Chantier de construction : Qui est responsable de quoi ?

Chantier de construction : Qui est responsable de quoi ?

Publié le : - Auteur : L'Economiste
QUI s’imagine toute l’expérience nécessaire pour la construction d’un immeuble? Qui sait combien de connaissances techniques faut-il pour le coffrage de fossés ou dans la construction de tunnels?
«N’importe qui peut s’improviser professionnel», accuse Abdelmoumen Benabdeljalil, architecte et DG de l’Ecole supérieure d’architecture de Casablanca. Le boom de l’immobilier s’est accompagné d’un laisser-aller au détriment de la qualité et la sécurité, selon lui.
La réforme du code de l’urbanisme censée mettre en place les dispositifs nécessaires pour prendre le devant des problèmes, est encore à un stade embryonnaire. Taoufik Hejira, lors d’une réunion en avril dernier sur l’importance du règlement de construction parasismique, a bien dressé le tableau. Il a mis en garde contre le non-respect des normes de la qualité et de la sécurité dans la construction qui entraîne des répercussions économiques et sociales graves sur la société. Après Marrakech en 1986, Tanger en 1988, Fès en 1999 et 2004, Mohammédia, et bien d’autres encore, Casablanca a failli connaître avec l’effondrement d’un immeuble, le 2 avril, une grave catastrophe. La dernière en date est celle de l’usine Rosamor qui a fait 55 morts.
Dès lors, une circulaire interministérielle, signée conjointement par les ministères de l’Intérieur, de la Justice et de l’Habitat, le 12 mai dernier, vient combler le vide juridique quant à la responsabilité de chacun des intervenants sur l’acte de bâtir. Elle concerne les walis, gouverneurs, membres du parquet, inspecteurs régionaux de l’urbanisme, de l’architecture et de l’aménagement du territoire et les directeurs des agences urbaines.
«L’habitat non réglementaire continue de se développer avec des conséquences fâcheuses sur le paysage urbain et la sécurité des personnes, entraînant aussi des dépenses importantes pour l’Etat afin de redresser la situation», explique Abdeslam Chikri, directeur des affaires juridiques du ministère de l’Habitat. La circulaire a pour objectif d’activer les dispositions juridiques relatives au contrôle de la construction, promouvoir le professionnalisme dans le secteur et déterminer les compétences et responsabilités des acteurs publics. En effet, selon la circulaire, les walis et les gouverneurs doivent rappeler aux présidents des conseils communaux leurs responsabilités au moment de la délivrance des permis. Ces présidents de conseils sont appelés à surseoir à la délivrance de permis d’habiter et certificats de conformité jusqu’à la présentation de l’attestation d’achèvement des travaux signée par l’architecte qui a supervisé le chantier. «Tous ces acteurs engagent leurs responsabilités en cas de défaillance. Cependant, celle des professionnels reste posée», indique Chikri. Celui qui conduit un chantier ne doit pas accepter de travailler n’importe comment, selon lui. «Pour les commandes publiques, chacun exerce son métier. Pour l’avenir, il faudra envisager la même chose pour l’ensemble des chantiers de construction. Aujourd’hui, aucun texte n’oblige un entrepreneur de faire par exemple, des analyses de sol avant de démarrer un projet. Mais c’est le bon sens qui doit jouer».
Mais qui est responsable de quoi dans l’acte de construire? Selon la définition de l’ESA, l’architecte est chargé par le maître d’ouvrage ou l’entrepreneur de concevoir le projet, de veiller à son exécution et de procéder à la réception de ses travaux. Il a pour fonction de s’assurer que le programme de l’opération est viable, réalisable et compatible avec le terrain. Il doit coordonner les études techniques, proposer les moyens de produire l’ouvrage, contrôler sa conformité avec le projet. «Il n’est donc pas seul responsable sur un chantier. Or, lorsqu’un incident intervient, la seule personne incriminé est l’architecte», indique Benabdeljalil. «L’architecte a l’obligation de conseil pour son client. Il ne doit donc pas accepter de réaliser des travaux qui peuvent s’avérer dangereux, car il engage sa responsabilité», signale Chikri.
L’architecte est souvent tiraillé entre ses obligations et le respect du budget assigné aux opérations. Il est responsable dans la limite de la compétence de tous les autres intervenants, selon Benabdeljalil. «Il y a tellement d’informel qu’en cas de problème, on se tourne systématiquement vers l’architecte ».
Autre intervenant, le bureau d’études techniques constitué d’ingénieurs et techniciens spécialisés dans la construction, tous corps de métier (béton armé, électricité, plomberie, climatisation…). Il est chargé d’assurer le suivi et la coordination des différentes phases du projet. Le bureau de contrôle, désigné par le maître d’ouvrage, assure, quant à lui, le contrôle en parallèle à la réalisation du projet. Il vérifie la conformité de tous les corps d’état aux normes de sécurité, de santé et de confort (issues de secours…). Il doit viser tous les documents d’architecte et de bureau d’études avant le commencement des travaux. Il a pour mission de contribuer à la prévention des différents aléas technique susceptibles d’être rencontrés dans les opérations de construction. Il doit veiller à ce que l’ouvrage réponde aux exigences de solidité et de sécurité des personnes. «On ne peut cependant pas exiger des études lourdes, telles que l’analyse de sol pour les petits projets», rappelle Chikri. «Pourtant, toutes les études ne représentent que 8 à 12% du coût global du projet, ce qui est rentable en qualité finale du bâtiment», affirme Benabdeljalil. En effet, les investissements dans les études sont négligés, le promoteur immobilier veille avant tout à la rentabilité de son projet. «Souvent, il est fait l’économie de l’étude de sol, qui définit la manière et les dimensions des fondations. Ce n’est pas un luxe, mais une garantie supplémentaire de la sécurité des constructions. Aussi, le choix se porte sur des entreprises sans référence, mais dont le coût est faible. On triche au niveau de la composition du béton et des matériaux». Autant de disfonctionnements qui peuvent coûter cher.
De son côté, le chef de chantier est responsable de la main-d’œuvre mise à sa disposition ainsi que des matériaux par lesquels est approvisionné le chantier, achetés généralement chez un semi-grossiste ou grossiste. Un promoteur peut choisir, souvent pour des raisons commerciales, de faire certifier les matériaux utilisés, par un laboratoire, le plus connu étant le LPEE (laboratoire public d’études et d’essais). «Mais ce n’est pas obligatoire», rétorque Benabdeljalil.
En définitive, puisque le coût des travaux immobiliers est très élevé, des dispositions protectrices sont mises en place par la législation. Il y a toujours possibilité de recourir à la justice, selon Mehdi Diouri, avocat. «Cette garantie couvre les défauts et malfaçons qui apparaissent dans l’année qui suit la réception des clefs», explique Diouri. «Après l’avis d’un expert, vous pouvez saisir le tribunal et demander que le juge condamne l’entrepreneur à payer les réparations, qui seront exécutées par une autre entreprise». Mais attention, l’action en justice doit être impérativement engagée dans l’année qui suit la réception des travaux. «Lorsque les dégâts conduisent à une situation beaucoup plus grave, il y a lieu d’ordonner une expertise pour que le responsable apparaisse d’après les conclusions de l’expert. Cela peut être l’architecte, le maître d’ouvrage, le bureau d’études…», précise Diouri.

Jihane KABBAJ

 

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