Après un premier passage en Conseil de gouvernement le 7 octobre dernier, le projet de loi 36-08 modifiant et complétant la loi n° 9-97 portant Code électoral a enfin reçu, en Conseil des ministres, le feu vert indispensable pour passer devant la Chambre des représentants.
D’emblée, Saâd El Alami, ministre des relations avec le Parlement, annonce que le texte ne devrait pas passer trop de temps dans l’hémicycle, malgré le traitement concomitant de la Loi de finances.
Le ministre s’attend même à ce que le projet de code passe d’ici décembre ou janvier, «mais cela restera lié au travail du Parlement», indique-t-il. C’est que, la date des prochaines élections communales ayant été fixée au 12 juin prochain, les délais sont un peu justes.
De plus, le texte ayant dès le départ été l’objet d’un dialogue entre partis et ministère de l’intérieur, on est déjà parvenu à un consensus, pour l’essentiel. Reste les positions de principe qu’il faut quand même exprimer, de part et d’autre.
Côté contenu, bien que des modifications soient plus que probables lors du passage du texte au Parlement, plusieurs points-clés du projet semblent acquis, puisqu’ils ont été évoqués dans le discours royal du 10 octobre, à commencer par l’abaissement de l’âge minimal des candidats de 23 à 21 ans.
Idem pour la mise en place de «mécanismes efficients à même de favoriser une représentation adéquate et une présence plus large des femmes au sein des conseils communaux», qui s’est traduite, dans le projet de loi, par l’interdiction aux listes électorales de présenter trois élus du même sexe à la suite.
Autrement dit, obligation est faite de présenter au moins une femme pour trois candidats dans les zones où le scrutin de liste est en vigueur.
Autres changements : l’élargissement du champ d’application du scrutin uninominal à toutes les communes de moins de 35 000 habitants, alors que, jusque-là, il n’était de rigueur que pour celles de moins de 25 000. L’on note aussi l’élévation du seuil de répartition des sièges.
Auparavant fixé à 3%, il devrait désormais limiter l’accès aux conseils communaux aux candidats ayant obtenu au moins 5% des suffrages exprimés.
Partis, candidats, électeurs, tout le monde est concerné
Certains autres réglages semblent répondre à des problèmes rencontrés lors des élections précédentes : le projet de loi permet aux partis d’avoir accès à une copie des listes électorales dans les différentes circonscriptions.
De même, les candidats se voient attribuer plus de moyens de recours en cas de rejet ou de contentieux concernant leurs candidatures : le tribunal administratif n’est plus l’unique recours, avec l’intervention, à l’avenir, de la haute Cour administrative. Les délais de réponse des autorités sont par ailleurs raccourcis.
Face à ces avancées, les candidats seront quand même tenus à plus de transparence.
En effet, une modification discrète mais prometteuse prévoit qu’en plus de présenter l’état des dépenses engagées dans le cadre de leur campagne électorale, les candidats devront aussi fournir des informations détaillées sur les sources de financement de leur campagne électorale…
Partis et candidats ne sont pas, toutefois, les seuls concernés par ces différentes réformes.
Car, en plus de changements ayant trait aux élections au sein des Chambres professionnelles, les électeurs sont également concernés (voir encadré). En effet, alors que la loi actuelle leur permet de s’inscrire, à titre exceptionnel, sur la liste de la commune de leur lieu de naissance, ou encore celle de leur dernier lieu de résidence, les Marocains (sauf bien entendu les MRE) ne pourront désormais voter que dans leur circonscription de résidence.
«L’ innovation est majeure et cette mesure va contribuer à la stabilisation des listes électorales», explique le politologue Nadir El Moumni. Cantonnés à leur circonscription de résidence, les électeurs ne pourront donc plus constituer cette «réserve électorale» que des candidats indélicats étaient tentés de déplacer vers la commune où ils se présentent (inzal).
Certains réglages sont visiblement destinés à mettre un terme à des polémiques. Ainsi, l’année dernière, malgré des efforts importants, l’Etat n’était pas parvenu à distribuer de cartes d’identité nationale à l’ensemble des électeurs potentiels qui n’en avaient pas.
Cette fois, le projet de loi devrait permettre aux personnes ne disposant pas de la CIN d’utiliser, à défaut, leur livret de famille. De même, il est aujourd’hui question de permettre aux autorités locales de prendre, le cas échéant, l’initiative d’aller à la rencontre des électeurs pour leur remettre leurs cartes électorales.
Scrutin uninominal : un changement pour maintenir le statu quo
Face à ces changements, les partis, qui n’ont pas encore eu officiellement accès au projet de loi, affûtent déjà leurs amendements. Et, déjà, les premières réactions se font connaître. Face à l’élargissement du champ d’application du scrutin uninominal aux communes de moins de 35 000 habitants, des partis comme l’Istiqlal, le Mouvement populaire ou le RNI se disent un peu déçus.
«Nous avons proposé de relever ce nombre à 50 000 car la gestion communale appelle à une connaissance par le citoyen de son représentant, qui est la personne à même de satisfaire ses besoins directs», explique le parlementaire RNI Abdelaziz Alaoui Hafidi, également président du groupe Rassemblement et modernité.
Driss Sentissi, président du groupe haraki et président du conseil de Salé, où le scrutin de liste est en vigueur, lui fait écho : «A Salé, beaucoup d’élus viennent des mêmes quartiers, alors que le reste de la ville n’est pas représenté.
Or, le citoyen recherche la proximité et vote pour un candidat qui travaille pour lui, qu’il s’agisse d’un problème de canalisations défectueuses, de ramassage d’ordures ou d’un acte de naissance bloqué par un fonctionnaire». Ainsi, le scrutin uninominal semble revenir à la mode.
Certains le présentent même aujourd’hui comme un moyen de réconcilier quelque peu les Marocains avec les urnes.
Toutefois, dans les petites formations, le recul du scrutin de liste ne semble pas déranger outre mesure. La raison ? Sur le terrain, la limitation de sa zone d’application aux circonscriptions de plus de 35 000 habitants ne fait que compenser… les effets de l’évolution démographique et de l’exode rural, explique Mohamed Moujahid, secrétaire général du PSU (voir également entretien avec Nadir El Moumni).
Tous égaux face à la balkanisation
En revanche, le numéro un du PSU se dit opposé à l’élévation du seuil de distribution des sièges de 3% des suffrages à 5%. «Nous sommes contre le principe du seuil. Déjà, nous n’étions pas favorables à celui de 3%.
Nous sommes pour une proportionnelle tout court», explique-t-il. Cette position, qui semble relever avant tout d’une question de principe, est cependant minoritaire.
En face, l’Istiqlal, le RNI et le MP veulent même qu’il soit élevé à 6%. Un petit changement qui réduirait notablement la balkanisation de la scène politique. «Avec 6%, il ne resterait que 8 partis ; avec 5%, le spectre des partis pouvant accéder aux conseils communaux sera élargi», explique Mohamed El Ansari, membre istiqlalien de la Chambre des conseillers.
Entre les deux, certaines formations à petits effectifs affirment qu’elles s’accommodent très bien des 5%, à l’instar du Parti travailliste de Abdelkrim Benatiq, car, avec un tel seuil, petits et gros partis sont quasiment sur un pied d’égalité.
N’oublions pas que même ces derniers ne sont pas forcément assurés d’
intégrer les conseils communaux. Bien plus, en réduisant le nombre de partis pouvant intégrer les conseils communaux, la barrière des 5% y faciliterait les alliances : il est plus facile d’élire un président à 4 qu’à 18. Selon Nadir El Moumni, en revanche, les 5% correspondent en fait… au statu quo : «Statistiquement, si on analyse les résultats des élections communales de 2003, on observe que 5% est le seuil optimal pour tous les partis, indépendamment de leur taille ou de leur poids électoral, car à ce niveau, la différence entre les voix et les sièges obtenus est de 0».
En revanche, un seuil de 6%, voire 7%, risque de se retourner contre les partis, y compris les plus importants, notamment dans les grandes villes, du fait de l’éparpillement des votes entre le grand nombre de formations concurrentes. «Vu la structure actuelle atomisée du paysage politique, certains grands partis risquent en effet de ne pas obtenir 7% des sièges», explique-t-il.
Au-delà, les différentes formations se préparent à présenter différentes demandes : une refonte des listes électorales, bien que le temps commence à manquer pour le faire, une révision des listes, mais par des «gens responsables, crédibles sur le plan administratif» et implicitement non partisans, pour une plus grande objectivité…, la liste des propositions est longue.
Jeunes, femmes, la prochaine «frontière» de la conquête politique ?
Toutefois, c’est au niveau de l’application des nouvelles dispositions concernant les femmes et les jeunes que des problèmes risquent d’apparaître. Le renforcement des candidatures féminines dans les zones à scrutin de liste, qui devrait être complété par des encouragements sonnants et trébuchants pour les zones à scrutin uninominal, implique une série d’interrogations.
Les partis disposent-ils des profils adéquats pour garnir leurs listes ? Aujourd’hui, si certains partis affirment disposer d’un nombre suffisant de militantes, qui peut être complété en intégrant soit des sympathisantes sur le plan idéologique, soit des profils féminins à la recherche des partis à même d’assurer leur élection, il ne s’agit pas non plus de faire du remplissage.
Par ailleurs, dans les zones d’application du scrutin uninominal, notamment dans les zones rurales, les aides financières suffiront-elles à persuader les partis de se «hasarder» à présenter une femme là où un homme a plus de chances de gagner ?
En admettant que ces problèmes soient réglés, il faut aussi que les partis s’organisent en interne pour appliquer les nouvelles mesures au niveau de leurs candidatures. Iront-ils jusqu’à s’imposer des quotas de candidates ? Le débat n’a pas encore démarré, y compris dans les formations les plus favorables aux femmes, comme le PPS et le PSU.
En attendant, du côté du RNI, certains évoquent la nécessité de mettre en place une charte d’honneur des partis.
Des problèmes similaires se posent du côté des jeunes.
Quand bien même l’électorat ferait confiance à ces derniers, à 21 ans, est-on suffisamment mûr pour assumer des responsabilités au niveau d’un conseil communal ? Bien entendu, même en accédant à de telles structures, les jeunes ont peu de chances d’y remporter la présidence du premier coup.
Ils devront donc a priori gagner en expérience en tant que «simples conseillers», pendant un certain temps, avant d’accéder à des responsabilités plus larges.
Mais l’abaissement de l’âge des candidats de 23 à 21 ans semble être avant tout une mesure de long terme : un poste de conseiller local n’est-il pas nettement plus encourageant que la perspective de végéter des années durant dans la Chabiba de son parti. Bien plus, il permettra à ces politiciens en herbe de s’engager sur la voie qui, à terme, les conduira aux portes du Parlement.
Et des jeunes intéressés par une carrière en politique, il en existe. En 2003, 0,54% des élus des communales avaient moins de 24 ans. Des effectifs très modestes, mais qui n’ont rien à envier à ceux des femmes (0,56%).
Bien entendu, pour ces deux catégories, la capacité de réaction des partis sera déterminante.
Dans ce sens, les formations les plus confortablement installées sur la scène politique accepteront-elles à revoir leurs stratégies en matière de candidatures, en réduisant la proportion de candidats «classiques» au profit de profils nouveaux, moins expérimentés notamment sur le plan électoral ? Mais peut-être un tel choix ne sera-t-il pas nécessaire : même en 2003, l’Istiqlal, arrivé en tête de course, n’avait pas été en mesure de couvrir l’ensemble des 23 000 circonscriptions mises en jeu à travers le pays.
En 2009, il y aura sans aucun doute de la place pour tout le monde.
Houda Filali-Ansary