Code de la famille : Comment la loi a été détournée

Code de la famille : Comment la loi a été détournée

Publié le : - Auteur : L'Economiste

Au début, il y a un homme et une femme. Ensuite un mariage, puis… une disposition légale. Et plus exactement l’article 16 du code de la famille. Il prévoit grosso modo qu’un acte de mariage prouve, légalement, l’union conjugale. Sauf que la vie, c’est aussi des imprévus: il arrive qu’un couple s’unisse, mais que «des raisons impérieuses l’ont empêché d’établir l’acte de mariage…». Un verset coranique, des témoins et un bon méchoui scellent ainsi les justes noces. Mais la loi c’est la loi. A l’instar des clandestins, il faut bien régulariser la situation. Du coup, sans acte adoulaire, pas de mariage.
Que faire alors? Le législateur a donc prévu, selon l’article 16 toujours, d’introduire une action en reconnaissance de mariage auprès des tribunaux de la famille. La loi a toutefois fixé un délai de cinq ans pour que cette procédure judiciaire soit recevable par le juge.
Or, il a expiré depuis le 5 février 2009. Car le code de la famille a pris le soin de préciser que ce délai n’est qu’une période transitoire ne dépassant pas 5 ans, à compter de la date d’entrée en vigueur de la présente loi, c’est-à-dire en février 2004. Le bilan de l’opération de régularisation, s’il a permis la régularisation de 80.700 unions, a révélé bien des surprises.

· Prorogation en vue

Une bonne nouvelle pour les retardataires de… bonne foi!
La période transitoire, pour faire valoir une action en reconnaissance de mariage devant le juge, sera reconduite. Le ministère de la Justice a déjà déposé le projet de loi au secrétariat général du gouvernement. C’est ce qui ressort d’une note présentée, le 11 novembre 2009, par l’ex-ministre socialiste, Abdelwahed Radi, devant la commission justice et législation du Parlement. Va-t-on prolonger ce délai pour cinq ans? La note ne le précise pas. Mais il y a de fortes chances que ce soit le cas. L’action en reconnaissance de mariage, c’est des chiffres aussi.
Depuis son lancement, il y a six ans, près de 7.000 jugements reconnaissant le mariage ont été rendus. En 2008, c’est le pic: les justiciables manifestent un engouement pour l’action en reconnaissance de mariage. Les tribunaux de la famille ont ainsi rendu 23.390 jugements, soit une hausse de 5% par rapport à 2004. En 2008 toujours, à chaque jugement en reconnaissance de mariage correspond 13 mariages.

· Polygamie illicite

Dans les tribunaux, les procédures pèsent plus que les statistiques! Car la loi peut être détournée. L’article 16 du code de la famille a bel et bien servi à encourager… la polygamie illicite. N’oublions pas que l’homme polygame doit se plier à l’article 41. Primo, l’autorisation du juge est conditionnée par un principe d’équité. Le mari doit «disposer de ressources suffisantes pour subvenir aux besoins des deux foyers…».
Secundo, le prétendant à un 2e mariage doit faire valoir «un argument objectif exceptionnel», tel que la stérilité de son épouse. L’interdiction devient par ailleurs formelle lorsqu’une femme «a pris le soin de consigner dans l’acte de mariage que son époux va s’abstenir de prendre d’autres épouses». Le non-respect d’un tel engagement lui donne droit au divorce.
Supposons que cette clause (droit de se remarier) ne figure pas dans l’acte. L’homme doit d’abord obtenir le consentement de son épouse pour se remarier!
Or, pour ne pas s’encombrer d’un accord préalable, «le mari fait recours à… une action en reconnaissance du mariage»! Facile, d’autant plus que «le tribunal admet tous les moyens de preuve et le recours à l’expertise». Il suffit, en effet, de faire venir quelques témoins devant la barre et le tour est joué. Ce qui revient à dénaturer l’esprit de la loi 70-03, voire la bafouer carrément. L’Inspection générale du ministère de la Justice confirme.

· Jugements infondés

Elle a contrôlé, depuis leur création, plus de 92% des juridictions de la famille.
Son rapport 2007-2008 révèle ainsi quelques aberrations du monde judiciaire. Dans des jugements de reconnaissance de mariage, «les magistrats ne démontrent pas les raisons impérieuses ayant fait obstacle à la conclusion d’un acte de mariage».
Pire, «le tribunal s’appuie parfois sur des raisons qui ne constituent pas un cas de force majeure»! Ce qui laisse la porte ouverte à des abus de procédure: mariage de mineures, polygamie…
Et qui renvoie à une époque où certaines dispositions iniques de la Moudawana «sévissaient» encore. Rappelons-nous d’ailleurs les mauvais souvenirs relayés par les statistiques des années 1990: qui dit mariage de mineurs, dit des demandes qui émanent des femmes principalement (99%), sans emploi (98%) et vivant en milieu urbain (52%). Souvent, juges (86%) et tuteurs (96%) donnaient leurs accords.
Quant à la polygamie, les inspecteurs du ministère de la Justice ont mis la main sur des jugements qui ne mentionnent pas le motif «objectif exceptionnel» dont doit disposer le mari.
Les craintes exprimées par le législateur dans le préambule de la loi 70-03 se confirment: «dans l’hypothèse d’une interdiction formelle de la polygamie, l’homme serait tenté de recourir à une polygamie de fait, mais illicite».

· Amour «légal», amour «pervers»

Si des brebis galeuses détournent l’article 16, nous ne devons pas pour autant blâmer l’intention initiale du législateur. Donner, par exemple, une seconde chance à des couples qui, entre- temps, ont eu une progéniture. Le code de la famille n’adjoint-il pas au juge de «prendre en considération (…) l’existence d’enfants ou de grossesses issues de la relation conjugale…». Et là aussi, c’est de l’action en reconnaissance du mariage dont il s’agit. Indirectement, l’article 16 freine la stigmatisation à laquelle font face d’office les enfants naturels. Sa procédure les récupère en effet pour renforcer les rangs des enfants légitimes. Pour ou contre?
Au-delà des réflexes réactionnaires, un enfant n’est ni naturel ni légitime. Il reste avant et après tout un enfant qui, en tant qu’être humain, naît avec des droits imprescriptibles. Sans oublier aussi qu’une loi est faite par des humains pour des humains… Comme quoi, le droit, c’est de l’amour aussi.
Autre cas, autre tracas. Toujours dans l’hypothèse d’une action en reconnaissance de mariage. Cette fois-ci, elle ne sera pas détournée, mais simplement délaissée. Une femme veuve qui se remarie n’aura plus droit à la pension de survivant: après le décès de son mari, 50% de sa retraite lui revient. Mais à condition que madame ne convole pas en justes noces. Sauf que le «cœur a ses raisons que la raison ne connaît point», comme dirait Blaise Pascal. Il arrive ainsi, même en milieu urbain, qu’une veuve se remarie. Plutôt que d’abandonner la pension, le couple renonce à introduire une action en reconnaissance de mariage. Du coup, le droit devient pervers en produisant l’effet contraire auquel il tend. La loi, comme les humains, n’est pas à l’abri du vice!

Faiçal FAQUIHI 

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