Blanchiment d’argent : Le Maroc dans la liste grise du Gafi, Benabdelkader s’explique

Blanchiment d’argent : Le Maroc dans la liste grise du Gafi, Benabdelkader s’explique

Publié le : - Auteur : Media24

Le Groupe d’action financière (GAFI), organisme international de lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme, vient de mettre le Maroc dans la liste des pays « sous surveillance accrue ». Que signifie cette classification ? Et qu’implique-t-elle pour le Maroc ? Les réponses du ministre de la justice.

La nouvelle est tombée le 25 février suite à l’actualisation par le Gafi des statuts de ses pays membres. Le Maroc, ainsi que le Burkina Faso, les îles Caïmans et le Sénégal sont ainsi passés dans la catégorie des pays « sous surveillance accrue », dite aussi « liste grise ».

Cette liste qui compte actuellement 17 pays est actualisée trois fois par an par le GAFI selon les évolutions des juridictions surveillées sur la base des 40 recommandations que cet organisme international fixe comme normes pour une lutte efficace contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme.

Ce que signifie « la liste grise » du GAFI

Être sur la liste grise ne signifie pas que les pays en question ne respectent pas les normes édictées en la matière au niveau mondial, contrairement aux pays de la liste noire comme l’Iran ou la Corée du Nord, qui sont qualifiés d’États non coopératifs et sont appelés à revoir complètement leur arsenal juridique sous peine de sanctions.

« Les administrations sous surveillance accrue travaillent activement avec le GAFI pour remédier aux lacunes stratégiques de leurs régimes de lutte contre le blanchiment d’argent, le financement du terrorisme et le financement de la prolifération. Lorsque le GAFI place une juridiction sous surveillance accrue, cela signifie que le pays s’est engagé à résoudre rapidement les lacunes stratégiques identifiées dans les délais convenus et qu’il fait l’objet d’une surveillance accrue », explique le GAFI sur son site.

Selon le dernier rapport de suivi amélioré pour le Royaume du Maroc produit en novembre 2020 par le GAFI, le Maroc se conforme à 37 normes sur l’ensembles des 40 règles mondialement reconnues en matière de blanchiment d’argent et de lutte contre le terrorisme. Il est jugé « non conforme » seulement sur trois normes, qui relèvent des moyens humains et matériels accordés aux instances de contrôle, au faible niveau de sanctions contre les contrevenants et à certains aspects organisationnels et d’échange d’informations entre institutions et praticiens (avocats et notaires notamment).

Le ministre de la justice rassure…

Selon le ministre de la justice, il n’y pas de quoi pavoiser donc.

« Tout d’abord, il y a lieu de rappeler que le GAFI est l’instance internationale qui émet les standards internationaux à adopter par l’ensemble des juridictions, en matière de lutte contre le blanchiment de capitaux, le financement du terrorisme et le financement de la prolifération. A cet effet, le mécanisme de fonctionnement du GAFI se base sur des cycles d’évaluation pour estimer le degré de conformité des pays aux standards précités. Pour ce faire, le GAFI a recours à un processus continu et qui, pour le cas du Royaume du Maroc, a débuté depuis fin 2017. Actuellement, étant en phase de suivi renforcé par le GAFI, ce dernier a procédé à l’émission d’une “déclaration publique”, qui vient dans le cadre du processus d’évaluation précité, et ce après la fin d’une période d’observation par ce Groupe », explique le ministre de la Justice dans une déclaration à Médias24.

Et d’ajouter : « Comme le précise la déclaration publique du GAFI, le Royaume du Maroc s’est engagé, en février 2021, politiquement à haut niveau à travailler avec le GAFI et le GAFIMOAN pour renforcer l’efficacité de son dispositif de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme (LBC/FT). La même déclaration précise également que depuis l’adoption de son Rapport d’Évaluation Mutuelle en 2019, le Maroc a fait des progrès au niveau des lacunes venues dans ledit rapport, en vue d’améliorer la conformité technique et celle en matière d’efficacité, notamment en coordonnant les activités et les objectifs de toutes les autorités compétentes en matière de LBC/FT ».

Dans sa définition des pays de la liste grise, le GAFI ne dit pas autre chose : « Les administrations sous surveillance accrue travaillent activement avec le GAFI pour remédier aux lacunes stratégiques de leurs régimes de lutte contre le blanchiment d’argent, le financement du terrorisme et le financement de la prolifération (…) Le GAFI et les organismes régionaux de type GAFI continuent de travailler avec les administrations ci-dessous pour rendre compte des progrès réalisés dans la résolution de leurs lacunes stratégiques. Le GAFI demande à ces administrations d’achever leurs plans d’action rapidement et dans les délais convenus. Le GAFI se félicite de leur engagement et suit de près leurs progrès ».

Reconnues par l’ONU, la Banque mondiale, le FMI et toutes les instances internationales, les 40 recommandations du GAFI définissent les mesures essentielles que les pays devraient mettre en place pour :

– Identifier les risques et développer des politiques et une coordination au niveau national ;

– Agir contre le blanchiment de capitaux, le financement du terrorisme et le financement de la prolifération ;

– Mettre en œuvre des mesures préventives pour le secteur financier et les autres secteurs désignés ;

– Doter les autorités compétentes (par exemple, les autorités chargées des enquêtes, les autorités de poursuite pénale et les autorités de contrôle) des pouvoirs et des responsabilités nécessaires et mettre en place d’autres mesures institutionnelles ;

– Renforcer la transparence et la disponibilité des informations sur les bénéficiaires effectifs des personnes morales et des constructions juridiques ;

– Faciliter la coopération internationale.

Un projet de loi est prêt, mais non encore voté au Parlement

Depuis son engagement dans ce processus mondial, le Maroc a fourni beaucoup d’efforts selon le GAFI, pour harmoniser son arsenal juridique et son organisation institutionnelle avec ces normes mondiales.

Dernière action en date : l’adoption par le Conseil du gouvernement, le 25 novembre 2019, d’un nouveau projet de loi qui vise la révision de la définition de blanchiment de capitaux et l’alourdissement des sanctions actuelles. Deux points sur lesquels le GAFI appelle justement le Maroc à travailler.

Un projet de loi, qui n’est pas encore entré en vigueur à cause d’un retard législatif, et qui doit fort probablement être derrière le passage du Maroc dans la liste grise.

Ce texte intervient justement pour combler les lacunes identifiées dans l’actuelle loi relative au blanchiment de capitaux. Il vise à harmoniser l’arsenal juridique national avec les recommandations et standards du Groupe international d’action financière.

Le blanchiment est actuellement défini comme une opération de dissimulation des biens ou des droits dont l’origine constitue une infraction. Ces infractions sont dressées dans une liste dans l’article 574-2 de l’actuelle loi. On y trouve entre autres les infractions portant atteinte aux droits d’auteur et à la propriété industrielle, le trafic illicite d’armes, la contrebande et l’escroquerie. Le nouveau projet de loi vise à ajouter les crimes financiers, les opérations de vente illicite et les ventes pyramidales à la liste de ces infractions pour se conformer aux exigences internationales.

Le projet de loi prévoit également des sanctions plus lourdes pour les opérations de blanchiment de capitaux. Ainsi, les montants minimum et maximum des amendes prévues par l’actuelle loi seront revus à la hausse. L’article 574-3 de l’actuelle loi prévoit des amendes allant de 20.000 à 100.000 dirhams pour les personnes physiques, et de 500.000 à 3 millions de dirhams pour les personnes morales.

D’un autre côté, l’Unité de traitement du renseignement financier se verra attribuer de nouvelles prérogatives pour mieux assurer ses missions de coordination en matière de blanchiment et de financement du terrorisme. Si le projet de loi est adopté, la structure prendra d’ailleurs un nouveau nom pour devenir l’Autorité nationale du renseignement financier, autre recommandation exigée par le GAFI et qui n’est pas encore mise en place par le Maroc.

L’examen de ce projet de loi sera (ré)amorcée, selon nos sources, dès la prochaine session parlementaire. Son entrée en vigueur devra ainsi permettre au Maroc de réussir au prochain examen du GAFI et de sortir ainsi de cette liste grise.

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