Avocat: Le législateur marginalise les jeunes

Avocat: Le législateur marginalise les jeunes

Publié le : - Auteur : L'Economiste

Faire face aux éventuels abus de confiance. C’est la nouveauté la plus marquante de la nouvelle loi régissant la profession d’avocat (Loi n°08/28 publiée au BO le 6-11-2008). Le texte instaure l’obligation de verser les dépôts (assurances…) détenus par les robes noires dans des fonds tenus et gérés par les ordres des barreaux. «C’est un des avantages de la loi puisque cela va permettre de clarifier et améliorer la relation entre le client et l’avocat», soutient Mohamed Liamani, avocat au barreau de Beni Mellal.
En pratique certains avocats n’effectuent pas les versements aux clients des dépôts à temps. La question à se poser est de savoir si les barreaux ont la compétence nécessaire pour gérer ce fonds. Ou devraient-ils solliciter le concours de spécialistes? Si oui, comment va se faire la rémunération de ces derniers? «Certainement il y aura prélèvement sur les honoraires des avocats, lesquels répercuteront cela sur leurs clients», répond Hafid Ibn Rachid, avocat au barreau de Rabat. «Si le législateur a protégé les citoyens, ce qui est louable, il a en revanche entravé l’accessibilité des avocats à leurs honoraires, en ce sens qu’il faudrait entamer une procédure devant ce fonds pour les avoirs et surtout cela risque de prendre du temps», ajoute-t-il. «Il est vrai que la difficulté sera liée à la liquidation des dossiers notamment dans les grandes villes, mais l’avocat doit être patient et, avec le temps, il y aura fluidité des traitements. Le début étant toujours difficile», tempère Liamani.
Les barreaux ont un délai d’un an pour mettre sur pied ces fonds. «Un délai très court vu l’importance et la complexité d’une telle démarche», affirme Ibn Rachid.

Avec la nouvelle loi il est possible pour les avocats d’exercer au sein des sociétés civiles professionnelles. «Cela ne peut être bénéfique que si les avocats de cette société se spécialisent chacun dans une matière ou domaine», estime Liamani.
Pour ce qui est du mandat, la loi apporte une nouveauté allant dans le sens de la clarté de la relation entre l’avocat et le client puisqu’il doit être désormais établi par écrit.
Mais le point le plus critiqué reste la place accordée aux jeunes avocats. A lire les dispositions du texte, la première impression est que ces avocats sont relégués au second degré. Les plus âgés passant en premiers. Ainsi, pour pouvoir représenter les justiciables devant la Cour suprême il faut avoir 15 ans d’exercice au lieu de dix ans précédemment. «C’est l’un des inconvénients de la loi puisque beaucoup de jeunes avocats vont être exclus. Si on prend en considération que l’avocat effectue 3 ans de stage, en plus des 15 ans exigée par la loi, cela fait un long chemin», explique Liamani.

Mais, est-ce que le nombre d’année passées dans une profession est synonyme d’expertise? «La compétence n’est pas souvent liée au temps passé dans la profession. Le législateur n’a pas pris en considération la pratique qui fait que les procédures sont souvent préparées par les avocats stagiaires. Et c’est l’entête du cabinet qui est mis sur les documents», estime Ibn Rachid.
Les initiateurs du texte avaient trois possibilités. Premièrement, désigner un certain nombre d’avocats habilités à représenter les justiciables devant la Cour suprême comme c’est le cas en France. Deuxièmement, prendre en considération la compétence. Et, dans ce cas, il fallait trouver les critères d’évaluation, ce qui est très difficile.
La troisième option était d’opter pour l’expérience (nombre d’années d’exercice). C’est ce qui a été retenu par la loi.
La loi conditionne également l’éligibilité au poste du bâtonnier à 15 ans d’exercice. «C’est une disposition, qui est, à mon avis, bien fondée en ce sens que l’institution du bâtonnier qui représente le corps des avocats nécessite une connaissance assez large de la profession et un très bon relationnel», explique Ibn Rachid. Pour être bâtonnier il faut également avoir fait partie du conseil de l’ordre du barreau (nouveauté). Un bâtonnier ne peut prétendre qu’à deux mandats qui ne doivent pas être successifs.


Les praticiens doivent s’investir dans le conseil

Entretien avec le président de l’Association des barreaux du Maroc


· La profession traverse une crise d’identité


· L’unilinguisme est un obstacle important

La profession est en train de subir à plein fouet les changements dus à la mondialisation. Ouverture sur l’extérieur, concurrence des cabinets étrangers… Elle souffre également de la dégradation de la formation. Sassi Moubarek Taieb, président de l’Association des barreaux du Maroc, recommande à ses pairs de ne pas laisser filer le conseil juridique à d’autres professions libérales.

– L’Economiste: La profession traverse aujourd’hui une crise d’identité. Comment en sortir?

– Me Sassi Moubarek Taieb: La profession d’avocat passe effectivement par une crise à la base due à l’orientation estudiantine. La faculté de droit est souvent considérée comme une échappatoire ou une station d’instance. Les jeunes bacheliers entament leur cursus universitaire en science juridique sans objectif ou motivation précise. L’accès à la profession est relativement facilité ce qui renforce l’idée d’échappatoire. En pratique, ce que vous appelez crise est aussi dû aux avocats eux-mêmes. Peu d’entre eux se sont investis dans le conseil juridique, préempté par d’autres professions telles que les experts-comptables ou cabinet de consulting à vocation économique. L’environnement dans lequel opère l’avocat est très concurrentiel. L’avenir est lié intimement à l’avenir socio-économique du pays et de l’appareil judiciaire lato sensu.

– L’image de la profession a souvent été écornée par les écarts déontologiques de certains de vos confrères. Pourtant il n’y a jamais eu de suite judicaire. Pourquoi?

– L’image de la profession n’est pas du tout ternie. Cette perception est plutôt la description de l’environnement socio-économique général auquel sont confrontées toutes les professions libérales. Aucun scandale a ce jour n’a impliqué directement les avocats alors que les autres professions libérales n’ont pas été épargnées (experts-comptables ou notaires).
Quant au fait que peu de dossiers arrivent au stade judiciaire, c’est tout simplement dû au fait que les bâtonniers remplissent pleinement leur fonction d’arbitrage et de médiation entre clients et avocats. Je vous rappelle qu’à ce jour aucune autorisation ou interdiction d’ester en justice à l’encontre d’un avocat n’a été émise par un bâtonnier pour la simple raison que le droit d’ester en justice est un droit constitutionnel inspiré des droits de l’Homme que le bâtonnier ne saurait limiter. Le bâtonnier n’est pas compétent pour interdire ou permettre d’ester en justice à l’encontre des avocats.

– Quelle est votre analyse de la nouvelle loi relative à la profession?

– La nouvelle loi réglementant la profession d’avocat constitue une petite révolution quant à l’exercice de la profession. Certains aspects restent ambigus mais, de manière générale, le nouveau cadre juridique permettra indubitablement à l’avocat une meilleure confrontation de la mondialisation et une modernisation de la profession.

– L’obligation d’avoir 15 ans d’exercice pour pouvoir représenter les justiciables devant la Cour suprême n’est-elle pas discriminatoire à l’égard des jeunes avocats?

– L’obligation de justifier de 15 années d’exercice est une approche qualitative qui permettra d’atteindre une justice de meilleure qualité. Il ne faut pas oublier que la Cour suprême ne se penche que sur les points de droit et par conséquent revêt un caractère très technique requérant une expertise et une connaissance approfondie du droit. A un moment, l’idée était d’établir une liste restrictive d’avocats spécialisés pour les procédures devant la Cour suprême. N’oublions pas qu’elle est la plus haute instance judiciaire et que ses décisions sont sources de loi.

– Le handicap linguistique n’est-il pas un obstacle à la modernisation de la profession?

– Les langues sont effectivement un obstacle à l’évolution de la profession d’avocat. Toute personne maîtrisant les langues étrangères justifiera d’un meilleur rendement: le constat est vrai quel que soit le domaine d’activité. Une langue représente une bibliothèque additionnelle et une possibilité de diversification de l’activité de l’avocat. L’unilinguisme a contraint ce dernier à évoluer dans son domaine traditionnel du contentieux judiciaire. Je vous corrigerais toutefois en évitant de parler de handicap linguistique car l’exercice de la profession n’est aucunement tributaire de la maîtrise des langues.


Plus de restrictions pour les cabinets étrangers
Les avocats étrangers (dont les pays ont une convention avec le Maroc) doivent passer au préalable de leur installation au Maroc un examen pour évaluer leur connaissance de la législation marocaine et de la langue arabe. Aussi ne doivent-ils exercer la profession qu’au sein de barreaux marocains. Il s’agit là d’une mesure tendant à limiter la pénétration de plus en plus importante des cabinets étrangers ces dernières années. La mesure tend aussi à faire jouer le principe de réciprocité sachant que la France, par exemple, applique ces conditions.
Comment les avocats marocains peuvent-ils faire face à la concurrence des cabinets étrangers? «La concurrence étrangère est actuellement en train de s’opérer sous forme de sociétés spécialisées dans le consulting ou sous une forme de contrats d’association. C’est un volet qui effectivement doit être débattus avec plus de rigueur afin de maîtriser cette cadence pour ne pas vivre ce qu’ont vécu les cabinets français face à la concurrence anglo-saxonne. L’objectif est la mise en place d’un cadre juridique et réglementaire transparent et clair», souligne Sassi Moubarak Taieb, président de l’Association des barreaux du Maroc .

Jalal BAAZI

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