibilités d’exercer un autre métier. Généralement, si le salarié, de par sa spécialité professionnelle, sa formation et son expérience professionnelle, se trouve dans l’impossibilité d’exercer une activité conforme à ses qualifications, le juge se prononce en sa faveur.
Mais en pratique, le non-respect de cette clause n’entraîne pas de conséquences pour le salarié. «La jurisprudence marocaine est relativement rare sur ce point et même dans les cas où les tribunaux ont eu à traiter de cette question, ils hésitent à condamner le salarié qui ne s’est pas conformé à cette clause», observe Zine Elabidine Kacha.
La conjoncture du marché de l’emploi ne permet pas aux personnes de se priver d’un travail pendant un certain temps ou d’aller en chercher plus loin. Cette clause est généralement insérée dans un CDI. Elles sont difficilement envisageables pour un salarié en contrat à durée déterminée sur quelques mois. Généralement, elle concerne les cadres supérieurs, détenant une expertise de l’entreprise, des secrets de fabrication d’un produit, une stratégie commerciale et marketing, un portefeuille clients important ou tout simplement des méthodes de travail.
Dans la pratique, rares sont les entreprises qui engagent une procédure judiciaire parce qu’elles ont très peu de chance d’avoir gain de cause devant un tribunal. Et pour cause, comme l’explique Ahmed Laksiwar, «une telle clause est une limitation grave à la liberté de l’emploi pour le salarié».
En France, la jurisprudence a été innovatrice dans ce sens. Elle considère que l’insertion d’une clause de non-concurrence dans un contrat n’est juridiquement valable que si elle est accompagnée d’une compensation financière versée à l’employé au moment de son départ. La compensation doit couvrir toute la durée de validité de cette clause. Elle pourra représenter un pourcentage plus ou moins conséquent du salaire et être versée tous les mois.
La jurisprudence marocaine n’est pas abondante sur ce point. Mais en l’absence de preuves réelles de préjudice, la clause est déclarée nulle ou restreinte par le juge. «La pratique des contrats de travail doit évoluer dans ce sens. C’est le seul moyen pour protéger les droits des salariés», explique Kacha.
En France, les entreprises du même secteur ont recours, pour se prémunir contre ces mauvaises surprises, à des codes déontologiques pour s’interdire d’aller débaucher chez la concurrence. Pour ce qui est du Maroc, les banques avaient été les premières à instaurer, même de manière tacite, ce genre de pacte. Cependant la mobilité au niveau des cadres est très courante. Difficile de les tenir devant les opportunités, surtout financières, que présente le marché.
Tarik HARI